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Pourquoi l’impact du programme économique de Le Pen est impossible à évaluer

La sortie de l’euro, proposée par la présidente frontiste et difficilement chiffrable, ne permet pas une évaluation sérieuse de son programme, contrairement aux autres principaux candidats à la présidentielle.

François Fillon, Emmanuel Macron, Jean-Luc Mélenchon… Depuis le début de la campagne, l’observatoire BFM Business a mesuré l’impact des programmes des candidats à l’élection présidentielle sur la trajectoire de l’économie française. Le tout à l’aide d’un modèle économétrique élaboré par des universitaires français, MacSim 2 (éditions De Boeck). Une véritable "maquette" qui reproduit le fonctionnement de l’économie française à l’aide de 1.500 équations.

Problème: si (presque) tous les programmes ont pu jusqu’à maintenant être passés au crible, celui du Front national pose un problème de taille. Sa partie "conventionnelle" est certes assez classique, avec d’une part des mesures pour les PME (baisse de l’impôt sur les sociétés, simplification administrative, baisse des charges…), des mesures pour les ménages (retraite à 60 ans, prime de pouvoir d’achat, maintien des 35 heures, suppression de la loi El Khomri, revalorisation du minimum vieillesse…).

Un programme qui aboutit à "rendre" environ 40 milliards d’euros, qui seraient plus que compensés par 60 milliards d’euros d’économies. Et toutes ces mesures peuvent parfaitement être intégrées dans notre exercice de modélisation. Tout comme l’instauration de taxes douanières aux frontières.

Un choc systémique difficilement quantifiable

Reste la partie la plus spectaculaire du programme de Marine Le Pen: l’abandon de l’euro et le retour à une monnaie nationale. Un projet qui a potentiellement des effets sur l’économie française 5 à 10 fois plus puissants que les mesures "classiques" évoquées ci-dessus.

À la différence de Jean-Luc Mélenchon, qui n’envisage la sortie de l’euro que comme l’éventuel aboutissement d’un échec de la négociation avec nos partenaires européens pour bâtir une nouvelle Union européenne, Marine Le Pen fait de l’abandon de la monnaie unique le préalable à la mise en œuvre de son programme. Impossible, donc, d’évaluer son programme sans évaluer les effets de la sortie de l’euro.

Problème: mettre en équation les conséquences d’un choc systémique comme la sortie de l’euro est aujourd’hui impossible. "Comme Robert Lucas le fit remarquer dès 1976, l’estimation des paramètres d’un modèle est elle-même dépendante des politiques économiques en place durant la période d’estimation. Or rien n’est plus dépendant des politiques économiques que le régime monétaire d’un pays, puisque celui-ci conditionne l’ensemble des autres domaines de la politique économique", estime ainsi l’économiste Eric Chaney. "Et, contrairement à ce que les eurosceptiques affirment souvent, aucune expérience historique d’union monétaire, l’Union latine entre autres, n’est comparable à l’Union Économique et Monétaire en place depuis 1999, aucune n’ayant entièrement délégué la souveraineté monétaire à une banque centrale supranationale et indépendante, si l’on excepte, bien entendu, les unions politiques ou les annexions".

Une facture de plusieurs dizaines de milliards d'euros

Reste qu’il est tout de même possible de décrire à grands traits les conséquences économiques et financières d’une sortie de l’euro, car il est des lois de la gravité économique qu’il est impossible de défier. Si l’on se réfère au précédent historique le plus proche - la sortie de la lire du Système monétaire européen en 1992 - la baisse pourrait atteindre 20% environ. Mais Mathilde Lemoine, la chef économiste de la banque Rothschild, n’exclut pas une baisse de 40%.

La baisse de l’euro aura des effets sur l’inflation, car les importations satisfont 25% des besoins de consommation des Français. Que leur coût soit renchéri de 20%, et l’inflation pourrait atteindre 5% sur un an, soit une amputation de pouvoir d’achat de 2.000 euros par an et par foyer. Avec une monnaie plus faible et une inflation plus forte, les taux d’intérêt remonteront.

La Banque de France estime à 30 milliards d’euros le coût pour les finances publiques d’une hausse des taux à long terme de 1,5 point par rapport à aujourd’hui. Pour rappel, la facture augmente de 10 milliards chaque fois que les taux augmentent de 0,5%.

Mais il faut aussi prendre en compte la dette privée, celle des ménages et des entreprises. Si on retient cette hypothèse de 1,5 point de hausse des taux, il en coûtera 10 milliards de plus de charge de la dette aux ménages et 20 milliards aux entreprises.

Au final, quel effet sur la croissance? L’institut Montaigne l’estime, à moyen terme, entre 4 et 13 points de baisse du PIB. Une fourchette certes très large. Mais difficile, méthodologiquement, de faire mieux.

Emmanuel Lechypre