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Finances publiques

Suppression de l’exit tax: quelle facture pour l’État?

Le ministère de l'Économie et des Finances

Le ministère de l'Économie et des Finances - Joël SAGET / AFP

Tandis que Bercy évoque 140 millions de recettes effectives liées à l'exit tax entre 2012 et 2017 et 6 milliards de rendement potentiel, Les Échos pointent une erreur de calcul et tablent sur 1,5 milliard d'euros.

C’est un impôt hautement symbolique auquel veut s’attaquer Emmanuel Macron. Dans les colonnes du magazine Forbes début mai, le chef de l’État a annoncé la prochaine suppression de l’exit tax, jugeant ce dispositif de lutte contre l’évasion fiscale "pas particulièrement intéressant pour les finances publiques" et nuisible à l’attractivité de la France. Une déclaration qui n’a pas tardé à susciter un tollé dans les rangs de l’opposition.

Depuis, la guerre des chiffres fait rage pour apporter l'estimation la plus juste des recettes de l’État découlant directement de l’exit tax. Ou, dit autrement, l'évaluation la plus rigoureuse de ce qu’il risque de perdre une fois sa suppression actée.

Dans la foulée de l’annonce présidentielle, Bercy a dégainé le chiffre de 140 millions d'euros. Une goutte d'eau dans les caisses publiques. De son côté, le Conseil des prélèvements obligatoires estime que les recettes -potentielles cette fois- générées par l’exit tax sont de l'ordre de 803 millions d’euros.

Mais coup de théâtre mi-juin: le directeur de la législation fiscale, Christophe Pourreau, présent en commission des Finances à l’Assemblée a finalement évalué les recettes potentielles de l’exit tax à 6 milliards d’euros pour l’État. Une somme corrigée ce mercredi par Les Échos qui pointent une erreur de calcul et parlent plutôt de 1,5 milliard d’euros.

Fonctionnement de l'exit tax

Pour comprendre ces écarts de chiffres, il est nécessaire de revenir sur le fonctionnement complexe de l'exit tax. Instauré en 2011, cet impôt consiste à imposer les revenus et prélèvements sociaux perçus au titre des plus-values latentes réalisées par un contribuable qui décide de transférer son domicile fiscal à l'étranger. Objectif: éviter la fuite des entrepreneurs.

Sont concernés par l'exit tax les contribuables qui s'établissent hors de France et qui détiennent des titres (actions, obligations...) dont la valeur est supérieure à 800.000 euros ou qui possèdent 50% du capital d'une entreprise. Ces mêmes contribuables sont soumis à une taxe de 30% sur les plus-values latentes, c'est-à-dire sur la valeur prise par leur patrimoine entre le moment où ils l'acquièrent et leur départ de l'Hexagone.

Sursis de paiement

En clair, ce dispositif vise à éviter qu'un entrepreneur ne s'exile pour vendre sa société depuis l'étranger sans payer d'impôt sur les plus-values en France. Seulement voilà, une subtilité de son fonctionnement précise que les entrepreneurs établis hors des frontières nationales bénéficient d'un sursis d'imposition tant qu'ils n'ont pas effectivement cédé leur entreprise. Or, la vente peut intervenir bien des années plus tard, voire jamais. Ils sont par ailleurs exonérés d'exit tax si les parts n'ont toujours pas été vendues quinze ans après leur départ.

En d'autres termes, certains contribuables exilés peuvent avoir quitté la France sans pour autant avoir vendu leur société dans l'immédiat. Ils bénéficient alors du sursis d'imposition. Reste à savoir si celui sera un jour révoqué par la vente, ou non, de l'entreprise.

C'est cette incertitude qui explique en partie les différentes évaluations des recettes liées à l'exit tax. Dans son analyse, Bercy ne mesure que les gains effectivement obtenus par l'État entre 2012 et 2017 sur les valeurs déjà cédées par les entrepreneurs depuis leur expatriation: soit 140 millions d'euros. Les sursis d'imposition susceptibles d'être révoqués à l'avenir ne sont donc pas pris en compte.

À l'inverse, le Conseil des prélèvements obligatoires table pour sa part sur un rendement potentiel de 803 millions d'euros car il part du principe que toutes les plus-values latentes visées par l'exit tax seront imposées à l'avenir. Par ailleurs, il ne prend pas en compte les prélèvements sociaux.

Erreur de calcul

Enfin, les 6 milliards d'euros de recettes potentielles (recettes effectives + sursis de paiement) estimées par Bercy entre 2012 et 2017 comprennent revenu et prélèvements sociaux.

"Selon les derniers calculs, qui sont délicats à effectuer, on a aujourd'hui un stock d'impôt sur les plus-values, entrant dans le champ de l'exit tax, en sursis de paiement, d'environ 6 milliards d'euros, en impôt sur le revenu et en prélèvement sociaux", a expliqué Christophe Pourreau, le directeur de la législation fiscale.

Or, selon Les Échos, cette estimation est erronée et serait plutôt de l'ordre de 1,5 milliard d'euros. Le quotidien économique rappelle en effet que les contribuables expatriés potentiellement redevables de l'exit tax doivent déclarer les plus-values latentes chaque année jusqu'à ce que celles-ci soient soldées. Dans ses calculs, le fisc aurait fait le cumul des différentes déclarations entre 2012 et 2017 et donc comptabilisé plusieurs fois les mêmes plus-values. D'où son chiffre de 6 milliards d'euros.

"De toute façon, les plus-values latentes n’ont que peu d’intérêts: il y a toutes les chances pour qu’on n’en récupère jamais l’essentiel. [...] Le seul chiffre certain, ce sont les 140 millions d’euros qu’a rapportés la taxe entre 2012 et 2017", indique Bercy au Monde.
P.L