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Bourse : l’emprise grandissante des machines

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Ce sont maintenant 85% des ordres de bourse qui sont passés par les ordinateurs en mode automatique

Le chiffre fait sensation, plus encore quand il est écrit dans le journal qui a la réputation de faire et défaire les marchés : « environ 85% du trading est aujourd’hui réalisé de manière automatique » écrit Gregory Zuckerman dans le Wall Street Journal.

« aujourd’hui, les Hedge Funds qui ne se basent que sur l’analyse graphique (« quant ») sans tenir compte de l’actualité des entreprises ou de la macro-économie, représentent 28,7% du trading. Leur poids a doublé depuis 2013. Si vous ajoutez les fonds de gestion dite « passive », qui se contentent de répliquer les indices, le trading haute-fréquence, et les autres segments qui n’achètent que sur des considérations mathématiques, vous avez effectivement environ 85% du marché » estime Marko Kolanovic, expert de la banque JP Morgan, cité par le WSJ.

« Le grand paradoxe de la période », ajoute le journal, « c’est qu’il y a quelques années les ordinateurs répliquaient les comportement humains. Maintenant c’est l’inverse : les ordinateurs se mettent à acheter, tout le monde suit, les ordinateurs se mettent à vendre, tout le monde suit », ce qui donne des séances incroyables, comme celle de jeudi à Wall Street, où le marché, tout à coup, se rachète de manière massive en une heure en fin de séance, alors qu’il accumulait les pertes depuis l’ouverture.

Les ordinateurs au banc des accusés

Le secrétaire au Trésor Steven Mnuchin a, dans une récente interview à Bloomberg, imputé le récent regain de volatilité à Wall Street entre autres au courtage à haute fréquence, qui permet de vendre ou acheter des actions en une fraction de seconde.

Il n’est pas certain néanmoins que l'essor du courtage automatisé soit à l'origine du regain d'agitation sur les marchés. Au contraire, affirme même Larry Tabb, fondateur de Tabb Group, dans un entretien à l’AFP : « une grande partie du courtage automatique vise à repérer les imperfections du marché, les actions qui coûtent beaucoup plus ou beaucoup moins cher que leurs pairs, et à en profiter. Ce faisant, la plupart des modèles atténuent, plutôt qu'ils n'accentuent, la volatilité. Fondamentalement, le marché reste réglé par l'offre et la demande, comme cela a toujours été le cas, mais à un rythme plus rapide ».

Le facteur « massif » du trading automatique, en est un autre aspect fondamental. Conçus selon des critères similaires par des spécialistes d'ingénierie financière, « les modèles déclenchent souvent des ordres d'achat ou de vente aux mêmes seuils », remarque Peter Hahn de la société d'analyse Bridgeton Research Group. « Les flux d'échanges, que collectivement ils entraînent, peuvent perturber l'évolution des prix, des écarts et des niveaux de volatilité », estime-t-il. Mais, ajoute M. Hahn, leur impact sur le marché dépend de la situation. Ils peuvent aussi juste suivre une tendance déclenchée par des facteurs fondamentaux, comme un mauvais chiffre sur l'économie ou des résultats d'entreprises décevants.

Et les humains n’ont pas forcément un comportement différent. Les « consensus » qui naissent sur les marchés, sont très largement suivis. A cela les experts ajoutent le retrait des banques, du fait des régulations de la crise de 2008, de manière radicale en Europe, de manière moins forte, mais réelle quand même, aux Etats-Unis. Pour Marko Kolanovic, le déclin des stratégies d'investissement délibérées et basées sur une analyse approfondie des entreprises face à la montée des stratégies d'investissement passives réduit aussi la quantité d'argent « immédiatement disponible pour acheter des actions moins cher » quand les cours reculent. Cela, estime-t-il, « réduit la capacité du marché à empêcher, et à se remettre, de lourdes chutes. »

Le phénomène n’est évidemment pas nouveau, les ordinateurs avaient été mis en cause dans le krach boursier de 1986. Mais il est incontestable qu’il prend de l’ampleur, et que personne n’en mesure exactement les conséquences. Ce qui change radicalement, c’est que cette montée en puissance sur les 5 dernières années s’est faite dans un marché globalement haussier, avec parfois une volatilité totalement éteinte. Le mois de décembre 2018 représente la première mise à l’épreuve du système de trading automatique dans une configuration de marché baissière, ou tout peut se retourner à la vitesse des tweets de Donald Trump.