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Pouvoir de sanction : la réponse cinglante du gendarme des télécoms à Orange

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- - Lionel BONAVENTURE / AFP

L'opérateur historique a déposé une question prioritaire de constitutionnalité pour contester le pouvoir de sanction de l’Arcep. Cette dernière dénonce une volonté de défier la régulation à la française.

Orange estime-t-il que l’Arcep (l’Autorité de régulation des télécoms) en fait trop, notamment à travers son bras armé qui prononce des sanctions et des mises en demeure contre les opérateurs qui ne respectent pas leurs engagements? Il faut dire que ces dernières se sont multipliées ces derniers mois contre l'opérateur.

Les relations tendues entre acteurs du marché et régulateur ne sont certes pas nouvelles. Mais l’opérateur historique conteste désormais les pouvoirs de sanction de son autorité de tutelle. Orange a en effet déposé au Conseil d'Etat une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) pour contester son pouvoir de sanction. Le groupe de Stéphane Richard estime que les principes de séparation des pouvoirs et d'impartialité, garantis par la Constitution, ne sont pas respectés au sein de l'Arcep. Les pouvoirs de régulation, d'enquête et de sanction du régulateur sont répartis en trois trois formations insuffisamment hermétique au regard de la Constitution, selon, Orange.

Juge et partie

Cette QPC a ulcéré le collège de l’Autorité qui s’est fendu d’une réponse cinglante dans sa dernière newsletter. "Depuis la décision politique d'ouvrir le secteur des télécoms à la concurrence il y a plus de vingt ans, l'Arcep construit patiemment une régulation que l'on pourrait qualifier de pragmatique. En donnant la priorité au futur plutôt qu'à la sanction du passé", souligne l’Autorité.

"Le marché des télécoms français est régulièrement cité en exemple à travers l'Europe et le monde. Si les opérateurs, qui en sont les premiers acteurs, peuvent s'en enorgueillir - chaque jour des femmes et des hommes œuvrent au déploiement des réseaux et à l'équipement du pays -, la régulation pragmatique de l'Arcep y a sa part", poursuit l'Arcep.

"Mais le pragmatisme ne se décrète pas. Il suppose que les parties prenantes aient suffisamment confiance dans la solidité du système pour s'y engager, pour "jouer le jeu". La procédure de sanction de l'Arcep (…) est à cet égard décisive. Non pas pour elle-même, mais pour créer cette confiance et cette dynamique collective. Le meilleur exemple en sont les engagements que peuvent prendre les opérateurs, sur des enjeux concurrentiels ou de couverture du territoire. Sans contrôle ni sanction, ces engagements ne seraient que de papier", souligne encore le collège de l'Arcep.

Un bâton de régulateur qui "cache la forêt"

Et d’asséner: "Le bâton du régulateur cache la forêt du modèle français. Contester le pouvoir de sanction de l'Arcep (…) n'est pas une simple procédure contentieuse. C'est défier l'esprit pragmatique de la régulation à la française".

L’Autorité l’a bien rappelé: c’est ce pouvoir de sanction qui a permis d’accélérer les déploiements d’Internet fixe et mobile en France, à travers les engagements contractuels des opérateurs, ou d'animer la concurrence entre les opérateurs en favorisant l'émergence de nouveaux acteurs.

Et d’ailleurs, plutôt que de sanction, on devrait plutôt parler de menaces de sanction. L’Arcep le souligne: le prononcé définitif de sanctions est "exceptionnel", les opérateurs se pliant généralement aux mises en demeure.

"Sans pouvoir de sanction, plus aucune contrainte ne pèserait sur l'ensemble des opérateurs s'agissant de l'achèvement de la couverture FttH (réseau de fibre optique jusqu'au domicile, NDLR) de la zone AMII, de la complétude des déploiements, de la bonne mise en œuvre du New Deal mobile, du respect du service universel", résumait le 4 septembre dernier le sénateur de l'Ain, Patrick Chaize, également président de l'Association des villes et collectivités pour les communications électroniques et l'audiovisuel (Avicca).

Un premier précédent en 2013

Mais pour l’Arcep, le risque de perdre son bras armé existe bel et bien. L’ex-Numericable (fondu désormais dans le groupe Altice, propriétaire de BFM Business) avait déposé en 2013 un recours auprès du Conseil constitutionnel (pour les mêmes raisons qu’Orange aujourd’hui) qui a débouché sur la perte de ce pouvoir. Les juges estimaient que "n'est pas assurée la séparation au sein de l'Autorité entre, d'une part, les fonctions de poursuite et d'instruction des éventuels manquements et, d'autre part, les fonctions de jugement des mêmes manquements, méconnaiss[ant] le principe d'impartialité". En clair, d'être juge et partie.

Une ordonnance du gouvernement en 2014 lui avait permis de le retrouver. Et l’Arcep se dit confiante sur la solidité juridique du texte actuel à travers la correction apportée après cette première annulation. Le Conseil d'État doit désormais se pencher sur la requête d'Orange avant de décider de la transmettre ou non au Conseil constitutionnel.

Olivier CHICHEPORTICHE