BFM Business
Finances publiques

Juppé a-t-il vraiment "cramé la caisse" à Bordeaux comme l'affirme Wauquiez?

Alain Juppé devant la Cité du Vin, le grand musée dédié à la viticulture inauguré en 2017 et qui a coûté 81 millions d'euros.

Alain Juppé devant la Cité du Vin, le grand musée dédié à la viticulture inauguré en 2017 et qui a coûté 81 millions d'euros. - Mehdi Fedouach - AFP

Lors de son intervention controversée face aux étudiants lyonnais, le patron des Républicains a critiqué la gestion dispendieuse d'Alain Juppé à la mairie de Bordeaux. Si l'endettement de la Ville a explosé ces dernières années, il reste dans la moyenne des communes de sa catégorie.

"À Bordeaux, [Alain Juppé] a fait des miracles, Bordeaux est géniale, c'est très bien géré, mais il a fait exploser les impôts, exploser la dépense publique et exploser l'endettement. Moi, ma conviction, c'est que, quand vous faites ça, vous n'avez à l'arrivée plus aucune forme de crédit." La semaine dernière, lors de son cours à l'EM Lyon qui a fait coulé beaucoup d'encre, Laurent Wauquiez n'a pas épargné Alain Juppé.

Le maire de Bordeaux depuis 1995 a-t-il vraiment "cramé la caisse" de la Ville comme l'a également affirmé le patron des Républicains aux élèves de la prestigieuse école lyonnaise de management? 

Des investissements très coûteux

Si l'on regarde les chiffres de l'endettement de la capitale de la Nouvelle Aquitaine, Laurent Wauquiez semble avoir raison. Ces dernières années, la dette de Bordeaux a effectivement doublé entre 2011 et 2015. L'encours total de la dette est passé en effet sur la période de 183,7 millions d'euros à 377 millions d'euros. Il a légèrement décru en 2016 (343 millions d'euros) mais la dette reste très largement supérieure au niveau qui était le sien dans les années 2000. Élu en 1995 à la tête de la Ville, Alain Juppé s'était attelé au cours de ses deux premiers mandats à assainir les finances de Bordeaux. Ainsi entre 2000 et 2011, l'endettement avait fondu de 27% pour s'établir en 184 millions d'euros.

Mais à l'orée des années 2010, la Ville s'est lancée dans une série de chantiers qui ont certes changé le visage de la commune mais aussi grevé les finances. Du stade Matmut-Atlantique* à la Cité municipale en passant par le pont levant Chaban-Delmas ou à la Cité du Vin, la municipalité a multiplié les investissements de prestige. 

Ce que n'a pas manqué de relever la Chambre régionale des comptes (CRC) qui en janvier dernier mettait en cause la gestion des finances de la Ville dans un rapport. Les juges ont relevé quelques facilités comptables qui auraient eu pour but de dissimuler la hausse de l'endettement de la Ville. Ce que réfute Alain Juppé qui reconnaît quelques irrégularités mais pas d'insincérité.

Des largesses pour le personnel municipal 

Mais la Chambre régionale pointe aussi des largesses dans la gestion du personnel communal. Ainsi dans la ville de celui qui voulait revenir sur les 35 heures lors de la primaire à droite en 2016, la CRC note que 41% des agents ont un temps de travail inférieur à 1.607 heures par an (l'équivalent annualisé des 35 heures) et que les employés municipaux disposent de nombreux avantages: cinq jours de repos pour la mariage d'un enfant ou encore trois à cinq jours de récupération pour tenir un bureau de vote en plus d'une sur-rémunération. Pour un chantre de la rigueur budgétaire, c'est un peu gênant.

Dans ce contexte et du fait aussi de la baisse des dotations de l'Etat, la Ville de Bordeaux n'a eu d'autre solution en 2015 que d'augmenter la pression fiscale de 5%. Rebelote en 2017 mais pas de manière directe. Le taux de la taxe d'habitation n'a en effet pas été augmenté. Mais l'abattement dont bénéficient tous les habitants sur la valeur locative de leurs biens est en revanche passé de 18,92% à 15%. Autre mesure fiscale que s'apprêterait à prendre la municipalité: une augmentation très significative de la surtaxe d'habitation sur les résidences secondaires qui passerait de 20 à 50% dès 2019. Une augmentation d'impôt pour le coup pas vraiment impopulaire puisqu'elle ne concerne pas les électeurs bordelais. Au contraire, son but est de limiter la location de meublés touristiques de type AirBnB, qui a fait monter les prix de l'immobilier, à l'achat comme à la location.

Laurent Wauquiez vise-t-il alors juste quand il fustige la gestion dispendieuse du maire de Bordeaux? Si effectivement depuis quelques années, la Ville ne lésine pas sur la dépense, le niveau de l'endettement reste toutefois dans la moyenne basse des grandes villes de France. La dette par habitant à Bordeaux atteignait 1523 euros en 2015 (contre 755 en 2011) mais à titre de comparaison Nice est à 1449 euros, Lille à 1789 euros, Paris à 2069 euros et Marseille à 2110 euros. Bordeaux est légèrement au dessus de la moyenne nationale d'endettement des villes de plus de 100.000 habitants (1377 euros). Mais la Ville du Puy-en-Velay dirigée jusqu'en 2016 par Laurent Wauquiez affiche un endettement par habitant supérieur à la moyenne des communes de sa catégorie (1129 euros contre 942 euros pour les Villes françaises de 10 à 20.000 habitants).

*Coût des différentes infrastructures réalisées par Bordeaux ces dernières années:

-Stade Matmut-Atlantique: 219 millions d'euros dont 17 millions pour la Ville de Bordeaux plus 80 millions de "loyer" jusqu'en 2032. 

-Cité du Vin: 81 millions d'euros dont 31 millions pour Bordeaux.

-Cité municipale qui regroupe des services administratifs de la commune: 60 millions d'euros.

-Pont Chaban-Delmas: 157 millions d'euros dont 105 millions pour la Communauté urbaine de Bordeaux

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco