BFM Business
Guillaume Almeras

Quand les banques se concentrent (beaucoup) trop sur les comptes courants de leurs clients

Certains experts estiment que les comptes courants devraient disparaître à terme.

Certains experts estiment que les comptes courants devraient disparaître à terme. - Pixabay / mastersenaiper

Les établissements bancaires ont tendance à construire leur stratégie autour du compte courant principal des ménages. Et en oublient parfois de développer des services pourtant attendus par leurs clients. Décryptage de notre expert Guillaume Almeras, fondateur du site de veille et de conseils Score Advisor.

Dans un article publié sur Forbes en février, le spécialiste américain du marketing bancaire, Ron Shevlin, annonce la lente mais inévitable disparition du compte courant. D'ici 10 à 15 ans, estime-t-il, les comptes courants bancaires seront devenus complètement obsolètes. Pourtant, les banques, ainsi que la plupart des nouveaux acteurs qui les concurrencent, concentrent leurs efforts d’innovation sur le suivi des comptes et les paiements associés. Quand le public, lui, attend de nouveaux services.

Nous nous garderons de reprendre le pronostic de Ron Shevlin en termes d’échéances. Dans le domaine bancaire, les choses vont souvent lentement (cela ne fait jamais que quarante ans, ainsi, que l’on attend la disparition des chèques). En revanche, il semble tout à fait pertinent de reconnaître que le compte courant – ce compte bancaire qui centralise à la fois nos revenus et nos principales dépenses – sera de moins en moins le pivot de toute relation bancaire. On s’étonne que les particuliers changent peu de banques, malgré toutes les facilités qui ont été mises en place pour le faire. Mais, pour la plupart des gens, fermer un compte courant pour en ouvrir un autre ailleurs ne représente pas un enjeu suffisant pour les décider à changer d’établissement.

Les comptes courants ne vont pas disparaître de sitôt, bien sûr. Mais ils sont déjà en train de se banaliser, en même temps que de se spécialiser. Beaucoup d’acteurs peuvent en proposer dès lors que les canaux digitaux en facilitent l’ouverture quasi immédiate et le suivi agrégé, quels que soient les établissements chez lesquels ils sont ouverts.

Plusieurs comptes courants par couple

Dès lors, les comportements suivent: de plus en plus de couples utilisent trois comptes courants différents et les formules de comptes partagés se multiplient. Mettre son argent en sécurité dans un seul établissement, sur un seul compte principal, dont le relevé permet de suivre ses dépenses courantes, voilà une vision d’hier. Pourtant, les banques, ainsi que beaucoup de nouveaux acteurs, ont encore du mal à penser autrement. Leur premier objectif reste d’être le teneur du compte principal de chaque client, à partir de quoi seulement l’équipement en produits et services est véritablement considéré. A ce stade, ceux qui envisagent autrement les choses sont encore rares. Et, parmi eux, il y a Banque Casino.

Filiale du Groupe Casino créée en 2001, détenue à 50% par le Crédit Mutuel depuis 2011, Banque Casino est un organisme de crédit à la consommation. Ayant subi de plein fouet la loi Lagarde et l’affaissement du crédit revolving qui a suivi, l’établissement a décidé, à partir de 2012, de se réinventer. Il finançait la consommation. Il a choisi de devenir la "néobanque des consommateurs", 100% digitale, pour faciliter les parcours d’achat. Ceci, à travers trois innovations principales: les cashbacks, que Banque Casino a été la première à introduire en France, les paiements fractionnés, dont elle est devenue le leader national, et les crédits instantanés ou "coups de pouce", d’abord proposés aux clients de CDiscount, puis à ceux des fintechs Lydia et Bankin’. Limités à de très petites sommes (100 à 1.000 €), utiles sur les lieux et dans les moments d’achat, ils bouleversent l’octroi classique des crédits bancaires.

Les "banques invisibles"

"Notre objectif n’est pas que nos clients aient chez nous leur compte principal", annonce Marc Lanvin, le directeur général adjoint de Banque Casino. Cela n’est effectivement pas la vocation d’un organisme de crédit à la consommation. Mais Banque Casino n’en reste pas non plus à ce dernier positionnement et la stratégie qu’elle déploie concerne en fait toutes les banques. Donnons-lui l’appellation de "banque invisible", un concept qui fait actuellement son chemin et que Marc Lanvin reprend volontiers à son compte.

Le terme mérite quelques éclaircissements car il ne s’agit pas pour les banques de se cacher. Il faut plutôt entendre qu’accompagnant ses clients en mobilité, les services d’une banque tendent à devenir transparents. Au sens où il n’est plus besoin, pour y accéder, de contacter sa banque. Laquelle est immédiatement là, notamment auprès d’enseignes partenaires chez lesquelles, reconnus comme tels, ses clients bénéficieront de conditions ou de services particuliers.

L’approche n’est donc pas fondée sur la domiciliation de revenus sur un compte. Elle repose sur trois grands enjeux : la connectivité, l’instantanéité et la simplicité. Focalisée sur le parcours d’achat des clients, elle doit en effet être ouverte et partenariale – Banque Casino travaille ainsi avec des enseignes de e-commerce (Selectour, MisterFly, …) comme avec des fintechs de paiement (Lydia) ou de PFM (pour "personal money management", comme l'application Bankin’).

Elle doit aussi bien apporter de manière immédiate des réponses qualifiées (Banque Casino est ainsi devenue l’un des établissements les plus en pointe dans l’utilisation d’un chatbot pour son service client) et décisives (les crédits instantanés). Enfin, l’expérience utilisateur doit être fortement personnalisée, c’est-à-dire être avant tout très simple et commode (Banque Casino a été à ce titre le premier établissement en France à généraliser la signature électronique).

La simple gestion des comptes mise de côté

C’est là un modèle dont le développement est largement extensible, y compris dans d’autres pays européens (l’Espagne et la Belgique sont envisagées dès cette année), puisqu’il vise une clientèle de masse, dont les parcours d’achat sont multiples et les besoins variables selon les marchés. Un modèle qui peut facilement être complété et prolongé et qui, peu concerné par la faiblesse actuelle des taux, est singulier dans le paysage bancaire français.

"Chacune des initiatives que nous avons lancées a rencontré un succès plus large que prévu", constate Marc Lanvin. Depuis quelques années, Banque Casino connait une croissance à deux chiffres (plus de 20% d’augmentation de son PNB en 2019) et compte déjà plus de trois millions de clients. Plus que les différentes banques en ligne. Celles-ci auraient-elles raté quelque chose? Elles entendent être, pour leurs clients, de "vraies" banques et donc remplacer, au moins en partie, celles existantes en tant que banques principales. Mais un tel objectif peut-il suffire au moment où les banques doivent se réinventer ?

Ce qui parait particulièrement intéressant dans la stratégie suivie par Banque Casino, c’est qu’elle s’est attachée à faciliter l’expérience client non pour se substituer aux autres banques mais pour exploiter, de manière complémentaire, ce que celles-ci ne proposaient pas ou développaient peu. Marc Lanvin : "Nous avons été les premiers et même les seuls à anticiper l’arrivée et l’impact du Black Friday". Pourquoi les autres établissements n’y ont-ils pas pensé? Sans doute parce que cela a peu à voir avec le fait de gérer des comptes. Mais est-ce là l’avenir? C’est la question qu’amène précisément à poser l’exemple de Banque Casino. Laquelle est peut-être, pour cela, la seule vraie néobanque française.

Guillaume Almeras, fondateur de Score Advisor