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Guillaume Almeras

Pourquoi la précarité financière pousse la banque à se réinventer 

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- - PHILIPPE HUGUEN / AFP

La Fédération bancaire française a récemment publié un intéressant dossier « Banque & Publics fragiles » qui retrace l’ensemble des dispositions que les banques françaises ont prises depuis près de vingt ans pour aider et accompagner leurs clients en difficulté financière temporaire ou structurelle. Une évolution de long terme donc qui à ce stade – c’est là tout son intérêt - semble encore inachevée.

Bien sûr, les grincheux pourront douter de la bonne volonté des banques face à leurs clients fragiles et, bien sûr, dans le détail, certaines conditions paraissent toujours, malgré les bonnes intentions, assez effarantes : ainsi, bien que plafonnés, les frais de rejet d’un chèque de moins de 50 € peuvent quand même atteindre… 30 €. Cependant, force est de reconnaitre qu’à travers le droit au compte, les limitations tarifaires, différentes formules de services bancaires et de moyens de paiement à moindre coût, d’importants dispositifs d’accompagnement dédiés – comme les plus de 80 Points Passerelle du Crédit Agricole, qui mobilisent 130 conseillers et 930 bénévoles (souvent des conseillers retraités) et reçoivent plus de 13 000 clients en difficulté par an – ou encore le recours à des partenaires du monde social et associatif, les banques françaises ont réalisé des efforts qui trouvent peu d’équivalents à l’étranger. D’ailleurs, la France est l’un des pays où l’inclusion financière est la plus élevée, bénéficiant à la quasi-totalité de la population.

Pourquoi ce dispositif peut-il paraitre inachevé dès lors ? C’est qu’à l’adresse de clients présentant, momentanément ou durablement, de faibles ressources et accumulant les incidents de paiement – ce sont les principaux critères caractérisant les « clientèles fragiles » - on a développé des offres adaptées, spécifiques, dérogatoires par rapport aux conditions normales et qui, pour l’essentiel, ont vocation à s’appliquer une fois les difficultés survenues. En somme, les banques acceptent de traiter autrement ces clients pas comme les autres, dont elles ne peuvent souhaiter que l’amélioration de la situation. Et, comme pour les élèves en difficulté dans le domaine scolaire, on admet que les clients fragiles ont besoin d’un soutien particulier.

Grand flou

Toutefois, comme le dossier de la FBF en témoigne, l’approche est en train de changer sensiblement. Pour éviter les mises en situation difficile, les banques veulent aujourd’hui renforcer l’éducation financière. Pour les prévenir, elles développent une détection automatisée de signes avant-coureurs. Surtout, alors que, c’est un fait, les parcours de vie sont de plus en plus précaires dans nos sociétés, avec la généralisation des CDD, l’accroissement des travailleurs indépendants (particulièrement nombreux en France) et des familles monoparentales, ainsi qu’avec la mauvaise employabilité des jeunes séniors et le chômage élevé, s’impose l’idée que la fragilité financière peut concerner tout le monde.

Dès lors, les dispositifs d’accompagnement, une fois les difficultés apparues, ne suffisent pas. La protection contre les fragilités financières devrait devenir un véritable service proposé à tous les clients. Et c’est sans doute ce qu’on va voir apparaitre.

Aujourd’hui, si les risques de fragilité financière concernent sinon tout le monde, au moins de plus en plus de monde, qui en parle tant que les difficultés ne sont pas survenues ? Les banques ne pourraient-elles néanmoins prendre certains engagements, tels notamment qu’aucun blocage de compte n’ait lieu sans tentatives de contact direct pour en alerter préalablement, ce qui est encore très loin d’être le cas général ? Au titre de la prévention, certaines souplesses (modulations ou report d’échéances) ne pourraient-elles être introduites et surtout être rendues faciles pour éviter les mises en difficulté ? Cela supposerait que les clients soient davantage invités à saisir de leurs difficultés les chargés de compte et donc que le sujet soit largement déculpabilisé, en même temps qu’une plus grande transparence lui soit donnée : que se passera-t-il exactement si des difficultés surviennent ? Dans les faits, concernant la suspension possible ou non de leurs facilités de caisse ou de découvert, notamment, un grand nombre de clients vivent dans le plus grand flou.

En termes d’assistance, aussi bien, les banques ne pourraient-elles davantage renseigner leurs clients quant aux aides et recours dont ils peuvent bénéficier ou, tout simplement, en leur fournissant des récapitulatifs de leurs charges et facturiers courants dont l’expérience montre que les clients sont souvent mal conscients ? Et, finalement, l’assurance de pouvoir disposer d’un filet de trésorerie temporaire, permettant de faire face à certaines dépenses sans lesquelles tout sera très compliqué (téléphonie, transports, loyer, …), ne pourrait-elle être proposée à travers une cotisation volontaire ainsi qu’à travers les programmes de fidélité ?

Réinventer la banque

De telles mesures n’ont certainement rien d’extravagant. Plusieurs établissements sont déjà allés beaucoup plus loin. Aux Etats-Unis, la Fifth Third Bank a pu ainsi proposer à ses clients se retrouvant au chômage de les aider à chercher un emploi à travers un accompagnement de 16 semaines… lui coûtant beaucoup moins cher qu’un contentieux sur crédit immobilier. En France, Cetelem et Mondial Assistance ont proposé en 2015, à travers une offre commune « Projet emploi », une assistance comparable pour les porteurs de crédits à la consommation en CDD ou intérimaires.

L’intérêt d’une telle approche d’assurance contre la précarité financière serait d’obliger les banques à rompre résolument avec une simple logique de produits pour parvenir à des services personnalisés, centrés sur les besoins et moments de vie forts des clients. Exactement ce que toutes les banques cherchent désormais à définir ! Ancienneté des relations, disponibilité de nombreuses données permettant d’ajuster et de tarifer de nouveaux services, grandes capacités de mobilisation : autant d’atouts dont elles disposent par rapport à leurs concurrents potentiels. Sachant qu’elle n’arrive pas qu’aux autres, la précarité financière pousse particulièrement à réinventer la banque de détail autour d’un engagement de confiance décisif. Il reste ainsi aux banques à saisir pleinement l’enjeu que recouvre le cas des clientèles fragiles.

Guillaume ALMERAS