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Législatives: pourquoi ces patrons veulent devenir députés sous Macron

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- - Eric Piermont - AFP

Ils auraient pu se contenter d'avoir du succès dans les affaires mais ont choisi de s'engager en politique sous les couleurs de La République en marche. Mais pas question pour eux de devenir des professionnels de la politique. Témoignages.

Pourquoi se jeter dans l'arène politique lorsqu'on est un patron ou un cadre dirigeant d'une grande entreprise? Voilà a priori un pari risqué où les chances de réussite sont aléatoires et les coups à prendre nombreux. C'est pourtant le choix qu'ont fait les dirigeants d'entreprise que nous avons rencontrés. Corinne Versini dans les Bouches-du-Rhône, Stanislas Guerini à Paris et Bruno Bonnell dans le Rhône ont décidé de sauter le pas et de s'engager derrière Emmanuel Macron. Les trois seront candidats pour La République en marche aux élections législatives. Pourquoi un tel engagement? En quoi leur expérience professionnelle peut servir en politique? Les trois candidats d'En Marche nous disent tout.

Stanislas Guerini, 34 ans, Paris, cadre chez Elis, créateur de l'entreprise Watt & Home

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Stanislas Guerini a tout du "Macron-boy" tel qu'on peut se l'imaginer. Jeune (34 ans), diplômé (HEC en 2006), créateur d'entreprise (Watt & Home, une société de vente et d'installation de panneaux solaires) avec un intérêt certain pour la politique (il soutenait DSK à la primaire du PS en 2006) sans jamais vraiment s'engager, rebuté par la lourdeur des partis et par le petit jeu politicien qui consiste systématiquement à défaire ce que la majorité précédente avait construit. "Et puis j'ai rencontré Emmanuel Macron en 2015 via Ismaël Emelien et Benjamin Griveaux que j'avais connus à l'époque DSK, explique le candidat de la République en marche dans la troisième circonscription de Paris (comprenant une partie du XVIIème et du XVIIIème arrondissement). On partageait la même analyse sur les blocages français énormément liés au jeu des partis politiques".

Un petit jeu politique dont il a été directement victime dans sa vie d'entrepreneur. "J'avais créé une société d'installation de panneaux solaires chez les particuliers, or du jour au lendemain, le gouvernement Fillon a déclaré un moratoire sur les mesures d'incitation au rachat d'électricité. Résultat: le secteur est passé en quelques mois de 25.000 à 15.000 salariés. J'ai dû faire des licenciements économiques". Sa société finira par résister à la tempête, mais l'événement sera le déclencheur de son engagement en politique.

"Je ne me vois pas faire ça toute ma vie"

Il est donc l'un des premiers en avril 2016 lors de la création d'En Marche à être séduit par la volonté d'Emmanuel Macron de dépasser le jeu des partis traditionnels. Il en devient le référent à Paris et s'engage dans la campagne présidentielle. Pour ce faire, il prend un congé sans solde de deux mois. Car après l'aventure Watt & Home (une société basée à Grenoble), Stanislas Guerini est rentré définitivement dans la capitale et travaille désormais pour le groupe Elis, spécialisé dans la location et l'entretien du linge. Pour financer sa propre campagne, dont il estime le coût à 30.000 euros, il va puiser dans ses propres économies. Mais il sera remboursé si sa candidature recueille plus de 5%.

Comment envisage-t-il sa carrière s'il est élu le 18 juin prochain? "J'arrêterai évidemment mes activités professionnelles, je serai un député à plein temps, confie-t-il. Je ne le fais pas pour faire une carrière (je gagne plus d'argent aujourd'hui que si je suis député demain) mais pour me consacrer pleinement à cette activité. Mais je ne me vois pas faire ça toute ma vie. Je sais qu'après cet engagement, je retournerai dans le privé."

Bruno Bonnell, 58 ans, Villeurbanne, multi-entrepreneur (Infogrames, Infonie, Robopolis)

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Après le jeu vidéo (Infogrames) et les robots (Robopolis), l'entrepreneur lyonnais a trouvé un nouveau terrain de jeu: l'Assemblée nationale. À 58 ans, Bruno Bonnell a déjà à son actif la création d'une trentaine d'entreprises et veut désormais être député de la sixième circonscription du Rhône. Et il aura fort à faire. Car dans ce fief historique du PS qu'est la ville de Villeurbanne, il aura face à lui l'ex-ministre de l'Éducation nationale, Najat Vallaud-Belkacem. Ce qui ne l'effraie pas plus que ça. "C'est une opposition très symbolique entre quelqu'un qui a fait carrière dans la politique et quelqu'un qui a eu une carrière avant la politique", confie-t-il. 

Pourquoi justement s'engager dans ce combat plutôt que d'accompagner le développement de sa société de robots? "Parce que Macron, que j'ai connu en 2014, a une volonté de rénovation que je n'avais jamais vue avant en politique, explique celui qui a créé l'éditeur de jeux vidéo Infogrames à l'âge de 24 ans. En 2014 par exemple, lorsqu'il est arrivé au ministère de l'Économie, au lieu de jeter à la poubelle le projet France Robot Initiative que nous avions créé avec Arnaud Montebourg, il l'a prolongé et renforcé". Une approche anti-idéologique qui a séduit l'entrepreneur.

"Les codes ancestraux des anciens partis"

Bruno Bonnell s'engage dans En Marche en septembre 2014 et participe financièrement à la campagne ("dans les limites des 7500 euros autorisés", précise-t-il). Un défi que le patron appréhende un peu comme un manager. "Les anciens partis ont des codes ancestraux. C'est comme lorsque vous voulez transformer une grande entreprise comme EDF ou la SNCF, il y a des contraintes historiques fortes, analyse-t-il. Il faut une volonté farouche de transformation, faire beaucoup de pédagogie et comprendre que ce sera long". Et Bruno Bonnell pense que seul le mouvement En Marche qu'il qualifie de "start-up redoutablement efficace", sera capable d'effectuer une telle transformation. "Dans un parti traditionnel, on m'aurait écouté de façon sympathique sans tenir compte de mes propositions, pense-t-il. Quand je vois un Cambadélis qui prône un retour à une gauche idéologique et un Wauquiez qui est dans une posture politicienne, je ne sens pas de réelle volonté de faire avancer les choses".

Celui qui est devenu le référent du mouvement dans le Rhône a mis à profit son expérience de chef d'entreprise pour convaincre les électeurs. "L'expérience que j'ai c'est celle du client au sens noble du terme: il faut trouver une formulation que chacun peut comprendre, faire de la pédagogie et expliquer très concrètement aux citoyens comment telle ou telle mesure peut les concerner". Selon lui, les deux univers sont dans le fond assez similaires: "Il faut analyser les besoins des gens, passer dans une phase de R&D (l'élaboration du programme), de mise en forme (rendre les mesures compréhensibles) et enfin diffuser ce que nous avons élaboré (la communication politique".

"Dans une carrière d'entrepreneur, on apprend tout le temps"

Mais si les similitudes sont nombreuses, les codes sont malgré tout différents. "Le piège serait de croire qu'il s'agit du même monde. Il y a une hiérarchie dans l'entreprise. On dirige. Alors qu'en politique, il faut savoir être beaucoup plus dans l'échange et écouter, assure-t-il. Au début lorsque je faisais des réunions, on me faisait remarquer que je parlais trop et que je ne laissais pas assez les gens s'exprimer. La campagne présidentielle m'a beaucoup appris sur ce point-là".

Pour financer la campagne dont il estime le coût à 30.000 euros, Bruno Bonnell va piocher dans ses économies. Et s'il est élu député, il compte abandonner toutes ses fonctions dans ses entreprises. "En ce moment, je prends sur mon temps libre mais si j'entre à l'Assemblée nationale en juin prochain, je me consacrerai à 100% à ma nouvelle tâche", assure-t-il. Une tâche pour laquelle ce novice en politique n'a pas trop d'appréhension. "Dans une carrière d'entrepreneur, on apprend tout le temps, explique Bruno Bonnell. Si j'ai la chance d'être élu député, j'apprendrai vite. De toute façon on est bien entouré au sein d'En Marche". 

