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Un expert décrypte la retraite à 60 ans promise par Marine Le Pen

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- - GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

La candidate du Front national a réaffirmé sa volonté de réinstaurer l'âge de départ à la retraite à 60 ans. Une mesure qu'elle compte financer grâce au plein emploi. Une erreur d'appréciation selon l'économiste Jacques Bichot, spécialiste des retraites.

Marine Le Pen l'a réaffirmé ce matin: il faut revenir à la retraite à 60 ans. Avec Jean-Luc Mélenchon, elle est la seule candidate à cette élection présidentielle à vouloir abaisser l'âge auquel les salariés qui ont accumulé suffisamment de trimestres peuvent mettre un terme à leur carrière. Comme François Mitterrand en 1981, elle en fait l'un de ses arguments de campagne. Si sa réforme était appliquée, toute personne âgée de 60 ans ayant cotisé 160 trimestres aura droit à une retraite à taux plein. Une mesure en totale rupture avec les réformes qui depuis 2010 repoussent l'âge de départ afin de réduire le poids du versement des retraites supporté par la population active du fait de l'allongement de l'espérance de vie.

Mais Marine Le Pen l'assume comme l'a encore dit ce matin sur RTL.

Ce retour en arrière ne coûterait selon ses calculs "que" 15 milliards d'euros par an. Ce qui, à l'en croire, serait facilement finançable. De quelle manière? Grâce au plein emploi comme elle l'a martelé ce matin sur RTL

"Qu'est ce qui sauve la retraite? C'est de recréer du travail dans notre pays. Plus il y a de chômeurs, moins les retraites peuvent être payées (...) En réalité, le médicament pour régler le problème des retraites, c'est le travail. On est pas dans la gestion de la pénurie".

Concernant les régimes spéciaux, elle songerait à en supprimer certains mais ne compte pas les fusionner dans une grande caisse universelle comme le préconisent François Fillon et Emmanuel Macron.

"On se mettra autour de la table après mon élection. Certains régimes se justifient, d'autres non (...) Je n'ai pas une vision idéologique sur ce sujet", a-t-elle expliqué.

Mais une retraite à 60 ans à taux plein après 40 annuités de cotisation est-elle réaliste? "Bien sûr que non, affirme Jacques Bichot, économiste spécialiste de la question des retraites et auteur de nombreux livres sur le sujet. Je note tout de même qu'elle a mis un peu d'eau dans son vin puisqu'elle parlait de 37,5 annuités au départ. Mais le vin reste malgré tout bien aigre."

"Aucune corrélation entre l'âge de départ et le chômage"

Financer les retraites en réduisant le taux de chômage à 5% serait selon lui une utopie. "D'abord parce qu'on ne va pas revenir au plein emploi comme ça en claquant des doigts. Avant qu'on y parvienne les déficits vont exploser", explique-t-il. Mais surtout, insiste l'économiste, "il n'y aucune corrélation entre l'âge de départ et le chômage; la Suède par exemple a un taux de chômage inférieur à 5% et pourtant dans ce pays la moitié de la population est encore au travail à 70 ans..."

La promesse de revenir à la retraite à 60 ans ne repose sur aucun fondement économique. Il s'agit avant tout pour la candidate du Front National d'attirer l'électorat populaire. Pas étonnant d'ailleurs que le seul autre candidat à proposer une telle mesure soit le candidat du Front de Gauche.

La violente charge en 1982 contre la retraite à 60 ans

Il s'agit pour ces candidats d'un marqueur social important comme Mitterrand en 1981 qui en avait fait une des mesures phares du programme commun de la gauche. Sauf qu'à l'époque, l'espérance de vie était de 74 ans (6 ans de moins qu'aujourd'hui) et la pyramide des âges était moins préoccupante: les 60 ans et plus représentaient 18,5% de la population en 1982 contre 25% aujourd'hui. Pour autant, la réforme avait été violemment critiqué à l'Assemblée par les députés de l'opposition, comme le rappelle Le Monde.

"Prisonniers de vos mythes, vous êtes enfermés dans une terrible alternative: désespérer ceux qui ont cru en vous, ou ignorer la réalité économique. Vous n'avez plus le choix qu'entre l'irrationnel et une certaine forme d'imposture. Je ne suis que médiocrement rassuré de vous voir choisir la deuxième voie" s'insurgeait alors Philippe Séguin. L'imposture dont parlait celui qui fut, quatre ans plus tard, ministre des Affaires sociales et de l'Emploi, était la disparition de la garantie de ressources dans le projet final de 1982. Autrement dit, il craignait que les pensions baissent pour pouvoir financer l'avancement de l'âge de départ. Ce qui se produisit d'ailleurs pour nombre de petites retraites, notamment dans le monde agricole.

Et si l'âge de départ ne faisait plus débat?

Du côté du Front national, on ne s'engage pas sur l'évolution des pensions de retraite même si l'augmentation du minimum vieillesse est évoquée dans le programme et conditionné à la nationalité française ou a 20 ans de résidence en France. 

Bref 35 ans après la réforme de 1982, l'âge des retraites reste un des sujets les plus clivants du discours politique. Mais peut-être plus pour longtemps. "L'âge est une notion périmée dans le cadre d'un système de retraite par point à l'allemande ou à la suédoise, assure Jacques Bichot. Or c'est cette réforme que comptent mettre en place tant François Fillon qu'Emmanuel Macron."

Dans ce type de système, 1 euro cotisé donne droit à 1 euro de pension. Il y a une grande souplesse sur l'âge de départ mais celui qui décide de partir plus tôt aura une décote par rapport à celui qui décide de partir plus tard. Ces systèmes définissent un âge pivot (qui n'est pas un âge légal de départ) en fonction duquel on calcule le niveau de pension. Par exemple 100% si vous partez à l'âge pivot, 95% si vous partez un an avant, 105% pour un an après. Or dans les pays qui ont adopté ce système comme la Suède l'âge de départ n'est plus une question politique.

"Ce sont les gestionnaires du système des retraites -les actuaires- qui décident de faire varier cet âge pivot en fonction de l'espérance de vie", explique Jacques Bichot. Unanimement considéré comme plus juste, le système suédois est à l'équilibre depuis des années.

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco