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Dons pour Notre-Dame : pourquoi les réductions d’impôts créent la polémique

Vue aérienne de la cathédrale Notre-Dame de Paris.

Vue aérienne de la cathédrale Notre-Dame de Paris. - Lana Sator / CNN

Si l’argent coule à flots, les critiques se multiplient. Car à travers la niche fiscale du mécénat, les entreprises donatrices s’offrent de colossales baisses d’impôts.

Quasiment immédiatement après l’incendie, les grandes fortunes de France et de nombreuses entreprises ont annoncé des dons massifs pour aider à la restauration de Notre-Dame de Paris.

A ce jour, ils atteignent plus de 850 millions d’euros et devraient dépasser le milliard avant la fin de la semaine. Une bonne nouvelle pour la cathédrale, Paris et la France mais ce sentiment s’est vite transformé en polémique.

De nombreux politiques à gauche se sont étonnés de voir autant d’argent couler à flots, si rapidement pour un monument historique alors qu’il semble toujours si difficile à trouver pour les plus pauvres. Surtout, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer le coup de communication des entreprises donatrices et les gains en termes de fiscalité.

En effet, les acteurs du privé profitent d’une réduction d’impôt sur les sociétés (IS) portée à 60% du montant du don effectué. Et ce, dans la limite de 0,5% du chiffre d’affaires hors taxe de l’entreprise.

Une pratique qui leur permet de largement alléger leur imposition tant au niveau du montant que dans la durée (les organisations pouvant reporter ce crédit d’impôt pendant 5 ans).

800 millions de dons = 150 millions en moins dans les caisses de l’Etat

Face à ce début de polémique, la famille Pinault a annoncé avoir renoncé à sa réduction d'impôt. C'est le seul donateur à l'avoir fait pour le moment.

Mais pour Jean-Jacques Manceau, éditorialiste spécialisé dans l’économie et auteur du blog Mylittlemoney, c'est tout le dispositif qui est à revoir. « Les entreprises font du mécénat d’image. Certes, les sociétés ne peuvent pas donner de l’argent à l’instance de leur choix dans le sens où il faut que le bénéficiaire soit un organisme d’Etat, ou une association au profil bien spécifique. Pour autant, cette opération revêt un avantage non négligeable pour les entreprises. Le fait que la réduction s’applique dans la limite de 0,5% de leur chiffre d’affaires si bien que le crédit d’impôt qui leur est octroyé s’avère colossal au final ».

Et d’enfoncer le clou : « Aussi, l’idée de l’ancien ministre de la Culture Jean-Jacques Aillagon (le père de la loi sur le mécénat) de faire de Notre-Dame un « trésor national » (statut actuellement réservé aux œuvres d’art) afin que les dons, pour sa reconstruction, puissent bénéficier d’une réduction d’impôts de 90% ne me semble pas pertinente ».

Concrètement, « sur les 800 millions d’euros de dons effectués, c’est au moins 150 millions d’euros qui n’entreront pas dans les caisses de l’Etat. Quant à la somme de 900 millions d’euros par an annoncée, celle-ci correspond au manque à gagner pour l’Etat que génère le mécénat d’entreprises. En passant par ce biais, les sociétés font de la communication à bon compte et les dons effectués ne leur coûtent, in fine, quasiment rien. Selon moi, la niche fiscale qu’est le mécénat est presque honteuse », assène le spécialiste. « Ce qu’il s’est produit à Notre-Dame va au moins avoir le mérite de reposer la question de la niche fiscale qu’est le mécénat ».

Pourquoi alors maintenir ce dispositif si coûteux fiscalement ? Pour Jean-Jacques Manceau, « cela permet à l’Etat de financer des rénovations sans avoir à débourser de l’argent. Clairement, il est plus simple pour l’Etat de créer une niche fiscale que de payer des travaux. Imaginez ce qu’il pourrait se passer si l’on demandait soudainement au gouvernement de sortir un milliard d’euros de sa poche pour financer les travaux de Notre-Dame ? Avec le mécénat d’entreprises, aucun souci ».

La véritable question aujourd’hui tient au fait de se demander s’il faut « oui » ou « non » étendre le mécénat ou bien le réduire. Ce sera à Emmanuel Macron d’en décider. « Je ne crois pas que cela soit possible. Le plus souvent, on supprime une niche fiscale pour en recréer une nouvelle dans la foulée. Cela ne sert strictement à rien. Il convient avant tout de réaliser de véritables études d’impacts. Ce à quoi s’emploie déjà la Cour des comptes au demeurant », conclut le spécialiste.

Julie COHEN-HEURTON