BFM Business
Guillaume Almeras

Quand les banques misent sur l’innovation 

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Quelques premiers résultats invitent à considérer qu’on aurait tout à fait tort de sous-estimer les capacités des banques à se renouveler.

C’est une petite révolution culturelle : les banques françaises ont engagé des démarches d’intrapreunariat. Elles créent des startups internes et y détachent leurs personnels. Elles adoptent d’autres méthodologies de conduite de projet et s’efforcent d’être « agiles » – puisque tel est l’adjectif désormais consacré. Il s’agit d’inventer. De ne plus avoir peur d’échouer. Bref, depuis quelques années, les banques tentent de s’approprier et d’internaliser tout ce qu’on leur opposait : les capacités d’innovation propres à de nouveaux acteurs capables de les déclasser et, finalement, de les remplacer.

Tout cela peut faire sourire ou douter et ces démarches de la part des banques, sans doute, ne sont pas sans effets d’image et d’annonce. Pourtant, quelques premiers résultats invitent à considérer qu’on aurait tout à fait tort de sous-estimer les capacités des banques à se renouveler. Rapidement. En fait, ce sont plutôt les discours que l’on tient encore couramment sur l’innovation qui devraient évoluer.

Un exemple tout à fait spécifique permet particulièrement de le faire sentir : depuis le début de l’année, le Crédit Agricole Centre Loire a lancé Cotoit.fr. Un syndic immobilier en ligne qui permet aux copropriétaires de bénéficier de tous les services que propose un syndic classique mais de manière digitale et pour un coût 40% moindre.

D’où est partie une telle initiative, que nous avons découverte pratiquement par hasard, tant elle est encore assez peu mise en avant (nous verrons pourquoi) ? La démarche s’inscrit sous l’objectif stratégique de diversification de ses métiers que le Crédit Agricole s’est fixé, en se tournant particulièrement vers l’immobilier, capable de devenir, avec la banque et l’assurance, le troisième grand métier du Groupe.

Sous cette perspective, le Crédit Agricole Centre Loire s’est posé la question de savoir comment il pourrait développer des services de gestion immobilière. C’est que, difficile et faisant l’objet, de manière générale, de nombreuses critiques – un copropriétaire sur deux se dit mécontent de son syndic – cette activité ne paraissait pas du tout porteuse. Toutefois, dès lors qu’une démarche d’innovation interne a été lancée, le regard a complètement changé et l’idée s’est imposée de reprendre ce service comme de zéro, de le digitaliser et de partir justement de tous les « irritants » dont se plaignent les copropriétaires.

L’exemple a d’abord ceci d’intéressant que, spontanément, on imagine que le fort encadrement juridique qui pèse sur une telle activité ne peut qu’être un frein à l’innovation. De fait, ce service a peu mobilisé la créativité de nouveaux acteurs. Toutefois, pour Emmanuel Poulet, Directeur de l’Innovation et du Logement au Crédit Agricole Centre Loire, qui a conduit le projet : « il est plus facile d’innover quand les contraintes sont posées dès le départ ». Le nouveau service a ainsi été coulé dans le moule des dispositions de la Loi Alur.

Un premier cadre étant de la sorte fixé, une démarche intrapreneuriale a été lancée : étude d’opportunité, design de services à travers un lab d’innovation associant une cinquantaine d’utilisateurs, des professionnels de l’immobilier et des consultants. Une Business Unit a été créée. Des collaborateurs y ont été détachés et plusieurs partenaires extérieurs (notamment informatiques, pour l’automatisation des process) y ont été associés. En dix-huit mois, Cotoit.fr était sur pieds. Une startup aurait-elle vraiment fait mieux et plus vite ?

L’exemple parait particulièrement intéressant car il s’agit bien d’une diversification. Cotoit.fr est un service non bancaire et complémentaire, développé par une banque, ce qui n’est pas encore très fréquent. Le service, cependant, a été lancé sans tapage et ceci marque une nette différence d’approche par rapport aux startups de la fintech.

Pour un établissement aussi installé que le Crédit Agricole, une période de rodage s’impose en effet (et, de toute façon, les demandes de devis sont d’ores et déjà bien supérieures à ce qui était attendu). Pas question non plus de claironner des tarifs avantageux. Pour ne pas assimiler la nouvelle offre à un service low cost ponctuel, alors que Cotoit.fr doit être la première brique d’un dispositif de services de gestion immobilière qui pourront être développés sous de nouvelles marques.

Bien entendu, l’établissement pourra associer des offres d’assurances et de crédit à ce nouveau service, qui pourra avoir pour utilisateurs des non-clients du Crédit Agricole. Et, bien sûr, le réseau de distribution de la banque sera associé à sa promotion - à terme, envisage cependant Emmanuel Poulet. Car l’immobilier représente un nouveau métier pour les commerciaux, qu’ils ne pourront maitriser que progressivement – après tout, « il a fallu vingt-cinq ans pour que l’on devienne les numéros un de l’assurance ». Mais en fait, le véritable enjeu stratégique n’est pas prioritairement lié à la conquête client. Le territoire du Crédit Agricole Centre Loire, en effet, est démographiquement faible. Dans ces conditions, l’accent doit être mis sur des services complémentaires, au besoin totalement revus, qui augmentent la satisfaction client et qui diversifient l’offre, bien plus que sur la seule conquête.

Un développement gradué, orienté sur la satisfaction client plus que sur la conquête et inscrit sous des objectifs stratégiques de moyen-terme : autant de conditions qu’une startup ne peut facilement remplir ! Et, au total, un autre regard sur l’innovation apparait, qui permet de comprendre un certain nombre de choses. Cela fait deux décennies, en effet, que l’on annonce le déclassement des banques par de nouveaux acteurs plus agiles, plus modernes. Mais ces annonces sont empreintes de tout un romantisme de l’innovation. Qui voit celle-ci être forcément l’affaire des plus jeunes. Qui attend des « disruptions » et qui rêve à quelque Grand Soir des banques. Cependant, ces visions font négliger une dimension essentielle : la très forte maturité du marché bancaire. Lequel se prête sans doute plus, pour l’essentiel, à des transformations qu’à une Révolution et parait plus apte à connaitre des adaptations progressives que de brusques évolutions. Des élargissements plus que des éclatements.

En ce sens, tel que présenté par son initiateur, le Directeur de l’Innovation et du Logement du Crédit Agricole Centre-Loire, Cotoit.fr parait particulièrement intéressant car ce service semble offrir l’un des premiers exemples de ce que les banques, converties à de nouvelles approches de conduite du changement et désireuses d’élargir leur sphère d’activités, peuvent produire. En quoi l’important n’est pas tellement qu’elles s’approprient l’état d’esprit innovant des startups. Le plus déterminant tient plutôt à ce qu’en leur sein des modes de fonctionnement plus agiles sont à même de rendre décisifs leurs principaux atouts : des moyens considérables, de très nombreux clients et la capacité à connaitre leurs attentes et besoins, ainsi que la possibilité de se situer à moyen-terme, d’avoir le temps ! Par rapport au schéma schumpétérien classique et cyclique de destruction créatrice, cela oblige à penser une innovation plus… tranquille ? Cela ne sonne pas très « romantique ». Disons plutôt, ce qui est bien plus juste, une innovation constante.

Guillaume ALMERAS