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Finances publiques

La Philharmonie de Paris: une symphonie de gabegies publiques

Le nouvel équipement culturel parisien (ici en maquette) offrira 2.400 places.

Le nouvel équipement culturel parisien (ici en maquette) offrira 2.400 places. - Philharmonie de Paris

Après des années de polémiques sur son utilité et son coût, la nouvelle grande salle de concert parisienne ouvrira ses portes le 14 janvier. Mais l'Etat et la ville de Paris se battent encore pour savoir qui prendra en charge l'ensemble des dépenses.

Le 14 janvier prochain, Manuel Valls et sa femme, la violoniste Anne Gravoin, devraient être aux premières loges pour l'inauguration de la nouvelle salle de concert monumentale de la capitale, la Philharmonie de Paris.

Conçue par l'architecte Jean Nouvel au coeur de la Cité de la musique à Paris, elle offrira 2.400 places aux amateurs de concerts symphoniques. Près de 200.000 spectateurs payants sont espérés en 2015 pour les 150 concerts déjà programmés. A terme, 250 devraient être organisés chaque année.

30 ans de valse-hésitation de l'Etat

Mais pour en arriver là, il aura fallu plus de trente ans ! En 1981, François Mitterrand à peine élu à l'Elysée demande à Jack Lang, son nouveau ministre de la Culture, de piloter le projet d'une Cité de la musique à Paris à la place des anciens abattoirs de la La Villette. Une idée déjà évoquée par Valéry Giscard d'Estaing. 

La Cité voit bien le jour avec son Zénith devenu culte, mais sans un grand auditorium, comme prévu initialement. La priorité de l'Elysée va alors à l'Opéra "populaire" de la Bastille et ses 3 milliards d'euros de coût qui doit être inauguré pour le Bicentenaire de la révolution en 1989.

En 2006, le gouvernement Villepin reprend le projet avec le soutien du maire PS de Paris, Bertrand Delanoë. En 2007, Nicolas Sarkozy, élu à l'Elysée donne son accord du bout des lèvres.

Mais son Premier ministre, François Fillon, soutenu par Bercy, freine des quatre fers sans toutefois obtenir l'arrêt définitif du chantier. Le projet est estimé alors à 118 millions d'euros, un chiffre à l'évidence sous-estimé pour faire passer la pilule. A l'arrivé, il va en effet en coûter trois fois plus. Le quotidien britannique The Guardian parlait même d'un "puits sans fonds "en 2013. 

Dérive prévisible des coûts dès le départ

Certes, avec 386 millions d'euros de facture finale, soit environ 100.000 euros par fauteuil, la Philharmonie de Paris coûtera largement moins cher que la Philharmonie de Hambourg, en cours d'achèvement, qui devrait atteindre 790 millions pour un budget initial de 77 millions. Moins également que la rénovation du Staatsoper de Berlin et ses 289 millions. C'est ce que rappelle le député PS Pierre-Alain Muet, rapporteur des crédits de la Culture pour le budget 2015.

Visiblement, il ne partage pas l'opinion de la Cour des comptes qui, en 2012, alertait déjà les pouvoirs publics sur la dérive des coûts, ni du Sénat qui a consacré la même année un rapport accablant à l'opération. 

Les exigences de l'architecte Jean Nouvel, qui a modifié à plusieurs reprises son projet initial, ont entraîné des coûts supplémentaires avalisés par l'Etat. "Tout se passe comme si le geste architectural et le perfectionnement technique du projet avaient primé sur une stricte et économe définition des besoins réels", déplorait un magistrat de la Cour des comptes cité dans le rapport sénatorial. 

Le rapport ajoute: "plus qu’une salle de concert, la Philharmonie de Paris offrira un luxe d’espaces annexes . Dans la mesure où le nouvel auditorium devait notamment s’inscrire en complémentarité avec la Cité de la musique, la question se pose de savoir s’il était indispensable de le dimensionner de manière aussi ambitieuse". 

Bras de fer entre la Mairie de Paris et l'Etat

Fait aggravant: depuis le lancement du projet, c'est une guerre entre l'Etat et la Mairie de Paris, chacun étant censé initialement prendre en charge 45% du coût de la Philharmonie, les 10% restants étant supportés par la région Ile-de-France.

Tout récemment, la Mairie de Paris a décidé de revoir les conditions de sa participation financière concernant le surcoût final, de 45 millions d’euros. Matignon a donc annoncé pour permettre l’achèvement du chantier dans les temps de les assumer intégralement. Au total, l’engagement de l’État s’élève donc aujourd'hui à 203 millions d’euros.

Autre bras de fer : qui va prendre en charge les 18 millions d'euros de subventions de fonctionnement annuelles du nouvel équipement qui viendront s'ajouter aux 24 millions de subventions versés à la Cité de la musique ?

La ville de Paris a annoncé qu'elle ne voulait pas payer la moitié de cette somme comme prévue. Elle réclame aujourd'hui un "nouveau modèle économique" pour la Philharmonie. Elle a visiblement été un peu entendu puisqu'un concert de Jacques Higelin est prévu en 2015. Pas vraiment symphonique. 

Après la pénurie, le trop-plein ?

D'un coup, Paris qui manquait de grandes salles de concerts, en aura bientôt trois. Outre la Philhamonie, qui abritera l'Orchestre de Paris, le nouvel auditorium de Radio France et ses 1.400 places a en effet été inauguré voici quelques semaines.

Et en 2016, la Cité musicale de l'Ile Seguin devrait voir le jour sur l'emplacement de l'ancienne usine Renault de Boulogne-Billancourt, à l'initiative du conseil général des Hauts-de-Seine. Sa grande salle devrait offrir 1.1200 places aux mélomanes.

Il est vrai que ces derniers ne devraient plus pouvoir écouter de classique Salle Pleyel dès prochain. L'établissement public de la Cité de la musique, qui est propriétaire de la salle depuis 2009, et qui cherche à la revendre, souhaite que Pleyel se spécialise dans la "musique populaire de qualité" pour ne pas faire d'ombre à la Philharmonie. Mais les nostalgiques des dimanche après-midi à Pleyel ne l'entendent pas de cette oreille et sont mobilisés. Le feuilleton de la Philharmonie n'est donc pas totalement achevé. 

>>> Le coût des derniers grands chantiers culturels

> Musée du Quai Branly: 400 millions

> Musée des Confluences de Lyon: 253 millions

> Louvre Lens: 150 millions

> Fondation Vuitton Paris : 100 millions

> Centre Beaubourg de Metz: 86 millions

> Rénovation du musée Picasso: 54 millions

> Louvre°: 53 millions

> Auditorium de Radio France: 37 millions

°Rénovation de l'entrée sous la Pyramide, ouverture prévue en 2017. 

La Philharmonie de Paris en chiffres

> une salle de concert de 2.400 places ( 3.000 debout)

> 6 salles de répétition

> 386 millions d'euros de coût de construction

> 31 millions de budget de fonctionnement annuel

> 194.000 spectateurs attendus en 2015 pour 105 concerts

Patrick Coquidé