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Olivier Couraud

Report d'impôts, factures en attente... Comment marchent les nouvelles aides fiscales pour les entreprises

Certains contribuables ont jusqu'au 7 décembre pour valider le nouveau taux

Certains contribuables ont jusqu'au 7 décembre pour valider le nouveau taux - Philippe Put- Flickr- CC

Le gouvernement a annoncé plusieurs mesures fiscales exceptionnelles afin d'aider les entreprises à surmonter la crise du coronavirus. Décryptage de notre expert Olivier Couraud, avocat associé au sein du cabinet Stephenson Harwood.

Face à la crise du coronavirus, les mesures d’urgence annoncées par l’exécutif en matière fiscale ont été accueillies avec un grand soulagement par les entreprises. Si certains ont pu déplorer que les annonces aient laissé de côté la TVA, considérée comme pesant plus lourdement sur la trésorerie des entreprises, il est indéniable que l’effort déjà consenti par l’Etat est considérable et devrait réduire les défauts en chaîne tant redoutés.

La mise en œuvre de ces mesures soulève toutefois un certain nombre d’interrogations de la part des opérateurs.

Besoin d'un justificatif pour le report ou la remise d'impôt?

Comme l’avait annoncé le président de la République, aux termes de son adresse aux Français le 12 mars dernier, "toutes les entreprises qui le souhaitent pourront reporter sans justification, sans formalité et sans pénalité le paiement des cotisations et impôts dus en mars".

Les contours de ce droit au report sont détaillés sur le site impots.gouv.fr qui précise que les contribuables peuvent en outre solliciter la remise pure et simple de certains impôts et doivent, dans ce cas, présenter des justificatifs quant à leur situation financière.

Le site met également à la disposition des contribuables un modèle intitulé "Demande de délai de paiement ou de remise d’impôt" dont les indications ont pu susciter quelques difficultés d’interprétation.

Le formulaire indique en effet dans la rubrique consacrée au report de paiement que celui-ci "est accordé pour une durée de 3 mois sur simple demande (…) sans justificatif" mais il invite quelques lignes plus bas le demandeur à produire les "éléments de nature à justifier un délai de paiement ou une remise".

Des contribuables se sont inquiétés de cette contradiction : ils y ont vu une obligation pour eux de justifier de leur impécuniosité, même dans le cadre d’une simple demande de report, inquiétude d’ailleurs aggravée par la confirmation orale donnée sur ce point par certains services des impôts des entreprises.

Il ne s’agit là cependant, à notre sens, que d’une maladresse rédactionnelle, la volonté clairement affichée du gouvernement étant de ne soumettre le report à aucune condition. Ce point de vue est d’ailleurs conforté par la position de la phrase litigieuse dans le formulaire (sous la rubrique "Demande de remise") et les développements contenus dans le point de situation publié sur le site impots.gouv.fr.

Les contribuables devraient donc pouvoir demander le report de leur imposition sans avoir à présenter de justificatif. En revanche, pour une demande de remise gracieuse, il faudra bien un justificatif. 

Comment prendre en compte les factures en votre faveur du secteur public?

Le modèle de demande invite par ailleurs les entreprises à faire état de leurs factures en attente de paiement par les services publics: un tableau leur propose ainsi d’indiquer l’identité des organismes débiteurs ainsi que l’objet et le montant de leurs factures ("Factures en attente de paiement de la part de services publics").

Certaines entreprises se sont dès lors crues en droit d’effectuer une compensation entre leurs dettes d’impôt et leurs créances commerciales sur les personnes publiques. Nous ne pouvons que déconseiller une telle pratique.

L’Etat et les personnes publiques échappent par nature au mécanisme de la compensation légale, permettant l’effacement automatique de dettes réciproques lorsqu’elles sont certaines, liquides et exigibles. La compensation ne peut donc jouer avec ces personnes, sauf disposition expresse, qu’en cas d’accord de leur part.

Le formulaire n’exprime aucun accord en ce sens et l’on peut imaginer que la demande de renseignements qu’il contient vise seulement à accélérer le règlement des factures par les organismes publics.

Les entreprises titulaires de créances commerciales sur l’Etat ou les personnes publiques se garderont donc de toute compensation "sauvage" avec leurs dettes fiscales.

Un droit de moduler les acomptes sans condition?

Le communiqué officiel sur les mesures d’urgence précise également que les travailleurs indépendants pourront "moduler à tout moment le taux et les acomptes de prélèvements à la source".

Contrairement à ce que le libellé pourrait laisser penser, cette possibilité n’a rien de nouveau et figure dans le code général des impôts depuis l’introduction du prélèvement à la source de l’impôt sur le revenu.

La modulation à la baisse est ainsi strictement encadrée et suppose en particulier un écart d’au moins 10% entre le montant de l’impôt réel et celui qui résulterait de l’application des acomptes sans modulation. Elle est effectuée sous la responsabilité du contribuable qui s’expose à une majoration en cas de modulation excessive.

L’annonce contenue dans le communiqué ne nous semble pas apporter de dérogation à ces conditions (même si elle se présente comme une mesure nouvelle), le risque étant pour l’entrepreneur mal informé de moduler son acompte à la baisse sans respecter la règle des 10% et de se voir ainsi appliquer la majoration.

Les mesures adoptées dans l’urgence, bien qu’indispensables et salvatrices, apportent leur lot d’incertitudes. On attendra donc avec intérêt, mais circonspection, les mesures annoncées s’agissant des contrôles et contentieux fiscaux.

Olivier Couraud, avocat associé au sein du cabinet Stephenson Harwood