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Economie et Social

Pourquoi peut-on parier que la Cour de cassation va sauver le barème Macron

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TRIBUNE - Le barème Macron qui fixe un plancher et un plafond d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle ni sérieuse, qui varient en fonction de l’ancienneté du salarié, est-il compatible avec les dispositions conventionnelles en cause ? Telle est la question posée à la Cour de cassation. Celle-ci se prononcera le 17 juillet prochain à 14 heures.

Le lundi 8 juillet 2019, la formation plénière de la Cour de cassation, formation la plus solennelle de la Cour, s’est réunie pour examiner deux demandes d’avis, l’une du Conseil de prud’hommes de Louviers et l’autre du Conseil de prud’hommes de Toulouse, sur la conformité du barème aux conventions internationales ratifiées par la France.

A l’image du Conseil constitutionnel qui vérifie si les lois sont conformes à la constitution, le Cour de cassation (dans l’ordre judiciaire) et le Conseil d’Etat (dans l’ordre administratif) vérifie la « conventionalité » des règles internes.

Sont en cause les articles 10 de la convention OIT n°158 et 24 de la Charte Sociale Européenne qui posent, en termes identiques, le droit du salarié licencié sans motif valable à une réparation « adéquate » ainsi que l’article 6-1 de la Convention européenne de sauvegarde des Droits de l’Homme sur le droit à un procès équitable.

Le barème Macron qui fixe un plancher et un plafond d’indemnisation du salarié licencié sans cause réelle ni sérieuse, qui varient en fonction de l’ancienneté du salarié, est-il compatible avec les dispositions conventionnelles en cause ?

Telle est la question posée à la Cour de cassation. Celle-ci se prononcera le 17 juillet prochain à 14 heures. On attend avec impatience sa décision.

Que décidera la Cour ?

On peut essayer par anticipation de le dire en prenant un pari, qui à l’inverse de celui qui avait été posé par Pascal en son temps, pourrait être gagné ou perdu : la Cour de cassation va sauver le barème.

Si la Cour de cassation décide de sauver le barème, cela veut dire d’abord que la Cour de cassation accepte de se prononcer. Et pour se prononcer, elle devra d’abord revenir sur une pratique passée, celle qui consiste à refuser de se prononcer sur la conformité de règles internes aux conventions internationales à l’occasion d’une procédure d’avis.

Et voilà le premier pari : la Cour de cassation acceptera de rendre un avis. Pourquoi ? Parce que les décisions des Conseils de prud’hommes qui divergent sur la solution à donner à la question posée se multiplient et qu’il est grand temps de « siffler la fin de la partie ». Parce que la Cour de cassation est pressée de toutes parts (Ministère Public, parties, conseils de prud’hommes et presse) pour rendre un avis. Et enfin parce que la Cour peut aisément changer de position, sans avoir à se déjuger, tant son refus passé paraît mystérieux.

Deuxième pari, le plus audacieux celui-là : la Cour de cassation va sauver le barème en déclarant qu’il est compatible avec les dispositions des conventions internationales en cause. Et pourquoi ? Pascal, toujours lui, pourrait parler d’un simple calcul de probabilités et il est plus probable, selon nous, que la Cour de cassation sauve le barème qu’elle ne le condamne.

Qu’est-ce qui peut permettre de le croire?

Plusieurs (bonnes) raisons.

Première raison : les arguments en faveur de la conventionalité ou de l’inconventionalité du barème se valent. Ces arguments sont de force égale et aucun camp ne peut légitimement prétendre siéger dans une forteresse imprenable. Dit autrement, la Cour dispose d’arguments juridiques solides en faveur du barème. Ces arguments ont été rappelés par les parties à l’audience du 8 juillet ainsi que par le Ministère Public.

Nous n’en retiendrons qu’un seul, le plus marquant à nos yeux : le caractère adéquat de l’indemnisation allouée au salarié en cas de licenciement injustifié doit s’analyser globalement au regard de l’ensemble du système d’indemnisation en place (montant des indemnités fixées par le barème, marge d’appréciation du juge, possibilité d’obtenir la réparation de préjudices autres que ceux nés de la perte de l’emploi, tels que celui né d’un licenciement intervenu dans des circonstances vexatoires, obligation de l’employeur de rembourser à Pôle Emploi les indemnités de chômage versées au salarié injustement licencié, droit aux allocations chômage …).

Deuxième raison : la Cour de cassation est appelée à donner un avis dans sa formation plénière, celle qui réunit les Présidents des cinq chambres de la Cour sous la présidence du Premier Président. L’assemblée plénière n’est pas la chambre sociale de la Cour de cassation. La chambre sociale est toute entière imprégnée de la nécessité de rééquilibrer les rapports de force en faveur du salarié, le droit du travail étant bâti sur un contrat de travail consubstantiellement inégalitaire. L’assemblée plénière est plus libérale, et moins encline à ériger en dogme la fonction protectrice du droit du travail.

Les positions longtemps divergentes adoptées par l’assemblée plénière de la Cour et la chambre sociale sur la validité des clauses de renonciation générale insérées dans une transaction (le salarié déclare renoncer à toute instance ou action contre son ancien employeur) en sont un exemple caractéristique : la chambre sociale a d’abord jugé que ces clauses n’étaient pas valables, avant de se raviser et de se caler sur la position contraire de l’assemblée plénière.

Troisième et dernière raison : la Cour de cassation n’aime ni l’exposition médiatique ni passer pour faire de la politique. Décider que le barème doit être écarté, c’est prendre le risque de déclencher une avalanche médiatique et de s’exposer à la critique, renouvelée, du gouvernement des juges, en mettant à bas une des mesures phares des ordonnances Macron. Or, la Cour de cassation ne souhaite faire ni la une des journaux ou du 20 heures ni encourir la critique de faire, sans le dire, de la politique. Certaines des parties comme le Ministère Public l’ont rappelé à l’audience du 8 juillet : il n’appartient pas à la Cour de cassation de dire « si le barème est une bonne ou mauvaise chose ». La Cour doit seulement se prononcer sur sa conventionalité. Exercice impossible : en tranchant, la Cour s’expose nécessairement. Son exposition est grande si elle condamne le barème. Faible si elle le valide, car elle mettra ses pas dans ceux du Conseil Constitutionnel qui a déclaré le barème conforme à la Constitution et du Conseil d’Etat qui a dit qu’il n’existait pas de doute sérieux sur sa conventionalité. Certaines juridictions, comme le Conseil constitutionnel en particulier, ont pris l’habitude, dans l’exercice de leurs pouvoirs, de descendre dans l’arène politico-médiatique. Pas la Cour de cassation, qui aime se tenir à l’écart.

Rendez-vous le 17 juillet pour savoir si le pari est gagné ou perdu et si l’auteur de ces lignes aura péché par témérité. Mais à vaincre sans péril ne triomphe-t-on pas sans gloire ?

Malik Douaoui, Avocat associé chez Deloitte Taj