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Guillaume Almeras

Pourquoi la crise n'accélère pas pour l'instant le passage à la banque digitale

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Malgré le confinement et la crise sanitaire, l'utilisation des applications des banques ne décollent pas. En parallèle, la demande en cash augmente dans certaines banques. Décryptage de notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor

Le propre des crises étant de créer un environnement incertain, il n’est pas étonnant qu’elles suscitent des appréciations et des prédictions un peu rapides, pour ne pas dire sommaires. Ainsi entend-on répéter partout actuellement que la pandémie va avoir pour effet d’accélérer le passage à la banque digitale.

Intuitivement, chacun le comprend facilement: en situation de confinement, force a été de privilégier les canaux à distance pour gérer ses opérations bancaires, changeant ainsi les habitudes et levant les dernières barrières à leur utilisation courante. On conçoit donc qu’à l’issue, le pli sera pris: la plupart des clients ne verront plus du tout la nécessité de se rendre en agence. Ils voudront pouvoir tout faire avec leur mobile.

Cependant, est-ce vraiment ce qu’il s’est passé? Il convient bien entendu d’être prudent alors que l’on ne dispose encore que de chiffres partiels et limités mais les premiers indices montrent que beaucoup de projets ont été reportés, ainsi que de nombreux achats. De fait, les paiements par mobile n’ont pas décollés. Un grand établissement américain a même pu constater une baisse des paiements en ligne de la part de ses clients – en même temps qu’une demande de cash apparemment thésaurisé.

Pas de hausse d'utilisation des applications

Beaucoup d’annonces qui sont actuellement faites quant à la brusque montée en puissance de la banque digitale qui devrait intervenir se fondent sur certaines illusions. Comme de considérer notamment que la crise aura fourni au grand public l’occasion de découvrir les applis digitales bancaires. En France, cependant, plus de 60% des Français, possesseurs d’un smartphone, déclaraient fin 2019 utiliser ou avoir au moins téléchargé l’appli de leur banque. Une récente étude du cabinet BCG publié début mai, de même, alerte quant au fait qu’un client sur cinq, en France, affirme ne plus avoir l’intention de se rendre encore en agence. Effectivement, depuis plusieurs années, plus d’un client sur cinq ne se rend déjà pratiquement plus jamais en agence. 

En revanche, depuis le début de la crise, bien que digitales par nature, nombre de néo-banques ont vu leur activité davantage malmenée que celle des banques. Et un indice, surtout, est frappant : en mars 2020, alors que le confinement était instauré, le temps d’utilisation moyen des applis financières mobile semble n’avoir pas du tout augmenté en France et en Espagne, selon une étude du cabinet de conseil aux banques 11:FS s'appuyant sur les données d'App Annie. Au même moment, cependant, les centres d’appels étaient saturés.

En somme, le mobile ne semble pas avoir été utilisé pour traiter beaucoup plus que des transactions bancaires de base – ce que beaucoup de Français faisaient déjà avant la crise. Ceci, dès lors que de nombreux projets de crédit étaient reportés mais faute également d’offrir des fonctions supplémentaires – notamment en matière de contact direct. En d’autres termes, pour gérer ses opérations bancaires, le mobile a été très utile. Mais, en France, pas tellement plus qu’auparavant. Parce que la période ne s’y prêtait pas. Mais aussi parce que la banque n’est pas encore véritablement devenue digitale. De sorte que la période que nous traversons va ainsi sans doute moins accélérer immédiatement le passage à une banque digitale qui reste encore assez largement à bâtir qu’elle ne va hâter sa réalisation. Et, de ce point de vue, la période aura été riche d’enseignements.

Peu de solutions aux problèmes concrets

Elle invite en effet d’abord à remettre à leur juste place plusieurs fantasmes technologiques qui, ces dernières années, ont trop facilement laissé croire qu’on pouvait avec des algorithmes remplacer les chargés de comptes par des bots et qu’à tout prendre, on pouvait même, avec l’analyse prédictive, se passer pratiquement des clients eux-mêmes. Tout ceci sera peut-être accessible à terme mais, dans l’immédiat, cela reste onéreux et peu performant dans le cadre d’une relation personnalisée, c’est-à-dire demandant la prise en compte d’un historique et d’une situation particulière.

Pour cela, le contact humain n’a pas d’équivalent. Il est non seulement plus clair, rapide et complet mais il est le mieux à même de fournir une réassurance en situation d’inquiétude et d’incertitude. Il serait donc dommage de s’en priver. Pourtant, la banque digitale a jusqu’ici surtout été conçue pour se substituer à la banque classique, de manière simplifiée et à moindre coût. Sans offrir la même profondeur relationnelle donc, notamment à travers le canal vidéo, quasiment inexploré en France ou en organisant une chaîne véritablement cohérente de traitements différenciés entre les différents canaux, y compris le contact humain direct.

Dans le même sens, on s’est beaucoup soucié ces dernières années du parcours client, qu’on a voulu simplifier à travers l’optimisation des process. Pourtant, à l’occasion de la pandémie, il a été frappant de constater que très peu de banques ont su proposer des solutions pratiques de circonstances: qui va gérer mon compte si je tombe malade et comment? Comment prêter ma carte bancaire en toute sécurité pour que quelqu’un puisse me dépanner pour mes courses? Ne peut-on me permettre d’encaisser des chèques sans me déplacer?. Au Royaume-Uni, une néo-banque comme Starling a su tout de suite apporter des solutions à cet effet. Elle aura été pratiquement la seule. Ce qui invite à considérer que les banques ne savent pas assez ou ne se soucient pas assez de savoir comment vivent leurs clients.

Des méthodes dépassées

Au cours de la période que nous traversons, certains comportements ont surpris, en matière de dépenses, d’épargne, de placement. C’est qu’à ce stade, les canaux digitaux ne permettent finalement pas encore aux banques d’être mieux connectées avec leurs clients et davantage à leur écoute – ce que ne permet pas non plus le Net Promoter Score, qui s’est généralisé ces dernières années au point de devenir l’indicateur quasi unique de la relation client.

Enfin, au cours de la période, les méthodes de scoring et d’appréciation des risques, de plus en plus automatisées et fondées sur des estimations statistiques, brassant de nombreuses données mais de plus en plus coupées des appréciations de terrain issues du contact direct, justement, ont pu souvent paraître dépassées.

Bref, pas plus que la crise n’a fait découvrir les applis bancaires à une grande majorité de Français, elle ne va immédiatement instaurer l’usage général et quasi exclusif de ces mêmes applis. Les circonstances l’ont montré: celles-ci sont encore trop incomplètes pour dispenser d’utiliser le téléphone dès qu’une question préoccupante se pose.

Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor