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5G: Bouygues Telecom s'inquiète d'une interdiction de Huawei et menace d'aller en justice

Des stations de base 5G de Huawei.

Des stations de base 5G de Huawei. - Jung Yeon-Je - AFP

Si l'équipementier chinois n'est pas officiellement banni des déploiements 5G, le doute subsiste. L'opérateur estime qu'une interdiction même partielle aura pour effet de distordre la concurrence.

L'affaire Huawei continue d'angoisser profondément les opérateurs lancés dans les déploiements de la 5G dont l'ouverture commerciale est prévue cette année. Rappelons que l'équipementier est boycotté par les Américains et accusé d'espionnage.

Si la France n'a pas rejoint l'appel de Washington, si Huawei n'est pas officiellement banni, le gouvernement a fait passer une loi et un décret d'application les obligeant à obtenir une autorisation du secrétaire général de la défense et de la sécurité nationale (SGDSN) pour les installations d'équipements de réseaux radio-électriques. Et il y a quelques jours, Bruno Le Maire, le ministre de l'Economie a confirmé qu'"un certain nombre de restrictions pour protéger nos intérêts de souveraineté".

Déséquilibre

De quoi entretenir le doute chez les opérateurs clients de Huawei, à savoir SFR (filiale d'Altice, propriétaire de BFM Business) et Bouygues Telecom. Lors de la conférence de presse de présentations de ses résultats, Martin Bouygues n'a pas caché son agacement. "Quelle que soit la décision de l'Etat, nous sommes là pour respecter les règles. Mais il ne peut y avoir d'impact financier du fait de décisions qui ne nous appartiennent pas, ni de déséquilibre de la concurrence, nous allons y veiller", a-t-il assuré.

Car si Huawei était par exemple partiellement interdit de certains équipements 5G, Bouygues Telecom (et SFR) prendrait du retard face à Orange et Free Mobile (qui n'utilisent pas les produits du géant chinois). "Si nous étions (...) dans l'obligation d'utiliser un autre équipementier que Huawei, dans les zones où nous avons des équipements 4G Huawei actuels, nous serions obligés de les démonter et de réinstaller des équipements, ce qui a un effet de coût et de délai", déplore le PDG.

De quoi instaurer un déséquilibre concurrentiel, estime l'opérateur et des coûts induits. "Si on nous vend des fréquences (pour plus de 2 milliards d'euros, NDLR) qu'on ne pourrait pas utiliser pour des questions administratives, cela poserait question", a insisté Martin Bouygues. Surtout que "les équipements Huawei déjà déployés l'ont été en parfaite conformité avec tous les règlements et toutes les lois tant européens que français".

Retards "considérables"

Le numéro 4 français du mobile n'entend donc pas partir avec un handicap dans la course à la 5G. Et menace de saisir la justice. Le secrétaire général de l'opérateur, Didier Casas, a ainsi déclaré qu'il se réservait toutes les possibilités, pour protéger ses droits y compris celle d'un recours visant les décrets d'application du texte de loi adopté l'an dernier instaurant un nouveau régime de contrôle des infrastructures télécoms.

Bouygues Telecom est en phase avec le discours de la Fédération française des télécoms: "On a besoin que les choses soient effectivement claires; ça fait 10 ans que Huawei est utilisé en France, ça fait près de 10 ans que Huawei est utilisé dans quasiment toutes les capitales européennes", soulignait sur BFM Business son président Arthur Dreyfuss.

"Si demain, Huawei était amené à être interdit sur tout ou partie du territoire, il faut bien que chacun ait conscience des retards considérables que nous prendrions dans les déploiements. Ça serait un retard considérable pour les territoires, pour les entreprises françaises, pour la transformation numérique. Cela aurait un coût".

"Chacun devra alors y prendre sa part"

Et de prévenir: "Que les règles changent, soit. Mais chacun devra alors y prendre sa part, opérationnellement, financièrement. C'est à vrai dire le cas aux Etats-Unis. Ils ont pris des positions radicales contre des équipementiers mais il accompagnent ceux qui auraient à en pâtir".

Les craintes du président de la FFT sont en tout cas confirmés par une étude de la GSMA, un groupement d’industriels qui regroupe la plupart des opérateurs et des fabricants de mobiles de la planète. Si Huawei est boycotté sur le Vieux continent, les déploiements prendront 18 mois de retard, peut-on lire. "Nous estimons qu'une interdiction pourrait élargir l'écart sur la 5G entre l'Europe et les Etats-Unis de 15 points d'ici à 2025", estiment les auteurs de la note.

Selon eux, un quart de la population européenne serait couverte en 5G en 2025 en cas d'interdiction, contre 40% sans interdiction, alors qu'environ 55% de la population américaine disposera de la 5G à la même date.

Olivier Chicheportiche avec AFP