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L'explosion de la demande en fibre optique ne profite toujours pas aux industriels français

20 millions de locaux sont éligibles à la fibre en France.

20 millions de locaux sont éligibles à la fibre en France. - Pixabay

La filière tire une nouvelle fois le signal d'alarme, constatant que les importations de câbles asiatiques continuent de progresser mettant en difficulté les acteurs hexagonaux.

A l'heure où l'on parle beaucoup de relocalisation d'industries stratégiques, il semble bien que le secteur des télécoms accentue son recours aux entreprises étrangères dans le domaine de la fourniture de câbles de fibre optique. Pourtant, les acteurs français sont encore nombreux sur le territoire.

Un paradoxe qui inquiète, alors que la demande en fibre en France n'a jamais été aussi forte. 4,3 millions de nouvelles prises de fibre optique devraient être déployées cette année contre 4,8 millions l'an passé (un total en baisse à cause du confinement qui a mis à l'arrêt de nombreux chantiers). En clair, les câbliers français ne profitent absolument pas de cette manne.

"Dans le secteur des télécommunications, on conjugue deux incertitudes: le redémarrage des chantiers après la crise du Covid et la problématique plus fondamentale qui est la baisse forte des commandes à l'industrie française de câbles de télécommunications, au bénéfice de l'importation en provenance d'Asie, qui semble s'être poursuivie au premier semestre 2020" se désole ainsi Éric Francey, président du syndicat professionnel des industriels français des câbles (Sycabel), qui représente 21 industriels, soit environ 8.000 emplois.

Sujet majeur

"C'est un sujet majeur pour notre industrie, je dirais même pour sa pérennité", ajoute-t-il. "Le brutal ralentissement des livraisons de câbles à fibre optique (d'origine française, NDLR) au 3ème trimestre s'est amplifié au 4ème trimestre et leur niveau reste très faible au 1er trimestre 2020" alors même que les déploiements dans l’Hexagone poursuivent leur accélération, fait état le syndicat dans son bilan.

Evolution de l'activité industrielle des fabricants français
Evolution de l'activité industrielle des fabricants français © Sycabel

Si les volumes de fibres optiques livrées en câbles, toutes familles confondues, affichent une hausse de 14,3% en 2019 à hauteur de 21,8 millions de kilomètres de fibres, il faut en effet noter que la très forte augmentation du 1er semestre a été suivie d’une chute historique soudaine de 20% consécutifs sur chacun des 3ème et 4ème trimestres.

Les opérateurs français se tournent en effet vers des fournisseurs asiatiques moins coûteux. Les entrées en douanes en provenance de Corée du Sud et surtout de Chine avaient atteint au premier semestre 2019 45% de la production de câbles à fibre optique du Sycabel, alors qu'elles représentaient 13% en 2017 et 23% en 2018.

"Notre industrie est aujourd'hui en sous-charge d'activité", a déploré Jacques de Heere, vice-président de Sycabel chargé des télécoms.

Vraie-fausse pénurie

Un constat confirmé par Etienne Dugas, président d'InfraNum, association qui regroupe plus de 200 entreprises de l'ensemble des métiers de la filière des infrastructures du numérique. "On observe l'arrêt complet des commandes des opérateurs français" indiquait-il à BFM Business il y a quelques mois.

Le syndicat rejette la crainte "totalement erronée" d'une "pénurie" de fibre optique française qui aurait expliqué un recours plus important aux importations.

En effet, en 2017/2018, les opérateurs constatent un début de pénurie de fibre face à l'explosion de la demande. Or, l'industrie du câble ne constitue pas de stocks d’avance: tous les câbles de fibre optique, du fait de la spécificité de chaque commande, sont fabriqués sur commande. 

En 2018, les opérateurs télécoms observent des délais de plus en plus longs (18 mois) entre la prise de commande et la livraison et commencent à fractionner leurs commandes et à se tourner vers des fournisseurs plus petits. 

L'industrie française s'est mise en ordre de marche

Du coup, les opérateurs intensifient les commandes auprès de fournisseurs asiatiques afin de tenir leurs objectifs de couverture. Un peu trop même de l'avis d'Etienne Dugas. "Cette pseudo pénurie de 2018, qui a duré en fait quelques semaines, a provoqué un surcroît de commandes auprès des acteurs chinois et coréens, surcroît que l'on paye aujourd'hui. Tout le monde s'est fait peur, un peu comme quand une raffinerie de pétrole est bloquée, les automobilistes se jettent sur les stations essence", estime le spécialiste.

D'autant plus que le secteur fait valoir que les industriels ont déjà "investi massivement dans de nouveaux équipements de production, construit six usines, recruté ou reconverti plus de 735 personnes". Pour la filière, rien ne justifie donc l'augmentation constatée des importations de câbles.

Et d'épingler ces câbles fabriqués en Asie qui ne seraient pas aussi qualitatifs que ceux produits en France notamment quand elle est courbée, alertent certains acteurs. "Oui, c'est un risque, il est important", juge Etienne Dugas.

La gravité de la situation est d’autant plus préoccupante que la filière a été reconnue comme stratégique pour la "souveraineté télécom" de la France, rappelle le syndicat.

Olivier Chicheportiche avec AFP