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"Sur l'égalité femmes-hommes en entreprise, l'État ne peut pas tout"

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- - Jean-Francois Monier - AFP

Marlène Schiappa, la secrétaire d'État en charge de l'égalité entre femmes et hommes a évoqué pour BFM Business ses pistes de travail pour lutter contre les inégalités salariales et professionnelles entre genres.

Les premières mesures pour la parité et l'égalité salariale entre femmes et hommes ont fait leur apparition dans le code du travail en… 1972. En 2016, les femmes étaient toujours payées près de 20% de moins que leurs homologues masculins à qualifications équivalentes. 60% des entreprises ne respectaient pas les accords sur l'égalité, parmi lesquelles 0,1% ont été sanctionnées. Et Isabelle Kocher chez Engie est la seule Française à diriger un groupe coté du CAC 40. Marlène Schiappa, la secrétaire d'État à l'Égalité entre hommes et femmes, compte faire bouger l'entreprise en travaillant sur tous les fronts. Entretien.

Pour assurer la parité femmes-hommes en entreprise, l'État impose des quotas depuis 1983. 34 ans plus tard, considérez-vous que ce système a démontré son efficacité?

On peut mener des débats philosophiques sans fin sur l'utilité des quotas, mais la réalité, c'est que quand il n'y en a pas, il n'y a pas de femmes. On le voit bien en politique, la loi oblige les conseils municipaux à être paritaires, et en moyenne, ils sont composés à 48% de femmes. Dans les communautés de communes en revanche, il n'y a pas d'obligation, et on est très loin de ce niveau. C'est la jungle. La mixité ne se fait pas spontanément, c'est d'ailleurs pourquoi la France pousse l'Europe à aller elle aussi vers les quotas.

Le vrai problème, c'est que les sanctions ne sont pas toujours appliquées. La loi Coppé-Zimmerman, qui oblige les entreprises à compter au moins 40% de femmes dans leurs conseils d'administration depuis janvier 2017, prévoit que les jetons de présence (la rémunération des administrateurs, NDLR) soient gelés chez les sociétés contrevenantes. Mais l'État ne peut pas s'assurer que la loi est respectée dans chaque conseil d'administration. Et avant d'aller réclamer des amendes au secteur privé, l'État doit balayer devant sa porte. Même ses services ne versent pas les pénalités financières prévues dans les lois sur l'égalité hommes-femmes. C'est justement sur ce sujet que nous travaillons au secrétariat d'État à l'égalité femmes-hommes avec le ministère du Travail. L'idée, c'est que la loi existe de façon théorique, mais il y a des trous dans la raquette. Nous cherchons à savoir comment les jetons de présence sont payés ou pas en fonction du respect de la loi.

Que prévoyez-vous concrètement?

Nous allons faire en sorte qu'il y ait plus de contrôles aléatoires, sans l'annoncer en grande pompe. On veillera à l'application de la loi, un travail souterrain, moins glamour, mais nécessaire. Déjà cette année, 97 entreprises du secteur privé ont été sanctionnées financièrement pour n'avoir pas respecté l'égalité réelle entre hommes et femmes. Le ministère de la Fonction publique a dû verser des pénalités financières. Nous avons mis en place des actions concrètes, comme le Name and Shame, qui consiste à dévoiler le nom des entreprises qui ne respectent pas l'égalité hommes-femmes.

Ce qui marche, c'est de combattre sur tous les fronts. Avec des lois, des actions coup de poing comme le Name and Shame, et aussi l'accompagnement des entreprises. Nous avons mis en place une formation à destination des dirigeants d'entreprises sur l'égalité professionnelle entre hommes et femmes. Cette semaine, nous publions un guide pour les TPE-PME, qui leur rappelle très simplement leurs obligations, et leur donne des exemples de bonnes pratiques. Et ils sont nombreux en France, surtout chez les plus petites entreprises. Chez Cdiscount, à Bordeaux, les salariés suivent des formations contre le sexisme, pour rendre les échanges bienveillants et dénués de tout sexisme. Chez Gecina, l'entreprise première du classement de l'égalité hommes-femmes en France, lorsqu'un poste devient disponible, les dirigeants s'assurent de recevoir autant de candidates que de candidats en entretien. Même L'Oréal fait analyser par un organisme indépendant, l'Institut national d'études démographiques, sa politique salariale, afin de débusquer les inégalités et d'ajuster.

En France, quelques femmes comme Patricia Barbizet et Clara Gaymard cumulent les postes d'administratrices dans les grands groupes. Les entreprises disent ne pas trouver de femmes au bon profil, et des femmes très qualifiées ne trouvent pas d'opportunité. Comment résoudre ce problème de rencontre entre l'offre et la demande?

Ce sujet me rappelle une caricature parue après l'adoption d'une nouvelle loi sur l'égalité professionnelle. On y voyait un dirigeant dire à un autre "maintenant il va falloir qu'on embauche une femme", et l'autre de lui répondre "la femme de qui?". Quand on veut trouver des femmes, on en trouve, mais il faut faire l'effort d'aller les chercher. La République en marche l'a fait pour parvenir à la parité à l'Assemblée, et 45% de nos députés sont des députées.

Mais tout le monde va à la facilité, et engage celle qu'il connaît. Les pouvoirs publics ne peuvent pas tout, les entreprises doivent faire ce petit effort d'aller trouver d'autres femmes, en dehors de leur cercle de connaissances. Le rôle de l'État est de créer les bonnes conditions pour y parvenir. À ce titre, dans le guide que nous avons publié, sur lequel a travaillé l'Observatoire des inégalités, nous donnons des pistes. Nous indiquons les noms de cabinets de chasseurs de tête dédiés aux femmes, d'associations et de réseaux féminins.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco