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3 questions sur la rémunération des fonctionnaires au mérite

La mairie de Suresnes a instauré la gratification et la sanction financière des fonctionnaires en fonction de critères d'évaluation précis.

La mairie de Suresnes a instauré la gratification et la sanction financière des fonctionnaires en fonction de critères d'évaluation précis. - Franek - Flickr - CC

Le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, se déclare favorable à une plus grande prise en compte de la performance dans la rémunération des fonctionnaires. Une idée loin d'être nouvelle.

Voilà qui risque de défriser les moustaches de Philippe Martinez, le secrétaire général de la CGT, qui les porte fournies. Le ministre de l'Économie, Emmanuel Macron, s'est prononcé en faveur d'une plus grande part de rémunération au mérite pour les fonctionnaires.

"Je pense qu'il faut accroître la part de mérite, la part d'évaluation, dans la rémunération de la fonction publique", a affirmé le ministre sur Europe 1, soulignant toutefois qu'il s'agissait "d'une conviction personnelle". Une mesure à laquelle la CGT, syndicat majoritaire dans le public, s'oppose par principe. Trois questions sur un sujet loin d'être nouveau.

Le salaire des fonctionnaires est-il fixe?

Non, loin de là. Pas besoin de changer les textes de loi puisque le revenu net des fonctionnaires se compose déjà d'une part variable, qui s'ajoute au traitement calculé à partir du point d'indice. De multiples systèmes de primes, normalement conditionnées aux performances, existent. Ils sont réunis sous le terme barbare de "régime indemnitaire".

"Du temps où je travaillais au ministère de la Culture, on pouvait déjà voir son régime indemnitaire baisser ou augmenter en fonction de ses performances", explique Jean-Marc Canon, aujourd'hui secrétaire général de la CGT-Fonctionnaires. À l'époque, les cadres disposaient d'une enveloppe fixe dédiée aux primes. "Pour augmenter la gratification de ceux qui avaient bien travaillé, il fallait baisser celle d'autres, qui voyaient du coup leur revenu baisser", souligne-t-il.

Pourquoi vouloir le réformer ?

Dans les faits, les critères d'attribution et les montants diffèrent d'une fonction publique à l'autre, d'un ministère à l'autre, d'une collectivité territoriale à l'autre, d'un sexe à l'autre. "Comment mesurer objectivement l'efficacité des agents sans critère objectif, catégorie par catégorie, et objectif précis et consensuel?", demande Alain Tourret, député radical de gauche et auteur d'un rapport sur le sujet.

La précédente mandature avait déjà tenté d'harmoniser et de rendre moins opaques ces formes de rémunération. En 2008, le gouvernement Sarkozy avait instauré la prime à la performance individuelle, censée remplacer les différents systèmes de bonus. Mais entre l'annonce et la parution du texte l'instaurant, elle a été vidée de sa substance: elle ne se serait appliquée qu'à une toute petite portion des agents d'État, et les syndicats avaient obtenu qu'elle n'entame en aucun cas le pouvoir d'achat des "mauvais élèves".

Du coup, elle a été supprimée par Marylise Lebranchu, la ministre de la Fonction publique en 2014. La même qui déclarait ce mardi sur BFM être favorable à la rémunération au mérite, à condition que cela soit fait en accord avec les syndicats.

Qu'en pensent les principaux intéressés ?

Une enquête parue en 2012 cassait les idées reçues à ce sujet. Parmi les fonctionnaires répondant, une large majorité (71%) anticipait avec bonheur une rémunération davantage liée au mérite, selon cette étude Deloitte en collaboration avec l'Ifop.

Reste que la CGT, qui reste le premier syndicat de la fonction publique avec 23% des voix, y est farouchement opposée. "Certaines communautés territoriales pauvres n'ont pas les moyens de verser des primes", justifie Jean-Marc Canon. Or c'est le seul élément de rémunération sur lequel on peut jouer. Pour lui, la récompense du mérite doit donc s'appliquer sur l'évolution de carrière -mutation dans un secteur plus ou moins généreux, attribution d'un grade en plus ou moins de temps- plutôt que directement sur les primes. Des évolutions de carrière qui auraient, de fait, un impact à la hausse (mais pas à la baisse) sur les revenus des agents.

Localement pourtant, comme à la mairie de Suresnes (voir encadré), des représentants de la centrale ont accepté de jouer le jeu de la sanction en cas de mauvaise performance. Mais ils risquent, selon Alain Tourret, "de ne pas garder longtemps l'étiquette de la centrale".

À Suresnes, des fonctionnaires gratifiés au mérite… ou sanctionnés

La municipalité de la ville des Hauts-de-Seine a annoncé en juin qu'elle commencerait à payer ses agents au mérite, et à les sanctionner s'ils ne sont pas efficaces. Avec l'accord de la CGT locale, la mairie a fixé des critères d'évaluation. Certains mesurables, comme l'assiduité et le respect des délais, d'autres plus sujets à interprétation, comme l'adaptation au changement et la créativité et le goût pour l’innovation.

Des entretiens annuels d'évaluation sont en train d'être menés. Les employés de la ville se verront attribuer des appréciations. S'ils récoltent la mention, "bon", "très bon" ou "exceptionnel", ils pourront gagner jusqu'à 135 euros de plus. Au contraire, si leur bilan est "à améliorer", ou "très insuffisant", leur "régime indemnitaire" pourrait diminuer. La déflation pourrait atteindre 90 euros nets pour les moins bien notés.

Tous les 1.300 agents de la mairie de Suresnes ne verront pas forcément leur salaire réévalué. Il est pour l'instant prévu que seuls les deux extrêmes soient sanctionnés à la hausse ou à la baisse. Pour les autres, la mairie statuera "en fonction des retours d'expérience pour respecter un budget constant", explique le porte-parole de la municipalité. Une revue de tous les comptes-rendus d'évaluation, soit 1.300 documents de douze pages, doit être réalisée avec les partenaires sociaux pour les contrôler, lisser les résultats. "S'assurer qu'il n'y ait pas des services qui notent très large et d'autres très sec". Les effets concrets sur les fiches de paie seront visibles en avril 2016.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco