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Transmission de patrimoine : abus de droit renforcé, nue-propriété sur la sellette ?

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Le fait que la notion d’« abus de droit » ait été révisée implique désormais des contraintes supplémentaires pour celles et ceux qui souhaitent transmettre un patrimoine de leur vivant à leurs enfants. Malgré la récente mise au point de Bercy, l’incertitude demeure.

A l’heure où le renforcement de la notion d’« abus de droit » suscite encore quantité de craintes tant du côté des gestionnaires de patrimoine que des particuliers, la question de comprendre ce que cette nouvelle définition implique concrètement perdure. La Direction générale des finances publiques (DGFiP) a beau rappeler à qui veut l’entendre que cette mise à jour opérée dans le cadre de la loi de finance 2019 ne rend aucunement illégale la transmission démembrée d’un patrimoine, les doutes quant aux fondements d’un tel ajustement sont bel et bien présents. De là à s’en inquiéter outre-mesure ? Pas forcément, estime Maître Barbara Thomas-David, notaire spécialisée en droit privé, gestion de patrimoine et immobilier à Paris.

La notion d’« abus de droit » se caractérise actuellement par une opération qui serait uniquement motivée par une volonté de réduire ou de contourner l’impôt. Pourquoi fallait-il la renforcer ?

Me Barbara Thomas-David : En droit, la preuve incombe forcément au demandeur dans le sens où c’est à l’administration fiscale d’apporter la preuve de ce qu’elle recherche et donc, dans notre cas, qu’abus de droit il y a. Il en a toujours été ainsi. Le problème jusqu’à présent tenait au fait qu’il s’avérait extrêmement difficile par ladite instance de prouver que certains montages financiers ou patrimoniaux étaient illégaux. En ce sens, la mise au point de Bercy était nécessaire dans la mesure où seules les pratiques à but « exclusivement » fiscal étaient concernées.

Aujourd’hui, les montages opérés avec un objectif « principalement » fiscal le sont aussi. La notion d’« abus de droit » est devenue plus large et donc plus stricte. Le but pour l’administration fiscale : faciliter son travail de contrôle. De là à envisager qu’elle s’oppose au démembrement de copropriété… Il n’en est rien. Bercy l’a rappelé le week-end dernier. Le ministère reste fondamentalement pour cette démarche parce qu’elle favorise entre autre la transmission d’un patrimoine de manière intergénérationnelle. Il s’agit donc simplement d’une manière de mieux fixer les choses et de prévenir les abus.

Le ministère de l’Action et des Comptes publics a, par ailleurs, précisé que la transmission anticipée de la nue-propriété d’un bien aux enfants restait tout à fait envisageable « sous réserve bien entendu que les transmissions concernées ne soient pas fictives ». C’est-à-dire ?

La DGFiP a, en effet, tenu à rappeler que les inquiétudes entourant cette nouvelle définition de l’« abus de droit » pouvant nuire à la transmission en nue-propriété n’avaient pas lieu d’être. Il convient simplement que la transmission en question ne soit pas fictive. De fait, une donation peut être considérée comme étant fictive ou inexistante dans le cas d’un démembrement de propriété où un parent transmet de son vivant la nue-propriété d'un bien à son enfant. Ce dernier devient alors pleinement propriétaire au décès de son parent sans avoir été contraint de payer de droits sur la valeur de l’usufruit.

Sauf que la loi considère que si le décès intervient moins de trois mois après la donation de la nue-propriété, cette donation est alors présumée comme ayant été faite dans le seul et unique but d'économiser des droits de succession. Dans ce cas, la nue-propriété doit être fictivement réintégrée dans l’actif et donc imposée au titre des droits de succession. Le résultat de tout cela fait que l’administration fiscale a le droit de dire que la donation réalisée quelques semaines avant le décès est fictive et donc inexistante.

Que vous inspire cette évolution terminologique au final ?

Il est vrai que si l’on prend un peu de recul, les rapports entre les contribuables et l’administration fiscale n’ont de cesse de se tendre. Les suivis sont de plus en plus rigoureux. Par ailleurs, les niches fiscales qui avaient été créées afin de favoriser les transmissions n’existent quasiment plus. L’idée aujourd’hui, c’est vraiment de faciliter la tâche de l’administration notamment pour tout ce qui concerne le recouvrement d’impôts.

Julie COHEN-HEURTON