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Philippe Crevel

Une récession est-elle possible en 2019 en zone euro ?

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L’arrivée d’une nouvelle récession pour la zone euro est annoncée par certains analystes économiques.

Recul du PIB en Allemagne et au Japon au troisième trimestre, moindre croissance des échanges internationaux du fait de la guerre commerciale sino-américaine, fin de cycle de plus en plus probable aux États-Unis, crise budgétaire en Italie et mouvements sociaux en France : de nombreux signaux sont passés en quelques mois du vert au rouge. L’arrivée d’une nouvelle récession pour la zone euro est annoncée par certains analystes économiques.

De nombreux indicateurs économiques sont alarmants

Les indicateurs PMI des directeurs d’achat de la société Markit sont assez fiables. Que ce soit ceux qui retracent l’activité des services ou de l’industrie, ils sont tous en baisse depuis le milieu de l’année après avoir connu une hausse rapide de 2015 à 2017. L’indicateur du sentiment économique de la zone euro a perdu près de 8 points ces six derniers mois. Malgré tout, ces indicateurs sont encore au-dessus de leur moyenne de longue période.

Après une forte progression en 2016 et 2017, l’investissement productif des entreprises, celui en logements des ménages et les achats de voitures sont en recul. Néanmoins, il faut relativiser le recul de cette année qui fait suite à une année exceptionnelle. Par ailleurs, le recul des ventes de véhicules n’est pas sans lien avec le durcissement des normes anti-pollution entré en vigueur le 1er septembre dernier.

Dans plusieurs pays, l’économie bute sur les difficultés d’embauche des entreprises. Ce problème freine la croissance. La croissance de l’emploi est de 1 % au sein de la zone euro, soit un niveau bien plus faible à celui qui prévalait avant crise.

La zone euro est dépendante du commerce international. La croissance de l’Allemagne, des Pays-Bas, de la Belgique et, dans une moindre mesure, de la France est liée à celle des exportations. Or, cette dernière est inférieure à 3% quand elle dépassait 5 % avant 2008.

La fin des politiques monétaires accommodantes

En décembre, la Banque centrale européenne devrait arrêter ses rachats d’obligation, ce qui devrait constituer la première étape de la sortie de la politique monétaire non conventionnelle. La hausse des taux directeurs est, quant à elle, programmée pour le second semestre 2019.

Les relèvements des taux directeurs américains devraient également se poursuivre et devraient avoir un effet de contagion sur les taux européens. Par ailleurs, les difficultés de plusieurs pays de la zone euro dont l’Italie et la France pourraient conduire à une augmentation des écarts de taux avec ceux de l’Allemagne. Cette pression à la hausse des taux d’intérêt pourrait dégrader la perspective de croissance de l’ensemble de la zone.

Crise sociale ou crise politique

La zone euro est confrontée à une contestation croissante de la population au sein de plusieurs pays importants comme en France, en Allemagne ou en Italie. Le rejet d’une certaine forme de construction européenne, la crainte des migrations et le rejet du système économique reçoivent l’assentiment d’un nombre non négligeable d’électeurs. Les valeurs démocratiques sont également mises en cause tout comme les représentants politiques et les corps intermédiaires. Une fragilisation de la zone euro du fait de la multiplication d’évènements sociaux à résonnance politique pourrait évidemment peser sur l’activité. Le mouvement des « gilets jaunes » devrait, en France, selon le Ministère de l’Economie, entraîner une moindre croissance de 0,1 point au dernier trimestre.

Les conséquences du Brexit

Les conséquences d’un « hard Brexit » seraient importantes pour le Royaume-Uni. Les échanges entre le continent et ce pays seraient pénalisés. Certains secteurs seraient particulièrement touchés, tels que l’agriculture, les transports et les services financiers. Des pays comme la France qui dégage un excédent commercial avec le Royaume-Uni et l’Allemagne, un de ses premiers fournisseurs, subiraient les effets de ce départ non négocié. L’impact potentiel sur le PIB de la zone euro est mal apprécié. Il pourrait atteindre entre 2 à 4 % sur longue période. Pour 2019, la perte de croissance est estimée à 0,5 point. Pour le Royaume-Uni, en cas d’absence d’accord, sur longue période, le manque à gagner en termes de PIB pourrait atteindre jusqu’à 8 %.

