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Finances publiques

Pourquoi je trouve qu'on devrait taxer davantage les propriétaires

Stéphane Soumier, directeur de la rédaction de BFM Business

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…et pourquoi ça n’arrivera pas. La question légitime du "loyer implicite" relancée par l'OFCE n'a aucune chance de figurer dans les programmes des candidats à la présidentielle. Il faut donc dire adieu au rêve d'une fiscalité de croissance.

Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Trois ans après la publication d'une note du Conseil d’analyse économique proposant de relever les taxes sur la propriété immobilière, au profit d’une baisse de la fiscalité sur le travail et sur l’investissement risqué, l''Observatoire français des conjonctures économiques relance le débat dit des "loyers implicites". Cette note, comme aujourd'hui la suggestion de l'OFCE, a déclenché de telles réactions, que je vous propose d’y passer un peu de temps. Calmement. Pour comprendre.

Au commencement était l’impôt...

Désolé de prendre un ton biblique, mais, à lire les propos de ceux qui s'insurgent, j'ai, parfois, le sentiment qu’on est dans le domaine du sacré. Je m’adapte. Donc, au commencement était l’impôt, car c’est finalement la seule arme économique légitime de l’Etat. Légitime en ce qu’il finance les "externalités" (infrastructures, éducation, recherche fondamentale etc… ) qui permettront l’épanouissement des agents économiques et la création de richesse. Ceci posé, l’impôt, pour l’Etat, garde une autre vertu: celle de modifier à la marge le comportement des agents économiques.

C’est dans ce cadre là qu’intervenait cette fameuse note du CAE qui mit le feu aux poudres. Parce qu’il faut très vite sortir de la théorie. L’Etat, quelque Etat que ce soit, n’est pas seul au monde. "Dans un monde où les capitaux, mobiles internationalement, s’allouent en fonction des rendements après impôts, la fiscalité des revenus du capital peut devenir un élément clé dans la capacité d’une économie à financer sa croissance" (le CAE nous dit ainsi que 1% de baisse de l’impôt sur les sociétés permettrait d’attirer environ 3% d’investissements directs étrangers supplémentaires). Toute réflexion sur la taxation du capital, doit se faire dans un cadre de concurrence fiscale acharnée.

L’actualité nous en apporte la démonstration quotidienne (et le CAE regrette d’ailleurs que l’administration ne livre pas les chiffres de l’exil fiscal). Et dans ce cadre là, la fiscalité française sur l’ensemble des assiettes d’imposition est une des plus fortes d’Europe. Y réfléchir devrait être une priorité.

Et là, une fois posé l’ensemble de ces prémisses, les résultats de la réflexion deviennent évidents.

Qu'est-ce qui, en France, est le plus taxé?

L’ensemble des secteurs qui sont exposés à la concurrence mondiale (le financement des entreprises), particulièrement les secteurs immatériels qui peuvent se délocaliser en quelques secondes. Et le travail, principal levier potentiel de croissance dans l’économie de la connaissance du XXIème siècle. Au profit de quoi ? De l’assurance-vie et de l’immobilier.

On me rétorquera que ce n’est évidemment pas si simple, tant notre système est percé de niches, toutes plus complexes les unes que les autres, nourrissant une industrie de la défiscalisation, imposant un appareil de contrôle lourd et forcément incompétent vu la complexité des sujets (le crédit d’impôt recherche en apporte la démonstration quotidienne), suscitant dans la société un profond sentiment d’injustice.

Il s’agit donc bien, de remettre sur pied un système clair et lisible, favorisant la prise de risque, l’investissement, et le capital humain.

On est d’accord? C’est la base de tout ce qui va suivre.

Est-ce qu’on peut admettre qu’à ce moment là, la fiscalité de l’immobilier pose problème aujourd’hui en France? L’assurance vie aussi (2), mais à chaque jour suffit sa peine.

Le culte des Français pour l'immobilier

Car l’immobilier en France est un culte. Très exactement la propriété immobilière. Or ce culte immobilier met en sommeil des centaines de milliards d’euros. Oui. En sommeil. Un immeuble, c’est du capital qui dort, et qui dort profondément, après que ses propriétaires se sont, des années entières, serré la ceinture pour le payer. Et ces propriétaires peuvent, à bon droit, être qualifiés de rentiers, en ce qu’ils profitent d’une accumulation de capital (80% d'entre eux, en France, ont d'ailleurs même profité du capital accumulé par leur parents pour leur première acquisition).

Que ce soit le fruit d’un dur labeur ne change rien à l’affaire. Heureusement que tous les rentiers ne sont pas des criminels ou des héritiers! Que cet argent ait déjà été taxé n’a rien à voir non plus dans ce qui nous intéresse. C’est le lot de ce qui constitue justement le capital, où qu’on l’investisse ensuite. Ce que l’on taxe, c’est le fruit du capital, son rendement, ce qu’il rapporte, le surcroît de revenus qu’il procure, on ne taxe pas une deuxième fois le revenu qui a permis de le constituer. Attention, la propriété peut être un choix parfaitement légitime, et pour vous tranquilliser c’est celui qu’a fait votre serviteur, mais l’État est-il vraiment légitime à inciter à ce comportement? 

C’est pourtant ce qu’il fait. Et massivement. La seule taxe sur le capital immobilier c’est la taxe foncière. Quand j’additionne les taux affichés je suis effectivement en ligne, à peu près 28%. Mais 28% de quoi? De la valeur locative du bien (le revenu qui en serait tiré s’il était loué aux conditions de marché) estimée en … 1970. Plaisanterie!

Un frein à la mobilité du travail

Régulièrement des parlementaires soulignent l’obsolescence des valeurs locatives cadastrales, régulièrement le gouvernement promet de les réévaluer, rien ne se passe jamais. A la revente la plus-value sera exonérée (or, sur les 15 dernières années elle est considérable) et l’héritage reste protégé. l'ISF lui ne concerne que 600.000 ménages sur près de 16 millions de propriétaires.

Ne pas voir qu’il y a là un problème quand le travail, lui, est massivement taxé, c’est être aveugle. Outre l’immobilisation stérile d'une masse considérable de capital, le culte de la propriété immobilière, c’est aussi un frein à la mobilité du travail. Or on trouve là l’une des causes de notre chômage de masse. Le drame d’une usine qui ferme, c’est moins l’ouvrier chômeur (une bonne formation peut lui redonner un emploi) que l’ouvrier surendetté, parce que la valeur de la maison sur laquelle il a encore 10 ans de crédit vient de s’effondrer! Et c’est à l’Etat d’encourager ça? C’est à l’Etat d’encourager la déprime de jeunes ménages à qui l’on a mis dans le crâne qu’on ne grandissait pas vraiment tant qu’on n’avait pas "acheté"? Dans notre imaginaire social, la propriété immobilière tient pratiquement la place d’un enfant. N'est-ce pas un truc de dingue?

Un pays dont tout le système de crédit ne finance que de l'immobilier est un pays qui glisse vers la glaciation. On me dit que l'on va bloquer la construction et mettre la pression sur les prix. Ben voyons! Parce qu'une fiscalité ultra-favorable sur la propriété a amené la construction à la hauteur de la demande? La construction est bloqué par les 36.000 maires de France qui ne veulent pas construire, voilà le sujet. Il n'est fiscal qu'à la marge.

On me dit que la propriété est un capital pour la retraite? Ben voyons, les retraités qui crèvent de faim dans leur trois pièces, ne seraient-ils pas bien mieux à vendre au fil de l'eau leur épargne en action, c'est dans les 4 étoiles de la côte d'Azur qu'ils la passeraient leur retraite, à faire tourner la machine économique. Et ce qui garantira notre retraite c'est bien plus une économie prospère à taux de chômage faible (3).

Et cette affaire n’a pas d’autre but que d’attirer notre attention sur cette distorsion fiscale qui est bien politique, et absolument pas économique. Elle est même anti-économique.

Qu'est-ce qu'un "loyer implicite"?

Alors, oui, il y a cette idée de loyer implicite. Le propriétaire serait considéré comme recevant un loyer… de lui-même. Et intégrerait ce "revenu" au barème général de l’impôt sur le revenu. Cala n’est pas si baroque, cela a existé en France, la taxe foncière actuelle est inspirée de ce système, cela existe dans d’autres pays. Evidemment, tant qu’il y a un emprunt à rembourser, ce "loyer" en tiendrait compte, et n’entrerait pleinement en vigueur qu’une fois le remboursement achevé (4).

Il serait net des intérêts d'emprunts, ce qui est une aide supplémentaire pour les jeunes, puisque l'on commence par massivement rembourser les intérêts avant de rembourser le capital. Surtout, le système ne concernerait que les nouveaux acquéreurs. Pas question de taxer le stock de manière rétroactive.

Le but? Nous faire réfléchir. Car l’essentiel de cette désormais fameuse note du CAE portait sur la nécessité de clarifier et d’harmoniser la taxation des différentes formes de capital. Pour que chacun d’entre nous puisse arbitrer en toute connaissance de cause, en fonction de ses besoins et de ses revenus, l’Etat, lui, se contentant d’une légère incitation vers le dynamisme économique et l’investissement productif.

Mais je vous rassure. On décrit là un Eden fiscal. Or nous avons tant croqué la pomme immobilière, que nous sommes sans doute condamnés pour des siècles et des siècles, à l’enfer de cette défiscalisation massive.

Amen

1. "un impôt sur les rendements du capital humain induit un plus faible investissement, soit un niveau moyen d’éducation et une productivité du travail moins élevés, et finalement un taux de croissance plus bas."

2. "au 1er décembre 2012, les 1562 milliards gérés par l’assurance vie étaient investis en action pour seulement 20,5% contre 67% en obligation ou en actifs liquides".

3. Quelle confusion intellectuelle d'ailleurs. "Ma maison me permettra de vivre une retraite décente". Mais enfin, c'est bien le chômage de masse qui fait exploser le système de retraite. Prenons les choses par le bon bout. D'abord moins de charges sur la production, créons la richesse, vous verrez que nous n'aurons plus de problème de retraite. Ensuite, un système par capitalisation vous donnera beaucoup plus de liberté qu'une maison qui peut vite devenir une prison.

4. "ne sera imposé que le loyer net des intérêts d’emprunt, avec possibilité de report déficitaire si les intérêts sont supérieurs au loyers". 

Stéphane Soumier