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Marché français du Data center : trois prévisions pour 2019

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TRIBUNE. Voici les prévisions 2019 pour le marché du Data center.

La qualité de l’infrastructure sera un critère de plus en plus prépondérant dans la course au numérique

Le besoin de disposer de surfaces de plus en plus étendues en data center se fait sentir à mesure que les recours au cloud privé, public ou hybride se multiplient. A ce phénomène s’ajoute celui de la surconcentration de l’investissement informatique : les clients et les opérateurs de réseau vont là où sont les data centers, lesquels vont là où sont leurs potentiels clients et les infrastructures de réseau, lesquels se trouvent là où sont les data centers, et ainsi de suite. C’est ce qui donne ce caractère city centric à l’investissement informatique (à 80% en région parisienne dans le cas de la France, par exemple).

En conséquence, les data centers se concentrent, souvent dans les hubs économiques. Et s’étendent en surface, pour répondre aux besoins de leurs clients. Avec ce double phénomène de concentration-extension, ce sont les besoins d’approvisionnement, électriques notamment, qui s’accentuent. De toutes ces tendances naît la nécessité d’une coopération en bonne intelligence avec la sphère publique, et ce pour deux raisons.

La première raison est que les data centers sont des actifs stratégiques pour l’attractivité des territoires. Les pouvoirs publics prennent progressivement conscience du fait que ces infrastructures, dont la transformation numérique des organisations est tributaire, sont cruciales et conditionnent le fonctionnement de pans de l’économie capables de prendre le relais d’industries en perte de vitesse. 2019 sera l’année où l’audace de l’Etat d’un point de vue stratégique devra être au rendez-vous, et l’annonce faite par le Premier ministre de la mise en place en 2019 d’un tarif réduit de TICFE pour les acteurs classés électro-intensifs – dont font partie les opérateurs de data centers – est un signal positif, même s’il ne faudrait pas s’en contenter.

La seconde raison est que l’acceptabilité sociale des data centers dépend de leur intégration, notamment sur le plan urbanistique. Quand bien même on devrait y être indifférent, dans la mesure où il ne génère aucune nuisance de quelque ordre, un data center dans le paysage urbain ou périurbain peut générer des inquiétudes. L’année 2019 sera riche en aménagements, et devra dès lors être également l’occasion de séquences de communication à vocation pédagogique, tant de la part des acteurs du secteur, que de celle de l’Etat et des collectivités territoriales à l’égard de leurs administrés. Mais l’approche ne doit pas être uniquement sectorielle et il faudra expliquer les enchaînements logiques qui font que les data centers sont une des briques absolument essentielles à la croissance de demain. A quoi sert en effet de se gargariser quotidiennement au sujet de la transformation numérique de la société sans être en mesure d’appréhender les réalités qui la soutiennent sur le plan infrastructurel ?

2019 sera donc l’année de la recherche d’une cohérence stratégique et administrative, pour la simple raison que la concurrence est rude et que, les capacités des câbles de fibre augmentant chaque jour, si la France ne favorise pas le développement des grands hubs numériques sur son territoire, d’autres le feront à sa place.

La croissance du secteur sera portée par des géants américains plutôt que chinois

Nous sommes à l’aube de nouveaux déploiements très significatifs de plates-formes cloud et digital media dans les deux grands hubs numériques français que sont Paris et Marseille. 2019 sera une année de concrétisation d’investissements pour les géants du numérique : après avoir déployé des availibility zones avec des capacités de 3 à 5 mégawatts en data center, les déploiements dits hyperscale vont se multiplier, pour des installations qui pourront demander jusqu’à 20 mégawatts (c’est-à-dire la puissance de sortie mécanique de deux TGV duplex, mise dans des serveurs informatiques !). Ces déploiements permettront ceux de plates-formes IaaS, PaaS et SaaS d’échelle inférieure, qui suivront le sillon tracé par les mastodontes du secteur.

