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A quoi va ressembler la taxe Gafa  à la française ?

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. - Eric PIERMONT / AFP

Face à la crise des gilets jaunes et aux hésitations de l'Europe, le gouvernement a décidé de taxer les groupes numériques dès le 1er janvier en France. Cette taxe devrait rapporter 500 millions d'euros en 2019, selon le ministre de l'Economie Bruno Le Maire. Mais de nombreuses interrogations persistent.

En changeant d'approche sur la taxe Gafa, le gouvernement a créé la surprise. "La taxe s'appliquera en tout état de cause au 1er janvier 2019 et elle portera donc sur l'ensemble de l'année 2019 pour un montant que nous évaluons à 500 millions d'euros", a affirmé mardi Bruno Le Maire. Le message est clair : la France n'attendra pas un éventuel accord au niveau européen pour adapter la fiscalité des géants du numérique. 

L'objectif est d'appliquer dès 2019 une taxe qui reprendra les grandes préconisations du projet présenté par la Commission européenne en mars dernier, à l'initiative de la France. Ainsi, selon l'entourage de Bruno Le Maire, il s'agit de reprendre le principe d'une taxe à 3% sur le chiffre d'affaires, tiré des revenus publicitaires ou de la vente de données personnelles (Google, Facebook, Twitter, etc.) ou généré par les activités d'intermédiaire de vente de biens et de services (Booking, Uber, Ebay, marketplace d'Amazon, etc.). Le e-commerce ne rentrera pas dans le périmètre de la taxe, ni les fournisseurs de contenu comme Netflix ou Spotify. 

On peut imaginer que Bercy reprenne aussi les autres critères de la Commission, c'est à dire que la taxe soit appliquée aux entreprises qui réalisent au moins 750 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont 50 millions d'euros en Europe. Au total une grosse centaine de groupes, pour moitié américains, un tiers asiatiques et le reste européens seraient concernés, selon les estimations qu'avait fait Bruxelles en début d'année.

500 millions d'euros en 2019

Le ministre de l'Economie estime le rendement de la taxe à 500 millions d'euros en 2019. Il s'agit sans doute d'une extrapolation à partir des calculs de la Commission européenne, qui tablait sur environ 5 milliards d'euros au niveau du continent pour la même année 2019. Bruxelles était arrivé à ce montant en se basant à la fois sur des estimations de chiffre d'affaires fournis par différents cabinets spécialisés (comme Statista) et par une analyse du nombre de visiteurs européens rapporté à l'activité mondiale des sites et des plateformes concernés par la taxe.

Mais comment s'assurer que les groupes numériques s'acquitteront bien de la future taxe ? Là encore, le projet français reprend les préconisations européennes : les entreprises concernées devront déclarer elle-même le chiffre d'affaires des activités taxées au fisc, qui sera ensuite chargé de collecter l'impôt et d'entamer des vérifications en cas de doute. "Le dispositif n'est pas évident à contrôler de manière exhaustive, mais des outils, comme les déclarations de TVA, sont efficaces pour recouper les déclarations de chiffre d'affaires", estime Vincent Renoux, avocat fiscaliste au cabinet Stehlin & Associés. Les données de trafic web peuvent aussi s'avérer utiles dans certains cas. 

Un contrôle du fisc possible

Ainsi, pour Google par exemple, le fisc pourrait se rapprocher des annonceurs français qui lui ont acheté de la publicité pour tenter de confirmer les sommes avancées par le géant américain. Dans le cas de Booking, il pourrait être demandé aux hôteliers français de faire remonter à l'administration fiscale le montant des commissions versées à la plateforme de réservation. Idem pour Amazon et ses vendeurs tiers ou Uber et ses chauffeurs. En revanche, les vérifications pour les revenus tirés de la revente de données personnelles pourraient s'avérer plus complexes, en raison du nombre d'intermédiaires, de différents pays, pouvant être impliqués dans une transaction, estime Vincent Renoux.

Les principaux concernés, eux, se montrent prudents mais ouverts. "Nous continuerons à respecter nos obligations fiscales telles que définies par les législations française et européennes", a indiqué à l'AFP un porte-parole de Facebook après l'annonce. "Google paiera s'il y a une taxe sur le chiffre d'affaires qui est mise en place" en France ou dans l'Union européenne, a indiqué, pour sa part, Sébastien Missoffe, le directeur général de la filiale française du géant californien lors d'un petit déjeuner de l'Association des journalistes économiques et financiers (Ajef). "Mais je ne peux pas répondre sur son montant, car la façon dont elle sera calculée n'a pas été communiquée", a-t-il ajouté.

Selon Vincent Renoux, Bercy n'aura, en tout état de cause, pas de difficulté à déclencher un redressement, à partir du moment où l'entreprise à une présence physique en France (c'est le cas des principaux Gafa), même si la facturation a lieu dans un pays étranger. A l'inverse, en l'absence de présence en France (et de surcroît en l'absence de présence en Europe), le recouvrement de l'impôt pourrait s'avérer bien plus difficile.

Le problème de la rétroactivité

Pour éviter le risque de double peine pour les entreprises françaises ou européennes, concernées par la taxe, mais qui payent déjà leurs impôts en France, Paris pourrait reprendre à son compte une préconisation du plan européen. Le montant de la taxe Gafa serait ainsi déductible de l'impôt sur les sociétés, avec à l'arrivée un impact censé être neutre pour les groupes à la fiscalité vertueuse. 

Un dernier problème subsiste toutefois. C'est le calendrier. Car avant de faire voter la taxe, le gouvernement veut attendre le prochain sommet européen du mois de mars, où une version édulcorée de la taxe Gafa sera à nouveau débattue. Paris espère toujours obtenir un accord européen, même a minima, avant de mettre en place sa propre taxation. Bercy envisage donc d'intégrer la taxe Gafa au projet de loi Pacte, dont le vote final est prévu au printemps. Les entreprises seraient alors taxées rétroactivement à partir du 1er janvier. 

"Le Conseil constitutionnel interdit la grande rétroactivité : vous ne pouvez pas faire appliquer une taxe au 1er janvier si elle est votée après", explique Valérie Rabault, présidente du groupe PS à l'Assemblée nationale, dans le Monde. "Il y a un vrai problème de rétroactivité", confirme l'avocat fiscaliste Vincent Renoux.