BFM Business
Services

Les patrons des GAFA à nouveau sur le grill des élus américains, un démantèlement est-il possible?

A partir de mercredi, Sundar Pichai (Alphabet), Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et Jeff Bezos (Amazon) seront auditionnés par une commission de parlementaires américains sur leurs éventuels abus de position dominante.

Une fois encore, les pratiques des GAFA vont être examinées par les élus américains, des élus de plus en plus méfiants vis-à-vis de ces géants technologiques.

Outre les questions prégnantes d’exploitation par ces acteurs des données personnelles de leurs utilisateurs, la masse critique atteinte par les GAFA pose aujourd’hui des problèmes d’animation concurrentielle (ou d’abus de position dominante, selon le point de vue).

La commission judiciaire enquête donc sur ces éventuels abus de position dominante par les GAFA (Google, Amazon, Facebook et Apple) et sur la pertinence des lois antitrust existantes et de leur application.

Unanimité chez les parlementaires

Ses questions seront écoutées aussi attentivement que les réponses de Sundar Pichai (Alphabet, maison-mère de Google), Tim Cook (Apple), Mark Zuckerberg (Facebook) et Jeff Bezos (Amazon). Les auditions débutent ce mercredi. Depuis un an, le ministère américain de la Justice, l'agence de protection des consommateurs ainsi que des Etats ont aussi lancé des investigations sur les GAFA.

A droite, comme à gauche, la pression monte contre la toute-puissance politique et économique des plateformes numériques, rendues plus indispensables que jamais dans la vie quotidienne par la pandémie de Covid-19.

"Je m'attends plus à une audience très théâtrale qu'à des résultats concrets", considère Carolina Milanesi, de Creative Strategies. "Les entreprises vont juste réaliser qu'elles ont intérêt à faire quelques concessions pour éviter des contrôles renforcés".

Apple et Amazon sont accusées d'être juges et parties sur leurs plateformes, l'app store pour l'un et le site de e-commerce pour l'autre.

Ecraser la concurrence

"C'est comme si j'avais un magasin dans un centre commercial et que le propriétaire de ce centre installait une boutique devant la mienne, pour vendre les mêmes produits que moi, à des prix moins élevés", relate Mike Massey, le propriétaire d'une enseigne d'équipements sportifs de la Nouvelle-Orléans, lors d'une conférence de presse organisée par Athena, un groupement d'associations anti-Amazon.

Google et Facebook, eux, accaparent l'essentiel des recettes publicitaires numériques mondiales. Les interactions des utilisateurs avec leurs services "gratuits", et largement dominants, leur permettent d'établir des profils de consommateurs et de vendre des espaces publicitaires ultraciblés, à très grande échelle. Les parlementaires doivent donc déterminer si les quatre mastodontes dominent grâce à des pratiques illégales, visant à écraser toute concurrence. Contrairement aux autorités européennes, les Etats-Unis se sont montrés plutôt frileux sur la question. 

"Nos lois sont moins propices à l'application de sanctions, et il y a cette foi en général dans la capacité des marchés à se réguler", commente Harry First, professeur de droit à l'université de New York.

Nouvelles lois

"Les régulateurs sont prudents parce qu'ils n'aiment pas perdre devant les tribunaux", ajoute cet ancien directeur du département antitrust du procureur de New York. La loi américaine, telle qu'appliquée ces dernières années, exige, pour autoriser des mesures contre les entreprises, que leurs agissements fassent clairement du tort aux consommateurs, en conduisant à une hausse des prix par exemple.

D'où la deuxième question posée, implicitement, à la commission judiciaire: faut-il promulguer de nouvelles lois ? L’objectif serait, à travers de nouvelles lois, de rétablir les équilibres des forces entre des acteurs qui ont rendu incontournables leurs écosystèmes tout en s’appuyant dessus pour rendre leurs propres services ou produits. Un cercle vertueux pour eux mais pour personne d’autre.

Une nouvelle législation "aurait sans doute plus de chance de résoudre le problème, mais il faudra le temps de l'interpréter", souligne Harry First. "Ce n'est pas une solution miracle". Certains plaident en effet pour une régulation bien plus sévère qui pourrait avoir comme conséquence extrême le démantèlement de ces géants. 

"Après quatre décennies de faible application des lois antitrust et d'hostilité judiciaire à l'égard des affaires antitrust, il est essentiel que le Congrès intervienne pour déterminer si les lois existantes sont adéquates pour lutter contre les comportements abusifs des gardiens de la plate-forme ou si nous avons besoin de nouvelles lois", explique ainsi David Cicilline, élu démocrate du Rhode Island, et président du sous-comité antitrust.

Le démantèlement n'est plus tabou

Le démantèlement de ces géants (via des cessions forcées d’actifs) reste néanmoins une arme atomique qui a déjà été utilisée aux Etats-Unis, notamment dans les télécoms quand l’opérateur historique AT&T régnait en maître sur le territoire. Une arme bien plus efficace que la perspective d’une sanction financière même lourde.

"La question des positions dominantes dans le secteur de la Tech américaine est posée depuis un certain temps. On pourrait même élargir le constat à nombre de secteurs de l’économie américaine. Tout au long des dernières décennies, les pressions concurrentielles ont diminué aux Etats-Unis. L’affirmation d’une volonté politique de renforcer la concurrence enverrait un signal positif en matière de plus grande efficacité du système économique. En sachant pourtant que trouver le bon équilibre, entre assurer le bon fonctionnement des marchés et créer les conditions d’apparition d’acteurs disposant de la taille critique, n’est pas facile", commente Hervé Goulletquer, stratégiste à la Banque Postale, Asset Management.

La question du démantèlement n’est plus taboue. Il est exigé par certains parlementaires démocrates notamment Elizabeth Warren, ex-candidate à la présidentielle dans le camp démocrate. Elle estime que les GAFA ont "trop de pouvoir aujourd’hui".

Olivier Chicheportiche avec AFP