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Economie et Social

Rendements, transférabilité... Ce qui bloque avec l'assurance vie

Si le débat autour de la portabilité totale des contrats d'assurance vie demeure, il est possible de réajuster leur structure pour dynamiser leur rentabilité.

Le gouvernement en a décidé ainsi il y a quelques mois. La transférabilité totale de l'assurance vie, c’est « non » ! Par-là, il faut comprendre le fait de donner aux épargnants la possibilité de passer d’un Assureur A à un Assureur B. En d’autres termes, de confier leur épargne à l’établissement qui leur conviendra le mieux et de transférer leur contrat sans autre forme de procès.

Sur le papier, cette ambition comporte pourtant bien des avantages (financiers) pour les épargnants. D’une part, parce qu’elle permet d’augmenter la concurrence, d’autre part, parce qu’elle aurait pour conséquence de limiter, voire de « réduire les frais de gestion », estime Hugo Bompard, cofondateur de la société de conseil en investissements financiers et assurance vie pilotée Nalo.

Problème : le gouvernement ne l’entend pas forcément de cette oreille. En tous cas, pas pour l’instant.

Pour justifier son refus d’instaurer une transférabilité totale sur les contrats d’assurance vie, le gouvernement met en avant deux arguments. A savoir, que cette opération pourrait, d’un côté, déstabiliser les assureurs, de l’autre, s’avérer désavantageuse pour les épargnants. Partagez-vous cet avis ?

Hugo Bompard : La situation, aujourd’hui, est la suivante. Si un épargnant souhaite transférer son contrat vers un autre assureur, il ne peut le faire qu’au prix d’une importante pénalité fiscale. Nous seulement il doit effectuer un rachat pour récupérer ses versements, mais il perd, en plus, son antériorité fiscale. Pire encore pour les épargnants de plus de 70 ans. Ces derniers perdent à tout jamais leurs bénéfices fiscaux pour tous versements effectués avant cet âge. Il s’agit clairement d’une triple peine. Or, c’est cette situation actuelle qui a créé un déficit de concurrence.

De fait, aujourd’hui en France, seulement dix acteurs issus de la Banque-Assurance se partagent le secteur. Ils détiennent 80% de l’encours. Cela relève quasiment de l’oligopole. Ainsi, le fait de demander le transfert des contrats d’assurance vie tient simplement du bon sens. Sauf qu’en effet, cela bloque du côté du gouvernement qui considère qu’une transférabilité totale pourrait déstabiliser les assureurs dans la gestion de leurs fonds euros et que cela les contraindrait à disposer davantage d’actifs liquides qui se veulent moins rémunérateurs. Certains vont même jusqu’à indiquer qu’une transférabilité totale pourrait ébranler la totalité du système économique français et comporter des risques systémiques financiers.

L’autre argument avancé par le gouvernement tient au fait que cette augmentation du nombre d’actifs liquides générerait, mécaniquement, des rendements moins intéressants pour les épargnants.

Pourtant, le fait d’ouvrir l’assurance vie à la concurrence devrait techniquement engendrer une diminution des frais de gestion. Pourquoi une telle crispation ?

Effectivement, le fait d’augmenter la concurrence permet, de facto, de réduire les frais de gestion. Il faut dire qu’aujourd’hui, lorsque l’on observe le rendement net moyen des fonds en euros constaté en 2018, celui-ci est fixé à 1,6%. Or les frais prélevés sont de l’ordre de 0,75%. C’est extrêmement important. Imaginez ce que cela pourrait donner s’ils étaient abaissés ne serait-ce qu'à 0,65% ou 0,55% ? Cela changerait foncièrement la donne pour les épargnants à l’heure où ce placement ne rapporte quasiment plus rien du fait de l’inflation.

Bien sûr, cette baisse ne se ferait pas du jour au lendemain. Mais il y aurait un gain de performance mathématique. Si bien que la mise en concurrence ne revêt, en fin de compte, que des avantages pour les épargnants.

Et puis, il faut aussi bien conserver à l’esprit que les gens ne vont pas non plus se précipiter pour transférer leur contrat. Prenons l’exemple des banques. Lorsque la clause de transfert permettant à un acquéreur de changer de banque dans le cadre d’un investissement immobilier a été instaurée, les grandes banques n’ont pas fait faillite pour autant. Les acquéreurs sont restés dans une certaine inertie et ont d’abord fait en sorte de renégocier avec leur banquier avant de se tourner vers des banques en ligne ou des néo-banques par exemple. C’est exactement ainsi que cela pourrait se passer avec l’assurance vie.

Au final, l’option retenue par le rapporteur porte sur ce que l’on appelle : « la transférabilité interne ». De quoi est-il question ?

Ce qui a été voté, c’est de permettre aux épargnants de changer de contrat au sein d’un même assureur. Le gouvernement avance, certes, mais ce n’est qu’un petit pas en avant. Le fait d’opter pour une transférabilité interne, c’est quand même très pauvre. Cela ne crée pas de mise en concurrence entre les différents acteurs.

Ce qui est intéressant de noter en revanche, c’est qu’un autre amendement qui incite, cette fois, les assureurs à disposer d’une approche plus transparente vis-à-vis des épargnants a également été adopté par les députés. Cet amendement contraint les établissements à communiquer sur les rendements de tous leurs contrats. Ce qui permet aux épargnants d’obtenir une vision globale de ce qu’ils peuvent, à terme, percevoir. Sauf que dans les faits, si cette transparence n’était pas obligatoire, elle existait déjà. Ce n’est pas cela qui va révolutionner la situation et les ajustements adoptés restent, pour le moment du moins, assez faibles.

Au final, il est clair qu’il y a là un pas en avant d’effectué, mais il demeure assez petit. La bonne nouvelle c’est que le mouvement est enclenché et il me semble qu’il mènera, tôt ou tard, à une transférabilité totale. C’est la marche de l’Histoire et c’est ce qu’il s’est déjà produit pour d’autres secteurs par le passé.

Julie COHEN-HEURTON