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Economie et Social

Retraites: une réforme fidèle aux promesses

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L’un des meilleurs spécialistes des retraites en France, Emmanuel Grimaud, fondateur de Maximis retraite et simul retraite.fr, analyse les premières annonces : un sans faute

Là où beaucoup l’attendaient au tournant pour fustiger une réforme pénalisante avec des perdants (90% selon certains syndicats) force est de constater que le projet est consensuel, équilibré, conforme à l’esprit de la réforme annoncée pendant la campagne présidentielle: rendre le système plus simple, plus lisible, plus équitable; rétablir la confiance dans un système aujourd’hui mal compris et excessivement complexe; ne pas réduire le montant des retraites (pas d’impact pour les retraités actuels ni sur les départs jusqu’à 2024), mais aussi maintien voire accentuation de la logique de solidarité (chômage, handicap, carrières hachées, maternité…), maintien du principe des pensions de réversion (attention toutefois à l’introduction éventuelle de conditions de ressources), intégration progressive des primes des fonctionnaires, majoration pour les mamans dès le 1er enfant, en un mot, ce n'est pas avec ce texte que l'on va monter les uns contre les autres.

Réelles marges de manoeuvre

Car le système actuel laisse des marges de manœuvre : La Caisse Nationale d’Assurance Vieillesse est passée d’un déficit de près de 10 milliards d’euros en 2010 à un excédent de presque 2 milliards en 2017. L’Arrco / Agirc, les retraites complémentaires, devraient être en excédent en 2019. Les différentes mesures prises dans les réformes précédentes ont permis d’améliorer les comptes de près de 60 milliards d’euros par an. Les retraités ont un niveau de vie supérieur à celui des actifs et un taux d’épargne supérieur à celui des actifs. Le taux de pauvreté chez les retraités a baissé considérablement depuis 25 ans (les études évaluent que 8% des retraités vivent dans la pauvreté, ce qui est inférieur au reste de la population). Au moins 600.000 retraités (soit 1/3 des retraités des 3 dernières années) sont en cumul emploi retraite, mais seuls 8% le sont par nécessité économique

Qu’a annoncé/confirmé Jean Paul Delevoye ?

Un système par Points : En résumé, un système semblable à celui de l’arrco agirc qui existe depuis plus de 70 ans. Rien ne prévoit dans le projet annoncé la possibilité de baisser la valeur du point et donc les retraites. La valeur du point ARRCO ou AGIRC n’a jamais baissé depuis 1947 (même s’il a dernièrement augmenté moins vite que l’inflation). Près de la moitié des cotisations de retraite actuelles sont déjà basées sur un système par point sans que cela n’ait jamais entraîné de baisses des pensions.

Un système unique, universel : Jean Paul Delevoye a confirmé le principe de base de la réforme : pour un euro cotisé, la retraite générée sera la même pour tous. Peut-on contester ce principe d’équité ? Qui sait qu’aujourd’hui le chômeur qui reprend une activité ponctuelle peut faire baisser sa retraite alors qu’il cotise plus? Le mode de calcul actuel pénalise les personnes qui ont une carrière atypique : les femmes, les précaires, les personnes cotisant à plusieurs régimes durant leurs carrières, les indépendants/commerçants, les entrepreneurs, les expatriés. Les carrières faibles, heurtées, hachées seront mieux compensées par le système futur à points que par le système actuel.

Qui sera concerné par la réforme ? Rien ne changera ni pour les personnes déjà à la retraite ni pour les personnes nées avant 1962 qui peuvent prendre leur retraite d’ici 2024. La transition se fera ensuite très progressivement (sur 40 ans). (Il conviendra d’analyser plus en détail les modalités techniques mais on peut penser que la volonté de transition très progressive a pour but d’éviter des effets de seuils pénalisants et injustes)

Un décalage de l’âge de départ à 63 ans ? Des informations ont circulé en début de semaine sur l’éventualité de l’instauration d’une décote pour un départ à l’âge de 62 ans et pour un « taux plein » à 63 ans. Jean Paul Delevoye confirme qu’il ne s’agit que d’une piste et que, logiquement, des discussions auront lieu sur les paramètres qui permettront au régime de s’adapter. Rien ne permet donc aujourd’hui d’affirmer que l’âge de départ est décalé d’une quelconque manière (Jean Paul Delevoye laisse néanmoins clairement entendre qu'il reverra les partenaires sociaux sur ce point précis. NDLR)

