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Bercy tergiverse face aux greffiers des tribunaux de commerce

Emmanuel Macron s'est attaqué à un lobby puissant, qui dispose d'une rente opulente

Emmanuel Macron s'est attaqué à un lobby puissant, qui dispose d'une rente opulente - Charly Triballeau AFP

Dans sa loi, le ministre de l'Economie Emmanuel Macron veut rendre gratuites les informations commerciales et financières sur les entreprises. Mais il doit faire face au puissant lobby des greffiers.

Mise à jour: le 11 janvier, le gouvernement a redéposé un nouvel amendement, qui stipule: "l'INPI assure la diffusion et la mise à disposition gratuite du public, à des fins de réutilisation, des informations techniques, commerciales et financières qui sont contenues dans le RNCS". Cet amendement a été adopté jeudi 15 janvier par la commission spéciale de l'Assemblée nationale.

Les greffiers des tribunaux de commerce font partie des professions réglementées à laquelle la loi Macron veut s'attaquer. Mais Bercy a bien du mal face à ce lobby. 

Objet du bras de fer: les informations concernant les entreprises: immatriculations, comptes, etc. Ces informations sont collectées par les greffiers des tribunaux de commerce, puis centralisées dans le registre national du commerce et des sociétés (RNCS), qui est tenu par l'Institut national de la propriété intellectuelle (INPI). En bout de chaîne, ces informations sont revendues fort cher par des sites comme Infogreffe, societe.com...

Partant la fleur au fusil, Emmanuel Macron voulait rendre ces données gratuites. Une première version confidentielle de la loi, dont BFM Business a obtenu copie, stipulait ainsi: "l’INPI assure la mise à disposition gratuite du public à des fins de réutilisation, des informations techniques, commerciales et financières contenues dans le RNCS".

Une ordonnance floue

Une disposition qui a rendu furieux ces chers greffiers, qui ont réussi à faire reculer le ministre de l'Economie. En effet, ce passage a disparu de la version présentée en conseil des ministres, puis déposée à l'Assemblée nationale. Cette dernière prévoit désormais une ordonnance assez vague, "permettant de faciliter l’accès du public aux données contenues dans le RNCS, ainsi que la réutilisation de ces informations, en modifiant les conditions dans lesquelles l’INPI centralise le RNCS". Bref, le mot gratuit a disparu du projet de loi -même s'il reste dans l'exposé des motifs et l'étude d'impact (cf. ci-dessous).

Puis, la semaine dernière, le gouvernement a tenté un nouvel assaut. Le 8 janvier, il a déposé un amendement revenant à son texte initial: "l'INPI assure la mise à disposition libre et gratuite du public, à toutes fins de réutilisation, des informations techniques, commerciales et financières qui sont contenues dans le RNCS". Mais le gouvernement a ensuite retiré son propre amendement...

Tarifs les plus chers d'Europe

C'est d'autant plus regrettable que les prix des données sur les entreprises sont parmi les plus chers d'Europe. Ainsi, acheter les comptes annuels d'une entreprise coûte 9,36 euros chez Infogreffe, contre une livre en Grande-Bretagne (environ 1,30 euro), 3 euros aux Pays-Bas, ou un euro au Luxembourg. Et c'est même totalement gratuit en Belgique!

Rappelons qu'Infogreffe est un groupement d'intérêt économique constitué par les différents greffiers, qui se partagent donc ses revenus. Ainsi, en 2013, Infogreffe leur a reversé 49,5 millions d'euros, soit 439.292 euros HT par greffe. Cette manne représente 23% des revenus des greffes.

Rente astronomique

Pire: les greffiers de tribunaux de commerce, grâce à leur monopole, ne sont pas à plaindre, avec des revenus astronomiques. Selon un rapport de l'Inspection des finances, leur rémunération s'élève en moyenne à 27.236 euros par mois lorsqu'ils sont en entreprise unipersonnelle, et à 43.740 euros par personne lorsqu'ils sont associés à plusieurs. "C'est 13,3 fois le revenu net annuel moyen d'un salarié en France", pointe l'Inspection des finances, qui "n'a pas identifié de justification économique à ce niveau de rémunération", et pointe "une rente non justifiée". 

Même son de cloche chez l'Autorité de la concurrence, qui, dans un avis publié mardi 13 janvier, dénonce: "la rentabilité de la profession (44% de marge nette) se situe à un niveau particulièrement élevé, notamment par rapport aux notaires (+10 points de rentabilité environ)". Dans cet avis, le gendarme de la concurrence propose de réduire drastiquement les prix de vente par internet, et d'offrir "un accès plus ouvert aux données".

Rester dans la famille

Evidemment, un tel fromage est conservé jalousement: "la transmission des greffes est marquée par le poids des familles, qui organisent la transmission des structures entre parents et enfants, limitant la possibilité d'accès à de nouveaux entrants. Trois des quatre greffes de petite couronne de Paris, parmi les plus importants de France, sont caractérisés par l'association d'un greffier et de ses enfants. Et trois frères et leurs enfants contrôlent 4 greffes", relève le rapport de l'Inspection des finances.

Interrogée, la porte-parole d'Emmanuel Macron n'a pas répondu.

L'exposé des motifs de la loi Macron

"L’article 19 vise à permettre l’ouverture et le partage gratuit des données du RNCS. La réforme permet de confier à l’INPI la mission d’assurer la diffusion gratuite des données retraitées informatiquement contenues dans le RNCS à des fins de réutilisation"

L'étude d'impact de la loi Macron

"La mesure vise à améliorer la diffusion et la réutilisation des informations du RNCS par une politique de diffusion libre, facile et gratuite. [...] Le gouvernement souhaite confier à l'INPI une nouvelle mission d'ouverture et de partage gratuit des données de ce registre. [...] Le projet pourrait confier une nouvelle mission à l'INPI visant à assurer la diffusion et la mise à disposition gratuite du public des informations techniques, commerciales et financières contenues dans le RNCS.  

Le monopole de fait des greffiers pour la diffusion électronique des données du RNCS auprès des licenciés de l'INPI, qui vient s’ajouter à leur monopole pour la délivrance de copies d’actes officiels, ne parait pas justifié économiquement. 

D’un point de vue économique, les restrictions par le prix dans l’accès aux données publiques sont sous-optimales. En effet, un prix d’accès élevé aux informations publiques tend à ériger des barrières artificielles pénalisant l’agrégation et la diffusion des données. En favorisant le renforcement d’oligopoles restreints dans l’accès à l’information, ce modèle est fortement dommageable à la concurrence, à la croissance, et donc à l’emploi.

La tarification au coût marginal est le mode de tarification des informations du secteur public préconisé par le droit européen. À l’heure du numérique, les coûts de duplication et de diffusion sont de plus en plus réduits, de sorte que le coût marginal d’usage d’une information déjà produite tend vers la gratuité".

Jamal Henni