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Objectif Lune: l'industrie spatiale européenne maintient le cap

La Lune (photo prise en janvier 2020)

La Lune (photo prise en janvier 2020) - ISHARA S. KODIKARA / AFP

Bien que touchée par la crise, l'industrie spatiale européenne résiste. Une relative stabilité qu'elle doit aussi bien aux soutiens financiers des Etats qu'à sa capacité à relever d'importants défis.

L'industrie spatiale européenne est-elle moins exposée que d'autres secteurs à la crise économique et sanitaire? A première vue, la filière subit de plein fouet les répercussions financières liées à la pandémie. Le 30 avril dernier, Eurospace, l'association européenne de l'industrie spatiale, demandait à l'Union européenne de déployer "d'importantes mesures" afin d'atténuer l'impact de la crise et du confinement sur ses activités.

L'américain OneWeb - qui envisageait de développer une méga-constellation de plus de 600 satellites de télécommunication d'ici 2022 et dont les équipements sont, en grande partie, fournis par des entreprises européennes - a déposé le bilan fin mars aux Etats-Unis. Il s'est depuis placé sous la protection du chapitre 11 de la loi américaine sur les faillites et aurait déjà licencié 85% de son personnel. En outre, la perte de chiffre d'affaires annuel à cause de l'arrêt des activités serait actuellement estimée à 15% pour l'industrie spatiale européenne. Sur la partie commerciale, la filière n'apparaît donc pas mieux lotie que d'autres secteurs face à la crise…

Et pourtant, il se pourrait que cette industrie parvienne malgré tout à s'en extirper avec les honneurs. Une lueur d'espoir qu'elle doit principalement aux soutiens financiers et institutionnels dont elle dispose à l'échelle européenne.

Touchée mais pas coulée

De fait, l'industrie spatiale européenne bénéficie d'importantes enveloppes octroyées par les Etats. En novembre dernier, l'Europe spatiale a eu, deux jours durant, les yeux rivés sur la grande messe de l'Agence spatiale européenne (ESA) organisée à Séville (Espagne). Une conférence ministérielle répondant au nom de Space19+ qui réunit les 22 pays membres de l'ESA (dont certains hors Union européenne) à l'occasion de laquelle l'Agence spatiale propose aux Etats d'engager des dépenses. Objectifs affichés: lancer de nouveaux programmes spatiaux, consolider la politique d'accès à l'espace, déterminer les prochaines étapes d'exploration et préserver la compétitivité industrielle européenne dans les filières des satellites.

Une politique spatiale qui, lors de l'exercice précédent, a permis aux acteurs de cette industrie de se voir allouer un budget de 11,4 milliards d'euros sur 5 ans et qui, sur l'exercice qui démarre en 2020, a sensiblement augmenté.

"14,4 milliards d'euros"

"La conférence de Séville a été un immense succès", se réjouit Jean-Yves Le Gall, le président du Centre national d'études spatiales (Cnes). L'ESA a obtenu un budget global de 14,4 milliards d'euros" pour la période 2020-2024. Un record pour l'Agence spatiale, qui visait au départ un budget de 14,3 milliards d’euros.

Du côté de l’Union européenne, là aussi, on envisage une augmentation sensible des budgets. "Comparée aux 11,4 milliards d’euros de la période qui s’achève, la proposition actuelle est d'atteindre une enveloppe de 16 milliards d'euros pour les sept ans à venir. On parlerait alors d'une hausse de près de 50%. Sur le volet institutionnel, l'industrie spatiale est particulièrement soutenue", détaille le patron du Cnes.

"Dès le début de la pandémie, nous avons pris des mesures très fortes en faisant, par exemple, en sorte de faciliter les délais de paiement. (…) L'industrie spatiale européenne, c'est 5 à 6 milliards d'euros par an. Il y a des programmes qui vont être décalés dans le temps. Notre socle, c'est le marché institutionnel et il continue à s'amplifier. Ce qui fait la force de l'industrie spatiale européenne, c'est l'aspect institutionnel dont elle dépend très largement et c'est cela qui lui permet de se renforcer".

Rester un acteur majeur

Il faut dire que l'espace est devenu, au fil des décennies, un secteur clé de souveraineté. La France, plus spécifiquement, n'hésite pas à payer le prix fort pour développer sa filière lanceurs notamment. A Séville, elle a débloqué pas moins de 2,5 milliards d'euros. Soit 400 millions d'euros de plus que ce qu'elle avait initialement prévu. Elle se positionne ainsi au deuxième rang des pays les plus généreux, derrière l'Allemagne qui a, elle, alloué près de 3,3 milliards d'euros à l'Agence spatiale européenne pour la période 2020-2024.

Avec l'Allemagne et l'Italie, la France contribue à 85% du budget d'Ariane 6. "Il est crucial pour la France de rester un acteur majeur du spatial européen", indiquait l'an passé Frédérique Vidal, la ministre de l'Enseignement supérieur, de la Recherche et de l'Innovation dans un entretien accordé à La Tribune.

On va (re)marcher sur la Lune

Au niveau européen, les ambitions sont également particulièrement hautes. Et l'Europe se montre à la hauteur des défis qu'elle se lance. Son dernier challenge en date? Une collaboration avec la Nasa pour concevoir un système d'atterrissage sur la Lune (ou alunissage).

Outre-Atlantique, l'agence gouvernementale dépense des milliards de dollars en vue de retourner sur la Lune en 2024. C'est, d'ailleurs, une promesse du président des Etats-Unis Donald Trump que d'y remettre les pieds plus de 50 ans après le passage du premier homme (l'Américain Neil Armstrong le 21 juillet 1969) sur le plus grand des satellites naturels du système solaire. Cette fois, les Etats-Unis veulent notamment y envoyer une femme (qui serait alors la première femme de l'histoire sur la Lune) avec pour ambition de maintenir leur suprématie spatiale.

Pour concevoir son futur vaisseau spatial, la Nasa vient de pré-sélectionner trois groupements d'entreprises: Blue Origin, SpaceX et Dynetics. Dans dix mois, il n'en restera plus que deux. Dans cette course en direction de la Lune, un seul européen est parvenu à tirer son épingle du jeu. Il s'agit de Thales Alenia Space (TAS) qui a rejoint le groupement d'entreprises formé par Dynetics, filiale du groupe de défense et de technologie Leidos. Société conjointe entre Thales (67 %) et Leonardo (33 %), Thales Alenia Space aura la lourde tâche de développer la cabine pressurisée du système d'atterrissage habité de la Nasa (le "HLS-Human Lander System").

Walter Cugno, directeur de l'exploration et des sciences au sein de TAS, se dit confiant. "Les concepts de systèmes d'atterrissage proposés par chaque groupement sont très différents. Nous avons beaucoup travaillé pour être sélectionnés par la Nasa et les premiers résultats que nous avons obtenus sont très encourageants. Nous avons de grandes chances de rester dans la course grâce à notre expertise développée en Italie dans la fourniture de modules pressurisés", estime-t-il. D'autant que ce programme constitue pour Thales Alenia Space une véritable opportunité.

"Cela nous permet d'exploiter toutes les ressources dont nous disposons dans ce domaine et de perfectionner nos technologies en vue d'une prochaine grande mission: l'exploration de Mars", poursuit Walter Cugno.

"Niches d'excellence"

Mais avant d'envoyer un lanceur sur la planète rouge, il faudra avant tout que la mission Lune de la Nasa soit couronnée de succès. Un rêve auquel peu d'acteurs européens peuvent aujourd'hui se targuer de prendre part. L'idée de cette mission consistera à envoyer un lanceur avec deux astronautes à bord, d'y rester une semaine, puis de repartir sur la station en orbite lunaire. Un défi spatial que Thales Alenia Space et plus largement l'Europe sont bien décidés à relever.

A l'heure où la filière spatiale européenne – bien que largement soutenue par les Etats – commence tout juste à reprendre du service après deux mois d'activités freinées voire bloquées à cause du confinement, cette sélection de Thales Alenia Space dans le cadre de la mission Lune de la Nasa fait non seulement rêver, mais offre aussi et surtout aux acteurs de cette industrie la possibilité de montrer au monde que le savoir-faire européen est à la hauteur de l'enjeu.

"Nous avons la chance de disposer de niches d'excellence, notamment en France où nous possédons un écosystème unique à la fois constitué de grandes écoles, de laboratoires de recherches, d’une agence spatiale, le Cnes, connue et reconnue à l’international, de grands industriels de l'espace comme Airbus Defence and Space et Thales Alenia Space et d'un tissu de start-up", précise Jean-Yves Le Gall. A l'heure du déconfinement, l'industrie spatiale européenne est bien armée pour redémarrer rapidement. 

Julie Cohen-Heurton