Alors qu’en 2017 et début 2018, les acteurs chinois commençaient à s’intéresser au marché français, force est de constater que fin 2018, on observe un arrêt, voire un recul, des démarches entamées. Est-ce la conséquence d’un refroidissement des relations commerciales entre la Chine et les Etats-Unis ? La question peut se poser, mais le marché français devrait donc à court-terme dépendre davantage de l’activité américaine que de l’activité asiatique, ce qui ne suffira peut-être pas à générer une forte croissance du marché, quand bien même les carnets de prises de commandes se remplissent.

En tout état de cause, si les acteurs chinois pointent le bout de leur nez, les prises de commandes viseront Marseille : même s’il est vrai que l’itinéraire de la nouvelle Route de la Soie version fret maritime ne touche pas la Cité phocéenne, sa version « fret numérique » ne peut en faire l’économie. Aux 14 câbles sous-marins de fibre qui relient déjà Marseille au reste du monde pourraient s’en ajouter 6 d’ici 2019, et la croissance des capacités individuelles de chaque câble est digne de la loi de Moore. Les seuls trois prochains câbles qui joindront bientôt Marseille doubleront à eux-seuls le total des capacités des câbles déjà présents ! A ce titre, il est désormais plus pertinent de raisonner en termes de capacités de câble (en Tb/s) qu’en nombre de câbles.

La France bénéficie là d’une position enviable par beaucoup de pays. Ses façades atlantique et méditerranéenne, son ouverture sur l’Europe Centrale et de l’Est en font un bastion stratégique pour les acteurs des data centers. Et les opérateurs de câbles ne s’y trompent pas. Leur stratégie est de rallier le plus vite possible les deux hubs français où se trouvent les cœurs de réseau, Paris et Marseille. Ainsi, le câble MAREA installé par Facebook et Microsoft communique désormais entre Ashburn (point de concentration des data centers sur la côte Est des Etats-Unis) et Marseille, en passant par Virginia Beach et Bilbao.

La mutualisation sera dopée par la recherche d’efficience énergétique

Outre une sécurisation des machines, les data centers fournissent surtout l’énergie électrique nécessaire pour faire tourner ces dernières. Cette énergie représente en moyenne 25 à 30% du coût d’hébergement pour chaque client. Parallèlement, la consommation et les sources d’approvisionnement énergétiques des grands acteurs du numérique sont scrutées par de nombreux organismes, gouvernementaux ou non (Greenpeace pour les acteurs US particulièrement).

Or l’augmentation du coût de l’énergie est continue, engendrée par trois facteurs : augmentation des taxes et des frais d’acheminement, désindexation du coût d’achat brut de l’électron sur l’inflation (10 à 15% par an) et augmentation du coût de l’achat de certificats verts (multiplié par 10 en deux ans). Les organisations cherchent dès lors des solutions, pour répondre aux exigences institutionnelles à l’égard de l’environnement autant qu’à leurs contraintes financières. Et il ne faudrait pas croire que transférer ses machines au sein d’un data center est un mauvais calcul : en fait, la mutualisation permet autant d’économies financières que de gains pour la planète, effets d’échelles obligent.

Mais compte-tenu de cela, la priorité, au sein des data centers, va à la réduction maximale du ratio entre l’énergie totale nécessaire pour faire fonctionner l’infrastructure et la part de cette énergie restituée dans les serveurs hébergés, aussi appelé Power Usage Efficiency (PUE) ou ratio d’efficience énergétique.

Gérer l’efficience énergétique au moyen de technologies appropriées exige des ressources importantes, à commencer par une R&D ciblée. Du design des schémas de distribution électrique ou de refroidissement, à l’optimisation opérationnelle de la consommation énergétique, cette gestion de l’efficience est un métier d’expert. Et qui possède les savoir-faire adéquats – et les ressources en capital – sinon les leaders du secteur de l’hébergement mutualisé ?

Si une partie des grandes entreprises a déjà fait le pas vers la mutualisation, la marge de progression est immense et il n’y a pas à douter du fait que la prépondérance du critère d’efficience énergétique dans les décisions stratégiques des organisations dopera l’activité du marché de la colocation.

Fabrice Coquio, président d’Interxion France