Quoi qu'il arrive le 18 juin prochain, Bruno Bonnell assure qu'il ne compte pas terminer sa carrière sur cette expérience politique. "Je n'entre pas en politique, j'ai un moment politique, précise-t-il. J'ai eu une vie avant, je m'investirai à fond si je suis élu mais je compte bien avoir une vie après."

Corinne Versini, Marseille, créatrice de Gens’ink

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La bataille ne sera pas facile pour Corinne Versini. La référente En Marche pour les Bouches-du-Rhône se trouve en effet dans une circonscription marseillaise très disputée. La candidate aura en effet pour adversaires le député PS sortant Patrick Mennucci et le candidat à la présidentielle Jean-Luc Mélenchon. Rien que ça. Mais sa mission, c'est elle qui l'a choisie: "Quand j'ai su que Mélenchon arrivait, j'ai immédiatement demandé ma candidature La République en marche pour les législatives, explique-t-elle. J'ai considéré qu'il était de ma responsabilité de me battre contre ce poids lourd même si je sais que ce sera difficile. Je n'ai pas la verve et le talent de Mélenchon et de Mennucci." 

Mais cette quinquagénaire compte bien sur l'envie de renouvellement exprimée par les Français durant la présidentielle pour s'imposer sur ce terrain a priori hostile. Car Corinne Versini est à l'opposé des vieux routiers de la politique qu'elle s'apprête à affronter. Comme de nombreux "marcheurs", elle n'avait aucune expérience d'engagement politique. Cette chimiste de formation, diplômée de Centrale Marseille et de HEC, connaît bien le terrain et le monde de l'économie dans la région.

Après une carrière chez IBM et ST Microelectonics, elle a créé en 2009 Genes’Ink, une société spécialisée dans les encres numériques, les écrans souples et les matériaux pour les produits connectés. "L'idée était de développer de nouvelles filières pour ces produits qui utilisent des métaux et des terres rares afin qu'on arrête d'envoyer des enfants dans les mines", explique cette patronne dont l'entreprise compte aujourd'hui 19 salariés.

"Je connais le terrain, à la différence de Mélenchon"

Mais pourquoi aller se frotter à Jean-Luc Mélenchon et Patrick Mennucci quand on a une jeune entreprise à gérer et à faire développer? "Parce que pour la première fois, j'ai senti une volonté de changement chez un homme politique, confie-t-elle. Je l'ai rencontré plusieurs fois en tant que membre de la French Tech, j'ai tout de suite adhéré à En Marche et lorsqu'il a présenté sa candidature je leur ai envoyé un mail pour leur dire que je pouvais me rendre utile. Et je suis devenu référente pour les Bouches-du-Rhône".

Après la présidentielle où elle organise réunions publiques, tractages, porte à porte pour le compte d'Emmanuel Macron, c'est à son tour de se jeter dans le bain. Elle va donc devoir aménager son emploi du temps ("j'irai tracter le matin de bonne heure et je travaillerai tard le soir") pour gérer les deux à la fois. Pour financer sa campagne, elle va emprunter. "Mais je compte bien faire en sorte d'être remboursée à la fin" insiste-t-elle. Pour cela, elle devra, le dimanche 11 juin, atteindre les 5% des voix dans sa circonscription, ce qui semble à sa portée. En revanche, sa victoire serait un exploit. Le député sortant Patrick Mennucci a été élu en 2012 avec 70% des voix au second tour et le candidat de la France insoumise y a fait plus de 30% à la présidentielle.

"Ce ne sera pas facile mais je connais le terrain à la différence de Mélenchon, assure Corinne Versini. Quand j'étais étudiante, j'habitais dans un petit studio dans ces quartiers populaires de Marseille avec ma fille que j'ai eue très jeune. Je n'ai pas l'expérience du professionnel de la politique du leader de la France insoumise qui cumule un demi-siècle de mandat mais j'ai la volonté et j'apprends vite".

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco