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Ghosn : les arguments qui ont pesé

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- - Ludovic Marin- AFP

L’ancien patron de Renault accepte la remise en liberté sous surveillance permanente, négociée par son nouvel avocat.

Le nouvel avocat de Carlos Ghosn a su trouver les bons arguments pour démonter l'accusation et convaincre le tribunal d'accepter la troisième demande de remise en liberté de l'ex-PDG de Nissan malgré l'absence d'éléments nouveaux.

« Pour moi, ce n'est pas une surprise, cela me semble naturel, logique, c'est plutôt le fait que ce n'ait pas été accepté plus tôt qui m'étonnait », commente l'avocat Nobuo Gohara. « Je pense que c'est le contenu de la requête de l'avocat qui a changé la donne. Le précédent défenseur, Motonari Otusru, était un ex-procureur qui a toujours gardé le point de vue de procureur et n'a pas argumenté suffisamment pour convaincre le juge », explique ce spécialiste, qui se passionne depuis le début pour cette affaire. Mais cette fois, Me Junichiro Hironaka, surnommé « l'innocenteur » ou « le rasoir », a aiguisé sa lame et a « sans doute mis toutes ses forces pour emporter la décision du juge.

En clair, il a su prouver qu'il n'y avait pas de risque d'altération de preuves, ce que n'avait pas su faire le précédent avocat, face auquel la puissance des arguments des procureurs avait gagné faute d'être contrée », ajoute Nobuo Gohara.

« Propositions concrètes »

Du fait de l'affaire Ghosn et de son retentissement planétaire, de nombreuses critiques ont plu sur le système judiciaire japonais, qui permet de garder à vue un suspect pendant plus de 20 jours, de l'arrêter plusieurs fois puis de le maintenir des mois en détention provisoire après son inculpation dans l'attente de son procès. Mais pour Me Gohara, « la décision du tribunal n'a pas été influencée par les critiques extérieures, il a juste été forcé d'accepter la requête de mise en liberté au regard des arguments de la défense ».

Lors d'une conférence de presse donnée lundi, le principal avocat japonais de Carlos Ghosn avait expliqué avoir suggéré différents moyens au tribunal pour montrer que les risques étaient faibles s'il sortait de prison. « Par exemple, nous avons proposé de limiter ses communications avec l'extérieur par ordinateur et une surveillance par caméras », a précisé Junichiro Hironaka. « Ces propositions concrètes ont sans doute fait la différence, il est sûr qu'elles ont été plus convaincantes », convient aussi Yasuyuki Takai, avocat et ex-membre de l'Unité spéciale d'enquête qui a arrêté Carlos Ghosn.

« La durée déjà passée en détention, plus de 100 jours », a aussi pu jouer, ajoute Takao Nakayama, professeur de droit à l'Université Chuo à Tokyo. Lundi, la famille de Carlos Ghosn avait décidé de porter le dossier devant les Nations Unies, très exactement le Bureau des détentions arbitraires, arguant que les conditions de détention empêchait la préparation d’une défense sereine : « la lumière est allumée en permanence, il doit dormir sur le dos, visage découvert ».

Pression toujours vive des procureurs

« De plus, le juge est différent, ce n'est pas le même que la première ou la deuxième fois, et cela compte aussi dans la façon de regarder le dossier », ajoute Yasuyuki Takai, désormais aussi avocat. Enfin, « ces derniers temps, le tribunal a davantage tendance à accepter les mises en liberté sous caution, même si cela dépend des cas. Je pense que cette décision s'inscrit dans ce contexte », ajoute-t-il. « Cependant, le tribunal créé aussi un précédent s'il a autorisé cette libération avec des moyens particuliers inédits. Si jamais il ne fait pas de même dans des cas ultérieurs, certains dénonceront un traitement spécial pour Ghosn et le tribunal sera critiqué », souligne-t-il.

Et les procureurs n'ont sans doute pas dit leur dernier mot: « Bien sûr, les enquêteurs ne veulent absolument pas qu'il soit libéré. Il est donc en effet possible qu'ils fassent tout pour l'arrêter de nouveau », indique Me Gohara. « Compte tenu du nombre d'informations sur les soupçons portés contre M. Ghosn divulguées par Nissan, la possibilité qu'il soit arrêté est à mon avis de l'ordre de 50%. Connaissant le bureau des procureurs, il est certain qu'ils veulent le réarrêter, pour peu qu'ils aient des éléments à charge ». S'il était de nouveau placé en garde à vue, il faudrait des éléments solides et les critiques redoubleraient, soulignent cependant ces interlocuteurs

Rédaction avec AFP