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Immobilier : votre ville freine-t-elle la construction à l'approche des municipales ?

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Enquête. L'approche des élections municipales se traduit quasi systématiquement par un ralentissement de la construction de logements. Mais quelles sont les municipalités qui bloquent le plus?

C'est une tradition dont les promoteurs aimeraient bien se passer. Tous les six ans environ, un grand nombre d'élus locaux décident de lever le pied sur la délivrance de permis de construire. Pourquoi ? Parce que les élections municipales approchent et que beaucoup de maires craignent ce célèbre adage, « un maire qui bâtit est un maire battu ». Et les élections de 2020 ne feront visiblement pas exception à la règle.

La construction en période électorale : enjeu crucial et omerta

La poussière, les gravats, les grues, la vue, la perspective de nouveaux voisins... Pour beaucoup de maires qui souhaitent le rester, pas question de nuire au quotidien des habitants et donc des électeurs. Les professionnels de la construction le savent, à l'approche des municipales, ils doivent mettre entre parenthèses un grand nombre de projets immobiliers.

Cela pose évidemment un problème en terme d'intérêt général face à une demande croissante et ininterrompue de logements. Problème aussi pour les constructeurs. Car si les plus gros acteurs du secteur ont intégré cette « tradition électoraliste » et sont suffisamment armés financièrement pour y faire face, pour d'autres, il en va de la survie de l'entreprise. Mais impossible pour eux de citer les municipalités qui les bloquent, ces professionnels craignant légitimement de ne plus pouvoir accéder aux marchés locaux. Il a donc fallu trouver des données objectives (voir encadré sur la méthodologie) et recueillir une série de témoignages anonymes.

Les villes « coutumières »

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Nous avons donc analysé l'évolution du nombre de permis de construire délivrés depuis 2006 (nous avons ainsi pu constater les fluctuations lors de deux dernières élections municipales). Voici celles où apparaît un ralentissement systématique : En Île-de-France on trouve Meudon, L'Haÿ-les-Roses, Saint-Cloud et Bois-Colombes. Apparaît également Chartres dans le Centre-Val-de-Loire, Colmar dans le Grand-Est, Saint-Brieuc en Bretagne, Tassin-la-Demi-Lune dans la région lyonnaise. Enfin plus au sud, la région Provence-Alpes-Côte-d'Azur est également nettement ressortie de notre enquête avec Cagnes-sur-Mer mais également les environs de Cannes avec Mandelieu-la-Napoule et Vallauris. Retrouvez-ici la liste complète de notre enquête, chiffres à l'appui.

Des municipalités peu bavardes

La seule municipalité qui a accepté de nous répondre a rejeté l'idée d'une quelconque stratégie électorale évoquant plutôt la qualité des projets immobiliers proposés aux périodes concernées. Argument que réfutent les promoteurs que nous avons interrogés. Des promoteurs qui alertent également sur le fait qu'en plus de ces villes « coutumières » lors des précédentes élections, il y a celles qui étaient constantes mais qui ne le sont plus. Tourcoing, Bagneux, Aubagne, Mérignac, voici quelques-unes des villes qui, selon des professionnels, commencent à leur tour à bloquer des projets immobiliers.

Les maires qui négocient

Certains maires ne s'en cachent même pas lorsque les promoteurs tentent d'obtenir une autorisation en période électorale. « ' Vous savez bien que c'est impossible à l'approche des élections ' Voilà ce qu'on me dit très clairement dans certaines villes », raconte un grand promoteur. « Il y a aussi des communes qui nous disent qu'elles ne signent pas pour l'instant, ajoute-t-il, mais qu'elles le feront une fois passée l'élection municipale. Et puis il y en a d'autres qui signent les permis de construire mais qui nous demandent de ne pas démarrer le chantier avant l'élection ».

En réalité, nous expliquent les professionnels de la construction, la plupart des municipalités tentent de négocier. Soit en retardant les projets, soit en essayant de les modifier pour ne pas froisser les riverains et donc les électeurs. Un promoteur raconte : « Pour préserver la vue de quelques habitants ils nous demandent de réduire nos immeubles de plusieurs étages. Ils essaient de satisfaire tout le monde mais ils se trompent terriblement en oubliant l'intérêt général et en faisant de l'étalement urbain ».

Les maires qui changent les règles d'urbanisme

Les promoteurs se retrouvent aussi face à des maires qui, loin de reconnaître les enjeux électoraux qui se cachent derrière la production de logements, préfèrent changer les règles et les modalités de construction précisément à l’approche des municipales . « Il y a des maires, raconte un grand promoteur, qui curieusement modifient les PLU (Plans Locaux d'Urbanisme) pile quand arrive l'élection ce qui rend évidemment plus compliqué voire impossible l'obtention du permis ». Notez d'ailleurs que Lyon, Toulouse et Montpellier viennent justement de modifier leur PLU ces dernières semaines, un an tout juste donc avant le scrutin de 2020. Coïncidence ou non, changer un Plan Local d’Urbanisme se traduit souvent par un ralentissement de la production pour les promoteurs.

Les maires avec de bonnes intentions

Certains des maires qui freinent la construction pendant les années électorales ont aussi parfois de bonnes intentions, relève un promoteur. « Il y a des maires de bonne volonté, raconte-t-il. Des maires qui préfèrent ne pas signer les permis en période électorale car ils font plus souvent l'objet de recours de la part des riverains. Ces élus préfèrent attendre pour mieux faire accepter et donc aboutir le projet immobilier ». Et puis il y a à l’inverse les maires bâtisseurs. « Eux aussi sont souvent réélus, note ce même promoteur. Ces maires se font précisément élire sur des projets pour embellir, moderniser les villes. D'ailleurs, conclut-il, l'intelligence voudrait qu'un maire lance de grands travaux au lendemain de son élection ».

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Les préfets pour se substituer aux maires ?

Quelques soient leurs intentions, les maires et leur capacité à bloquer, même ponctuellement, la production de logements, restent l’un des sujets prioritaires pour les professionnels de la construction. Certains des promoteurs que nous avons contacté ont même dû faire appel aux préfets pour débloquer des projets. Car c'est bien le sujet qui se cache derrière cette « tradition électoraliste » : La construction de logement doit-elle nécessairement dépendre de la seule volonté des maires ? Dans les communes carencées en logements sociaux, les préfets peuvent déjà se substituer aux maires pour délivrer les autorisations. Un bon nombre de professionnels de la construction milite pour étendre cette possibilité pour que la production de logements ne dépendent plus uniquement des intérêts personnels des élus.

Méthodologie

L'outil le plus fiable pour analyser la production de logements est SITADEL, le « Système d'Information et de Traitement automatisé des Données élémentaires sur les Logements et les Locaux ». Il s'agit d'une base de données publique qui, depuis 1972, enregistre notamment le nombre de permis de construire et de mises en chantier dans toutes les villes de France. Nous nous sommes penchés sur les communes de plus de 15.000 habitants et avons observé l'évolution des statistiques sur ce qu'on appelle les logements collectifs, autrement dit les immeubles.

Le but étant d'identifier les villes où l'on constate une baisse des autorisations et de la production pendant les années électorales, nous avons regardé les chiffres depuis 2006 comprenant donc les deux dernières élections municipales, celle de 2008 et celle de 2014.

Les témoignages anonymes des professionnels du bâtiment

Nous avons ensuite soumis les villes où est apparue dans les chiffres une certaine « tradition électoraliste » à des promoteurs et professionnels du bâtiment. Nous en avons ainsi conservé une dizaine. Notez qu’il ne s’agit pas là de pointer du doigt des villes qui ne construiraient pas suffisamment - la plupart des villes citées sont d’ailleurs plutôt actives en la matière en dehors des périodes électorales - mais bien celles qui ralentissent la cadence lors des municipales. Précisons également que beaucoup d'autres communes adoptent le même comportement mais nous avons souhaité réduire notre liste à un échantillon s'appuyant à la fois sur les chiffres publics officiels ET sur les témoignages de professionnels.

Marie Coeurderoy