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Le marché des télécoms en entreprise est-il concurrentiel? Une enquête est ouverte

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- - FRED TANNEAU / AFP

Ecrasé par Orange, le manque de concurrence dans ce marché est régulièrement dénoncé par les opérateurs alternatifs. L'Autorité de la concurrence a décidé de se pencher sur la question.

Le marché français des télécoms a deux visages. D'un côté, l'offre grand public très concurrentielle où les prix sont parmi les plus bas d'Europe voire de la planète, notamment du côté du mobile. De l'autre, une offre professionnelle ultra-dominée par Orange depuis des années et où la concurrence a du mal à s'exprimer, d'où des prix jugés élevés. 

Orange Business Services, filiale d’Orange, détient une part de marché d’environ 65 à 70% grâce à son historique et son empreinte territoriale, suivi par SFR Business (appartenant au groupe Altice, qui est propriétaire de BFM Business) qui revendique environ 20% du marché. Pour les autres opérateurs, il faut se partager les miettes. 

Le gâteau est pourtant imposant: le marché B2B des télécoms est évalué à 10,6 milliards d’euros (chiffre de 2017) mais il échappe en grande partie aux "petits" à cause, pour certains acteurs, des conditions et des tarifs de gros imposés par Orange à ses clients opérateurs qui souhaitent emprunter son réseau, étape quasi-obligatoire même pour ceux qui déploient leurs propres réseaux. Notamment pour accéder à sa fibre optique, un enjeu essentiel pour la transformation numérique des entreprises.

Seulement 23% des PME sont fibrées

Or, aujourd'hui, seulement 23% des entreprises de 1 à 249 salariés en France disposent d'un accès fibre (20% pour celles de 1 à 5 salariés), selon une enquête menée en mai 2019 par l’Ifop pour Covage. Un résultat médiocre qui serait la conséquence du manque de concurrence sur ce marché, jugent les opérateurs alternatifs.

Ces derniers, réunis notamment au sein de l'AOTA (Association des opérateurs télécoms alternatifs) ont plusieurs fois saisi l'Autorité de la concurrence sur cette question, parfois à travers des plaintes. Si l'Autorité n'a pour le moment pas validé ces plaintes, elle a décidé ce jeudi de lancer une enquête exploratoire sur ce marché suite à la dernière saisine de l'AOTA.

"Lors de l’instruction de ce dossier, les services d’instruction ont pu relever des points d’attention qui justifient que l’Autorité ouvre une enquête exploratoire sur les problématiques du marché des télécommunications à destination des entreprises. Cette enquête a pour objectif de s’assurer de l’absence de pratiques de nature à fausser le jeu de la concurrence sur le marché entreprises, dont la dynamique reste encore fragile", écrivent les Sages de la rue de l'Echelle.

Rappelons que l'Arcep, le régulateur des télécoms constate elle aussi que 'le marché BtoB de la fibre optique n’est pas suffisamment concurrentiel".

"Nous estimons simplement qu’Orange empêche à la concurrence de s’exercer sur le marché entreprise et multiplie les actions pour freiner la pénétration commerciale de ses concurrents", nous expliquait David Marciano, président de l'AOTA lors d'une saisine de l'Autorité. "Au terme de cette enquête exploratoire et en fonction des éléments recueillis, les services d’instruction pourront ouvrir, le cas échéant, un dossier contentieux", poursuit l'Autorité. 

"L'AOTA est bien entendu déçue de cette décision dans une moindre mesure car elle n'offre pas de solution à court terme pour le marché des alternatifs, mais elle confirme le fort intérêt de l'ADLC pour les nombreux éléments de dysfonctionnements collectés durant ces mois d'analyse du dossier par le biais du lancement d'une enquête exploratoire ce qui est un résultat très positif pour l'ensemble du marché", commente pour BFM Business David Marciano. L'AOTA va d'ailleurs se rapprocher des services de la Commission Européenne pour l'alerter "des anomalies concurrentielles persistantes sur le marché B2B des télécoms français".

Les lignes bougent (un peu)

Pour autant, les lignes sur ce marché ont un peu bougé. SFR et Bouygues Telecom ont multiplié les acquisitions de petits opérateurs B2B pour peser face à Orange. "La chute des marges dans le marché grand public et des perspectives de rapprochement compliquées entre les 4 grands incite les opérateurs à aller chercher la valeur où elle est : dans le marché B2B", nous explique Renaud Kayanakis, senior manager en charge des télécoms et des médias chez Sia Partners.

De son côté, l'Arcep a imposé à Orange des mesures pour animer la concurrence en le contraignant via des offres dédiées pensées pour les PME et en faisant émerger un troisième acteur national de gros: Kosc. Ce dernier a été lancé en 2018 (consortium composé des sociétés OVH, Cofip, Kapix, et Styx et bâti à partir de la vente de Completel au moment du rachat de SFR par Numericable), soutenu notamment par la Caisse des dépôts et consignations.

Mais ces mesures sont jugées insuffisantes par la concurrence qui met en avant le faible équipement en fibre des PME, alors que les défis pour ces entreprises se multiplient. Quant à Kosc, il a été placé en redressement judiciaire début décembre à la suite de difficultés financières et pourrait être vendu à un opérateur national.

Olivier Chicheportiche