Les facteurs favorables à la croissance de la zone euro en 2019

Plusieurs facteurs jouent plutôt en faveur de la croissance. En effet, la politique budgétaire est au sein de la zone euro de plus en plus expansionniste, la politique monétaire reste malgré tout accommodante et le prix du pétrole semble être en situation de se stabiliser autour de 70 dollars le baril.

Une politique budgétaire plus expansionniste

L’assainissement des finances publics, en zone euro, semble toucher son terme. À la différence des États-Unis et du Japon, les États membres ont fait d’importants efforts en matière de réduction du déficit public. Ce dernier est passé de plus de 6 % du PIB à moins de 1 % du PIB de 2009 à 2018 mais il pourrait dépasser 1 % du PIB l’année prochaine. La France et l’Italie avec l’Espagne sont les pays les moins vertueux de la zone et devraient le rester dans les prochaines années. L’Allemagne pourrait légèrement desserrer l’étreinte budgétaire d’autant plus que des élections anticipées peuvent survenir à tout moment au regard des difficultés que connaît la Grande Coalition CDU / CSU / SPD.

Des taux bas encore en 2019

La hausse des taux d’intérêt devrait être très modérée d’autant plus que l’inflation a commencé à refluer avec le recul du prix du baril de pétrole. La BCE prendra en compte la situation des prix mais aussi, implicitement, la croissance et la capacité des États à faire face à leurs échéances de remboursement d’emprunts.

La situation financière des entreprises de la zone euro est très favorable. La poursuite de la hausse de la profitabilité et du désendettement est attendue même si quelques pays dérogent, dont la France, à cette règle. Le nombre de défauts de paiement et de faillites d’entreprise devrait rester faible au sein de la zone euro même si en Italie et en France, il est en légère augmentation.

Pas de réels risques financiers et immobiliers

Les actifs financiers sont sous-valorisés au sein de la zone euro. Le PER sur les résultats futurs est inférieur à 14 pour l’Eurostoxx quand il était de 16 en 2008 et de 20 en 2000. Même si l’immobilier est en forte hausse dans plusieurs pays, les ratios prix des maisons par rapport au salaire nominal par tête ou le prix de l’immobilier commercial par rapport au PIB sont inférieurs en 2018 à leur niveau de 2009 de près de 10 points pour le premier et de 5 points pour le second.

Le taux d’endettement des ménages est en baisse au sein de la zone euro. Il est passé de 62,5 à 57,5 % du PIB de 2009 à 2018, la France faisant en la matière exception. Néanmoins, le taux d’endettement des ménages français reste inférieur à la moyenne de la zone euro en s’élevant à 50 % du PIB.

La stabilisation du prix du baril à 70 dollars, un point positif pour la zone euro

La zone euro est très sensible aux variations du cours du pétrole. Sa baisse entre 2014 et 2016 a favorisé la reprise économique en améliorant le pouvoir d’achat des ménages et les marges des entreprises. Sa hausse constatée a eu l’effet inverse et a contribué au ralentissement économique. Les importations d’énergie représentent 3 % du PIB en 2018 contre moins de 2 % en 2016. Elles avaient atteint 5 % en 2007 et en 2012. Compte tenu de l’état du marché et du tassement de la croissance de l’économie mondiale à 3,5 %, le prix du pétrole (BRENT) pourrait rester proche de 70 dollars dans les prochains, prix acceptable tant pour les pays consommateurs que pour les pays producteurs ;

Récession ou pas récession en zone euro ? Si des facteurs internes peuvent conduire à une accentuation du ralentissement constaté depuis le début de 2018, d’autres peuvent jouer, au contraire, en faveur d’une accélération de la croissance. La zone euro restera néanmoins dépendante tout à la fois de l’évolution des sanctions commerciales des États-Unis, du prix du pétrole et des modalités de sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne.

La gestion de la crise sociale, en France, pourrait conduire à un accroissement de la demande intérieure mais entraînerait une augmentation sensible des déficits, déficit commercial et déficit public. Les tensions politiques entre États membres pourraient s’accroître d’autant plus que les élections européennes du mois de mai 2019 pourraient donner lieu à une forte progression des partis anti-européens. 

Philippe CREVEL