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Pourquoi la télémédecine est à la traîne en France

La couverture de populations localisées sur des territoires périphériques ou peu accessibles constitue le premier usage de la
télémédecine.

La couverture de populations localisées sur des territoires périphériques ou peu accessibles constitue le premier usage de la télémédecine. - Pascal Lachenaud-AFP

Alors que la télémédecine permettrait d'améliorer l’offre de soins, la Cour des comptes épingle "l’attentisme des pouvoirs publics et leur incapacité à définir un cadre clair". Elle préconise d'en lever les obstacles juridiques et techniques et de fixer un modèle tarifaire lisible pour tous.

La télémédecine reste embryonnaire en France alors qu'elle a tous les atouts pour accélérer la modernisation du système de santé. Ce constat sévère de la Cour des comptes, dans son rapport 2017 sur la Sécurité sociale, met en cause l'action hésitante et dispersée des pouvoirs publics (de tout bord politique) ces dernières années.

"Les pouvoirs publics ont privilégié la mise en œuvre d’actions expérimentales. Plus d’un quart de siècle après la première téléconsultation entre deux établissements de santé, cette politique n’a débouché que sur des résultats très modestes" déplore le rapport.

La télémédecine des cabinets de ville reste très en retard

Résultat: en 2015, les 257.814 actes de télémédecine dans le cadre d'expérimentations subventionnées, ont représenté 0,3% des actes et consultations externes effectués par les établissements de santé en un an.

Pire: la médecine de ville reste désertée par la télémédecine en dépit de multiples expérimentations lancées fin 2012 en réponse à l’extension des déserts médicaux. "Ces expérimentations dites ÉTAPES (expérimentations de télémédecine pour l’amélioration des parcours en santé) ont connu de nombreuses difficultés. En novembre 2016, les expérimentations se résumaient en tout et pour tout à la dispensation d’une centaine d’actes à seulement deux patients" déplore la Cour.

Le plan national de 2011 a été abandonné... fin 2012

Le retard français en télémédecine contraste avec les efforts déployés à l'étranger. Au Canada dès le début des années 1990, dans leur zone insulaire ou peu urbanisée, les États du Nouveau Brunswick et du Québec ont mis en place des téléconsultations dans les principales disciplines médicales et des actions de télésurveillance dans le domaine cardiaque, relève le document. Au Danemark (cf encadré ci-dessous), la généralisation du dossier patient numérique au début des années 2000 facilite l'exercice de la télémédecine.

À l'appui de sa dénonciation du retard français, le rapport épingle le (mauvais) exemple du plan national de déploiement de la télémédecine présenté en 2011 par le ministère de la santé.

Doté à l'époque de près de 44 millions d'euros en investissement, "le plan national a été abandonné par le ministère de la santé au cours de l’année 2012, à défaut notamment d’un modèle de financement pérenne en fonctionnement" explique la Cour des comptes.

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- © Dans l’Allier, en visite le 7 janvier 2017 pendant sa campagne, Emmanuel Macron a été ausculté à distance par un médecin depuis Nancy. www.enmarche.fr

Alors que la télémédecine est un objectif de la politique française de santé depuis 2010, "il n’a été mis en place ni méthode, ni outils pour suivre ce segment de l’activité médicale" ajoute le document qui dénonce la carence de l'évaluation des nombreuses expérimentations menées en France.

Pour combler le retard français en télémédecine, les sages de la rue Cambon préconisent de lever l'ensemble des obstacles juridiques et techniques à son essor. En tête des pièces manquants du puzzle, le dossier médical partagé. Il a pris le relais de l'ex-dossier médical personnel, enterré après n'avoir jamais décollé. Ce dossier numérique du patient, qui centralise tous les actes médicaux, doit enfin être généralisé en 2018 sous l'égide de l'assurance maladie.

Sa mise en service suppose "l'alimentation obligatoire de ce dossier par chaque professionnel de santé quels que soient son mode et son lieu d’exercice" rappelle la Cour des comptes pour laquelle c'est le seul gage de la traçabilité de l'ensemble des interventions médicales sur le patient.

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- © Le président Hollande avait visité le 28 avril 2017 une salle de télémédecine installée à l'hôpital de Belle-île-en-Mer. Damien Meyer-AFP

L'absence totale de dématérialisation des prescriptions médicales pose aussi problème. "La France fait partie des cinq derniers pays de l’Union Européenne où la prescription médicale électronique sécurisée de médicaments et de dispositifs médicaux n’est pas déployée" relève le rapport.

Or, la prescription électronique "concourt à la traçabilité des soins et constitue un préalable légal à la télémédecine" souligne le document. Pourtant, la CNAMTS (caisse nationale d'assurance maladie des travailleurs salariés) ne prévoit de mener qu'en septembre 2017 une première expérimentation de prescription électronique sécurisée, couvrant trois départements.

L'essor de la télémédecine repose aussi sur des messageries électroniques sécurisées facilitant la circulation d'informations au sein de l'équipe de soins. Elles doivent être généralisées à partir de 2017. En mai 2016, seulement 30% des médecins libéraux les utilisaient. Mais, un plan de déploiement concernant 600 des centres hospitaliers les plus importants, est en cours.

La piste du partage d'honoraires entre professionnels

Enfin, la définition d'un modèle tarifaire pérenne pour les actes de télémédecine reste à établir. En l'absence d'une tarification de droit commun, aucun décollage n'est possible. La Cour des comptes suggère d'explorer la piste du partage d'honoraires, autorisée en télémédecine, lorsqu'il y a coopération entre plusieurs professionnels de santé. Le rapport déplore toutefois qu'à ce jour, "un seul acte de télémédecine, celui de dépistage de la rétinopathie diabétique, auquel participent un orthoptiste et un ophtalmologue, ait donné lieu à partage d’honoraires".

Pour les actes de télésurveillance d'un patient atteint de maladie chronique, "un système de tarification forfaitaire apparaîtrait mieux approprié pour favoriser son développement qui offre un fort potentiel d’économies".

Le document préconise enfin de baisser les tarifs des prises en charge "en hospitalisation classique afin de favoriser la substitution de la télésurveillance à ces dernières chaque fois que cela est pertinent sur le plan médical".

Au Danemark, le dossier patient numérique fut généralisé dans les années 2000

Le Danemark est en pointe pour l’usage de la télémédecine, selon la Cour des comptes. Dès le début des années 2000, ce pays scandinave a imposé un dossier numérique patient standard qui est le mode normal de partage des données entre professionnels de santé, patients et établissements.

"L’ensemble des établissements de santé et des professionnels de santé alimentent quotidiennement le dossier du patient des séjours et actes réalisés. Une plateforme numérique nationale (Sundehedsjournal) permet de mettre ces informations à la disposition des professionnels et de délivrer des informations plus générales aux patients" explique le rapport.

Frédéric Bergé