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Budget : l'Elysée contre Bercy

L'Elysée met l'administration sous tension

L'Elysée met l'administration sous tension - BENOIT TESSIER / POOL / AFP

Entre l'Elysée, qui veut respecter ses promesses en faveur du pouvoir d'achat, et Bercy, qui veut limiter la facture, les arbitrages auront été particulièrement délicats à faire. Dernière illustration, mardi, avec l'annulation, puis finalement le maintien, d'une partie des premières mesures annoncées par Edouard Philippe mi-novembre.

Un nouveau rétropédalage vient de secouer la Macronie. Mardi, en fin de journée, les services d’Edouard Philippe font savoir que le coup de pouce au chèque-énergie, qui devait profiter à 2 millions de ménages supplémentaires, allait être annulé. Tout comme le relèvement du barème kilométrique et le doublement de la prime à la conversion. Des gestes annoncés par Edouard Philippe mi-novembre, au début du mouvement des "gilets jaunes", mais qui - selon Matignon - ne s'imposaient plus puisque la hausse de la Taxe Carbone avait été annulée.

Des députés pas si godillots

Trois heures plus tard, volte-face de Matignon : face au tollé provoqué par cette décision, l'annulation... est annulée. Car les députés LREM ont été sidérés. Ils ont appris par une dépêche AFP, alors qu’ils siégeaient dans l’hémicycle, l’intention de Matignon de revenir sur certaines mesures de pouvoir d’achat. Impensable, selon eux, de tenir un raisonnement comptable pour supprimer une mesure aussi symbolique que l’extension du chèque énergie. Pour 130 millions d'euros d’économies, ils allaient envoyer un signal négatif à 2 millions de ménages, alors même qu’ils s'apprêtaient à voter un paquet de mesures de pouvoir d’achat à 10 milliards d’euros !

« Cela fait un mois qu’on se fait insulter jour et nuit dans nos circonscriptions…Quand on a vu ça, on s’est alors dressé comme un seul homme ! », nous raconte un des élus. Ils ont alors averti le cabinet d’Edouard Philippe qu’ils n’hésiteraient pas à s’opposer au gouvernement dans l’hémicycle. Face à la détermination de sa majorité, Matignon n’a eu d’autres choix que de reculer. « Les députés godillots qu’on nous reprochait d’être, ont compris le travail parlementaire », nous affirme un des élus En Marche qui a mis la pression sur Matignon.

La politique contre les "technos"

Ce couac résume parfaitement la bataille qui se joue en ce moment, et depuis le début de la crise, celle du politique contre la technostructure. Ce que résume ainsi sur notre antenne le patron des députés En Marche Gilles Le Gendre : « Il y avait une logique technique à supprimer l’extension du chèque énergie, mais politiquement ça ne tenait pas la route ». Voilà d’ailleurs un des grands enseignements tirés de la crise des gilets jaunes : la réponse politique devient plus importante que la logique budgétaire.

La séquence qui se joue en ce moment est capitale pour Emmanuel Macron. L’enjeu est désormais de traduire en mesures simples et lisibles les annonces faites par le chef de l'Etat le 10 décembre. Mais difficile d’y répondre en ces termes à Bercy, tant la tuyauterie fiscale et sociale est complexe.

Le casse-tête de la traduction de la hausse de 100 euros du revenu sur les bas salaires reflète d’ailleurs la complexité du sujet. À l’arrivée, la promesse politique initiale ne sera pas respectée stricto sensu puisque 45% des smicards ne bénéficieront pas de cette hausse. En revanche, avec le schéma retenu (celui d'une augmentation de la prime d'activité), il y a aura beaucoup plus de bénéficiaires (5 millions de foyers). Un arbitrage rendu au nom de la justice sociale, mais vis-à-vis de la promesse initiale, les frustrations que cela risque d’engendrer pourraient effacer le bénéfice politique d’une telle mesure. Difficile donc de traduire encore de manière très lisible des promesses claires.

L'Elysée met l'administration sous tension

En revanche, Emmanuel Macron n’hésite plus à engager le bras de fer avec l’administration. Déjà, fin août le chef de l’Etat avait mis sous pression la puissante direction générale des finances publiques (Dgfip), en émettant publiquement des doutes sur la mise en œuvre du prélèvement à la source. À l’époque, l’Elysee avait dû en arriver là, pour faire plier Bercy et obtenir des avances de crédits d’impôts pour 3 millions de ménages qui, sans ce geste, auraient perdu du pouvoir d’achat.

Emmanuel Macron, lui-même ancien de l’Inspection Générale des Finances, connaît parfaitement le fonctionnement et le pouvoir de l’administration fiscale. Il a aussi le souvenir en 2013 des promesses politiques de son prédécesseur François Hollande, dont il était le conseiller, qui prévoyait d’augmenter les impôts des classes supérieures. Mais il avait raté sa cible : 1 million et demi de foyers non imposables s’étaient retrouvés assujettis à l’Impôt sur le Revenu en 2013.

Voilà donc ce qui se joue aujourd’hui et que résume ainsi le nouveau dirigeant du parti En Marche Stanislas Guerini : « L’emprise de la technostructure, c’est fini. Ce que nous vivons c’est aussi le retour du politique. »