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Espace: pourquoi Ariane 6 ne sera pas un lanceur réutilisable sur le modèle de SpaceX

L'année 2020 sera majeure pour le secteur européen de l'espace avec le premier lancement de la nouvelle version d'Ariane, la fusée la plus fiable du monde. Et pour concurrencer les Américains, l'Europe a préféré jouer la sécurité.

Ariane a 40 ans! Le lanceur européen, fort de de 250 lancements réussis, va aborder une nouvelle étape de sa vie avec Ariane 6. Cette nouvelle fusée est la réponse à l'arrivée spectaculaire de SpaceX sur ce créneau très sélectif et incroyablement coûteux.

Loin d'être une simple évolution, la nouvelle version "va apporter une innovation importante qui est un moteur réallumable" explique Stéphane Israël, PDG d'Arianespace, qui était invité mardi sur le plateau de Good Morning Business. "Cela veut dire que notre moteur, ce qu'on appelle l'étage supérieur d'Ariane (…) va pouvoir faire des missions beaucoup plus complexes en orbite parce que nous allons pouvoir le réallumer plusieurs fois au cours de la mission".

Concrètement, "cela va nous permettre de faire des injections en orbite, davantage optimisée pour, par exemple, les gros satellites de télécommunication. Ou aussi d'aller sur différents plans d'orbite poursuit-il. "Et à un moment où l'on s'apprête à lancer des constellations, avec beaucoup de satellites à bord, nous avions absolument besoin de ce moteur réallumable."

Rassurer les clients

Un moteur "réallumable" mais pas réutilisable, qui est la véritable avancée proposée par SpaceX. Car, clairement, l'Europe a fait le choix de la prudence. "Le choix d'Ariane 6, nous l'avons fait en 2014" rappelle Stéphane Israël. 'Et en 2014, il y avait plusieurs lanceurs qui étaient en débat. (…) Nous avons beaucoup réfléchi, nous avons beaucoup consulté nos clients et nous sommes arrivés au choix d'Ariane 6." Car il existe une sorte de "continuité technologie, importante pour les clients" souligne-t-il. "Ils savent qu'Ariane 6 sera parfaitement maîtrisée."

Et les clients, ce sont notamment les gouvernements et les autorités publiques européennes. Le nouveau lanceur est ainsi "adapté aux missions institutionnelles de l'Europe" puisqu'il n'y a "pas de lanceurs dans la durée qui puissent prospérer sans avoir un soutien très fort de ces institutions" rappelle Stéphane Israël. "Et Ariane 6 a été pensée pour pouvoir lancer beaucoup plus de satellites européens que ne le pouvait Ariane 5."

L'autre ambition d'Ariane 6, c'est de répondre aux évolutions du marché avec moins de satellites de télécommunication et davantage de petits satellites de constellations. "Avec ce fameux moteur réallumable nous pourrons embrasser ces besoins" précise Stéphane Israël.

"En Europe, on a peur de l'échec"

Enfin, c'est la question du coût qui reste le nerf de la guerre. SpaceX ne communique pas les coûts de son moteur réutilisable, qui doit être remis en état avant chaque utilisation. Rien ne dit, donc, que la fusée américaine, abreuvée de subventions américaines, est réellement rentable. En revanche, Ariane 6 sera 40% moins cher qu'Ariane 5, notamment en améliorant l'assemblage ou en utilisant des pièces imprimées en 3D.

Surtout, le constructeur se laisse une grande marge d'évolution. "Ariane 6, ce n'est que le début d'une aventure où nous allons innover plus vite, plus fort" assure Stéphane Israël. "Nous avons déjà réfléchi aux évolutions. (…) On aura au moment venu un nouveau moteur qui nous permettra d'être réutilisable si nous souhaitons aller vers cette technologie".

Reste aussi une différence de taille entre Ariane et SpaceX. "On a le droit d'échouer aux Etats-Unis pour ensuite réussir" explique Stéphane Israël qui rappelle que l'entreprise d'Elon Musk a beaucoup tenté avant de finaliser son lanceur. "En Europe, on est peut-être plus conservateur, on a peur de l'échec..."

L'enjeu des commandes publiques

Pour les industriels de l'espace, impossible de se passer de l'argent public et des commandes des Etats. "SpaceX vend ses lancements deux fois plus cher au gouvernement américain qu'à l'export. Voilà l'une des raisons du succès de l'entreprise, qui est un formidable soutien de l'industrie spatiale aux États-Unis" explique Stéphane Israël. Voilà aussi pourquoi les Européens doivent mettre la main à la poche, s'ils veulent assurer la compétitivité d'Ariane dans le futur.

Thomas Leroy