Un rendement égal, mais des cotisations pas forcément au même niveau: Pour un euro de cotisation, un même niveau de retraite. Ce principe de base est confirmé. Il entérine ce souhait de rendre le système plus juste, plus lisible, plus équitable. Cependant, certaines professions maintiendront un taux de cotisation (un niveau de charges) différencié (inférieur). Les commerçants et la plupart des professions libérales par exemple qui cotisent aujourd’hui moins que les salariés ne verront pas leurs cotisations augmenter considérablement, ce qui aurait pour effet de les mettre en difficulté dans leur activité. Qui dit moins de cotisations dit donc moins de retraite à l’arrivée. Mais ce type de professions doit souvent consentir des efforts importants au moment du lancement de leur activité, ce qui leur laisse moins de possibilité de cotiser. (Il serait donc souhaitable que la loi leur permette d’avoir des cotisations optionnelles facultatives supérieures lorsqu’ils réalisent par exemple des « bonnes années » ou sont plus installés)

Maintien des règles de solidarité: Jean Paul Delevoye est attaché à maintenir voire amplifier les mécanismes de solidarité existants. Bonne nouvelle, le système par point est particulièrement adapté à une politique de solidarité et de protection des plus faibles. Points « gratuits » pour la maternité, pour le handicap, pour le chômage (comme c’est déjà le cas actuellement), pour les formations.

Lisibilité, équité, solidarité: Contrairement à ce que l’on entend parfois, le système par point aura un effet favorable sur les retraites des femmes, souvent pénalisées aujourd’hui par le mode de calcul qui pénalise les carrières atypiques, non linéaires, incomplètes

Attractivité, épargne supplémentaire

Un niveau maximum de cotisation ? C’est peut-être l’un des éléments les plus marquants de la réforme en cours, même s’il ne concerne que peu de français (entre 200 et 300.000 personnes).

Dans le système actuel, les cadres supérieurs et les cadres dirigeants cotisent jusqu’à un salaire annuel brut de 318.000 euros (soit 26.500 euros bruts par mois). Dans le nouveau système, les cotisations seraient plafonnées à une rémunération maximum d’environ 120.000 euros bruts annuels (soit 10.000 euros bruts par mois), niveau de cotisation maximum applicable actuellement dans la plupart des professions non salariées. Moins de cotisations donnera moins de retraite, c’est assez simple à comprendre. Cela signifie que la retraite des trentenaires actuels, futurs cadres supérieurs pourrait être divisée par deux par rapport au niveau actuel. Que faut il en penser? D’une part, cela signifie que les cadres auraient moins de cotisations durant leur vie active et donc un salaire net supérieur (ils contribuent à hauteur de 40% de ces cotisations actuellement), les entreprises économiseraient les 60% qui leur incombe actuellement. Autrement dit, le revenu net disponible tout au long de la carrière permettrait aux cadres supérieurs une épargne supplémentaire tout au long de leur vie. 

Du point de vue macro-économique, cela donnerait une attractivité supplémentaire significative à la France, vu de l’étranger. Le taux élevé de charge sociales (en grande partie les cotisations retraite) est en effet souvent perçu comme étant un handicap pour attirer des entreprises et des talents étrangers en France. En revanche, du point de vue individuel, il est difficile d’imaginer que le gouvernement n’envisage pas un système qui inciterait les entreprises à mettre en place des systèmes facultatifs de cotisations retraite et permette à ces cadres dont le taux de remplacement serait dégradé (divisé par deux) d’investir dans des schémas d’épargne retraite.

Une première option serait d’investir optionnellement dans le système universel par point, une deuxième option serait d’épargner dans les dispositifs d’épargne retraite que la loi PACTE entend rendre plus souples et plus attractifs. Les enjeux pourraient représenter environ 5 milliards d’euros d’épargne supplémentaire par an, soit près de 100 milliards d’euros au bout de 20 ans. Somme qui pourrait financer l’économie française et renforcer les fonds propres de nos entreprises

Quelle conséquence pour l’emploi des seniors? Le taux d’emploi des plus de 60 ans (plus significatif que le taux habituellement présenté des 55/65 ans), longtemps très inférieur en France par rapport à nos voisins européens s’est fortement amélioré depuis dix ans. Le recul de l’âge de départ de 60 à 62 ans en est la principale raison. Ce recul de l’âge de départ a un effet favorable sur le PIB. Les mécanismes de cessation progressive d’activité (cumul emploi retraite, retraite progressive) permettent d’améliorer ce taux d’emploi, le niveau de vie des seniors et les comptes publics. L’IGAS a recommandé en 2013 d’encourager le recours à ces dispositifs. Il est donc fortement souhaitable que la réforme continue à promouvoir ces mécanismes et que les entreprises françaises les adoptent massivement, ce qui leur procure dans la plupart des cas des avantages significatifs.

Emmanuel GRIMAUD