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Finances publiques

Dette : le 10 ans français, pour la première fois en territoire négatif

L'Agence France Trésor, à Bercy, là où la France lève sa dette sur les marchés.

L'Agence France Trésor, à Bercy, là où la France lève sa dette sur les marchés. - ERIC PIERMONT / AFP

Des propos de Mario Draghi laissant la porte ouverte à une nouvelle baisse des taux de la BCE ont fait plonger mardi les taux d'emprunt en zone euro, ce qui a même valu au rendement français à dix ans de brièvement passer en territoire négatif, une première dans son histoire.

Le rendement obligataire de la France à échéance dix ans est en tombé jusqu'à -0,0018% peu après 15 heures, avant de repasser en territoire positif. Une telle incursion en territoire négatif, c'est tout simplement une première. Les taux de même échéance de l'Autriche et de la Suède sont également passés sous zéro. Une petite phrase du président de la BCE a pris tout le monde de cours sur les marchés.

"Nous nous attendions à une journée relativement calme avant la Fed demain et puis Mario Draghi a fait une déclaration tonitruante à Sintra puisqu'il a clairement expliqué que la Banque centrale européenne n'hésiterait pas à agir si la conjoncture l'exigeait, que ce soit à travers une baisse des taux ou une reprise même du programme de +quantitative easing+ (rachats massifs par une Banque centrale de titres de dettes aux acteurs financiers, NDLR)", qui avait été interrompu à la fin de l'année dernière", a expliqué auprès de l'AFP Eric Bourguignon, directeur général délégué de Swiss Life Asset Management France.

Nette baisse des taux en Europe du sud également

"De nouvelles réductions des taux directeurs et des mesures d'atténuation visant à en limiter les effets secondaires font toujours partie de nos outils", a indiqué le président de la BCE en ouverture du séminaire annuel de l'institution se tenant à Sintra, au Portugal. "Conséquence: nous assistons à une chute assez brutale des taux d'intérêt", a relevé M. Bourguignon. "Même s'ils étaient dans une tendance fortement baissière, il y a une accélération du processus" dans le sillage des propos de M. Draghi, a-t-il ajouté. "D'une manière générale, l'ensemble des dettes des pays périphériques (les moins solides de la zone euro, NDLR) réagissent un peu plus fortement que le taux allemand à dix ans, autrement dit les écarts de taux entre ces pays et l'Allemagne se réduisent encore davantage", a noté le spécialiste.

Début juin déjà, lors de sa traditionnelle réunion de politique monétaire, l'institut de Francfort avait discuté d'une baisse des taux, maintenus à leur plancher historique depuis mars 2016, mais sans que cette perspective ne paraisse aussi concrète. "Nous n'attendions pas à ce stade un tel discours, surtout qu'il intervient peu de temps après les dernières déclarations de la BCE", a complété M. Bourguignon. Mario Draghi "avait été assez modéré dans ses propos, ne fermant aucune porte mais ne suscitant pas spécialement d'espoir exagéré alors que là, c'est plus qu'une préparation à une baisse des taux, c'est quasiment une déclaration de la prochaine baisse des taux et/ou de reprise du +quantitative easing+", a encore estimé M. Bourguignon.

Réunion de la Fed

En outre "cela intervient à la veille d'une décision de la Fed dont on attend aussi probablement un discours qui attisera les espoirs de relâchement monétaire", même s'il "n'est pas du tout acquis (que la Banque centrale américaine) baisse ses taux demain", a-t-il poursuivi.

La Réserve fédérale américaine (Fed) a débuté mardi, sous la pression de Donald Trump et des marchés, une réunion monétaire de deux jours, qui doit se conclure mercredi à 18H30 GMT par une conférence de presse de Jerome Powell, son président, après la publication du traditionnel communiqué et de nouvelles prévisions économiques. Peu avant le début de cette réunion monétaire, le président américain a en effet accusé la BCE et son président Mario Draghi d'affaiblir "injustement" l'euro par rapport au dollar en évoquant de possibles "nouvelles baisses" des taux européens, ce que l'intéressé a immédiatement démenti. 

"Bad news is good news"

Si au final , ce mouvement des grandes banques centrales vers une politique plus accommodante est révélateur d'une situation économique qui se dégrade, on observe malgré tout une forte hausse des marchés actions, le CAC 40 terminant la séance ce mardi sur une hausse de 2,2%. Nicolas Chéron, responsable de la recherche marchés chez Binck.fr l'expliquait sur BFM Business dans l'émission Intégrale Bourse, au moment où on observait ces mouvements de marché. "C'est le retour du 'bad news is good news'. Mario Draghi nous dit que si la situation empire, la BCE sera là pour intervenir. Résultat, les marchés montent" et d'ajouter, "c'est un peu fou mais c'est la logique des liquidités à outrance depuis 5-6 ans. Si les chiffres économiques sont mauvais, ça veut dire que la BCE sera là, donc le marché se tient. Personne ne sait ce qui va se passer dans les mois qui viennent car s'il y a crise, quelles sera la marge de manoeuvre des banquiers centraux puisqu'ils ont mis tout l'arsenal sur la table ?".

Bulles financières et États trop laxistes

Inquiétude partagée par Wilfrid Galand, responsable stratégiste chez Montpensier Finance, également dans l'émission Intégrale Bourse. "Tout devient beaucoup plus facile à financer et donc vous risquez de créer des bulles financières, et des mauvaises allocations dans votre économie, que vous allez payer plus tard".

Wilfrid Galand pointe du doigt cet argent facile pour des États qui auraient pourtant besoin de lourdes réformes : "Avec des taux à zéro, il est beaucoup plus facile pour l'Etat de s'endette et donc de financer des mécanismes peu rigoureux de finances publiques. Vous n'avez plus cette force de rappel qui vous dit : 'si vous voulez faire ça, ça a un prix'. Regardez l'Italie : on est à 2% sur la dette italienne, au même niveau que la dette américaine ! C'est positif à court terme pour l'Europe, ça redonne des marges de manoeuvre mais que va-t-on en faire ? Réformes, pas réformes ? à caractère structurel ou pas ? l'avenir nous le dira. Je ne suis pas hyper positif".

Fabien CHAMBLANC avec AFP