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A Saint-Malo, ces habitants qui refusent qu'Airbnb transforme leur ville en "Disneyland"

La guerre des Malouins contre Airbnb

La guerre des Malouins contre Airbnb - Jean-Briac Junker - Wiki

Un peu plus de 7% des logements à Saint-Malo étaient référencés sur les plateformes Airbnb ou Abritel au deuxième trimestre. Certains habitants dénoncent les nombreuses de nuisances de la location saisonnière.

Emportée par la vague Airbnb, la vieille ville de Saint-Malo va-t-elle devenir un parc d'attractions pour touristes? C'est la crainte de nombreux habitants de la "cité corsaire" irrités par les nuisances de la plateforme de réservations de logements. "On est en train de perdre notre ville. Tout est aseptisé, on ne s'y retrouve plus", se désole Véronique Deschamps, Malouine de 57 ans. "On n'a pas reconstruit Saint-Malo après la Guerre pour en faire un Disneyland", tonne-t-elle.

Coiffeuse à domicile, installée dans la ville fortifiée depuis 1993, elle a été la première à monter au créneau dès 2018. "Nos voisins sont devenus des clients Airbnb qui nous bousculent avec leurs valises et ne daignent pas nous saluer", écrivait-elle dans une tribune. Nuisances sonores, dégradations et palier occupé par les valises ou les ballots de draps: Véronique Deschamps décrit une "qualité de vie altérée" par la présence d'une location Airbnb dans sa vieille bâtisse divisée en appartements. Loin d'être isolé, le phénomène se repère aux boîtes à clés, qui fleurissent sur les murs de granit de la ville fortifiée. Ouvertes grâce à un digicode, ces boites permettent au touriste de passage de prendre possession de son appartement.

Les multipropriétaires dans le collimateur

En réaction, un collectif anti-Airbnb s'est monté, rassemblant 70 à 80 personnes, selon Franck Rolland, cofondateur avec Véronique Deschamps. "Notre collectif est contre les multipropriétaires qui en font un business. Pas contre les habitants qui louent une chambre pour arrondir leurs fins de mois", souligne Franck Rolland. Désertification du centre ville, spéculation immobilière, disparition des commerces du quotidien... sont quelques uns des griefs relevés par le collectif. "Des effets néfastes qui s'allient à des tendances qui étaient déjà là", note Thomas Aguilera, chercheur à Sciences Po Rennes, qui évoque aussi un "effet TGV" qui a mis Saint-Malo à 2 heures 15 de Paris.

La vieille ville, assaillie de touristes dès les beaux jours venus, a perdu un quart de sa population entre 1999 et 2016 tandis que les prix de l'immobilier ont flambé de plus de 20% ces cinq dernières années à l'échelle communale. Des services publics comme La Poste ont fermé. "Et regardez la pharmacie, c'est devenu une biscuiterie", pointe Véronique Deschamps, en traversant la rue principale. "En moyenne saison, on entend les valises passer. Ils vont dans des appartements et nos hôtels sont vides", regrette aussi Patricia, patronne de l'Hôtel des Abers. "Dans notre rue, c'est une mafia d'Airbnb: il y a des immeubles entiers, c'est que des appartements à louer."

"On ne veut pas que Saint-Malo devienne un parc d'attraction"

Selon le site d'analyse de données AirDNA, 2.491 logements (soit près de 7% des logements de la ville) étaient référencés sur les plateformes Airbnb ou Abritel au 2e trimestre à Saint-Malo, après un pic à plus de 3.000 en 2019. Airbnb parle pour sa part de 117.000 voyageurs accueillis l'an dernier. A titre de comparaison, la ville de Saint-Malo comptait en 2017 un peu plus de 35.000 logements pour 46.000 habitants, selon les dernières données de l'Insee.

Le poids d'Airbnb dans la commune est une problématique prise au sérieux par l'équipe municipale du nouveau maire (LR) Gilles Lurton. "Ça fait partie des premiers dossiers de la mandature", assure le 1er adjoint Jean-Virgile Crance, par ailleurs président du groupement national des chaînes hôtelières. "On ne veut pas que Saint-Malo devienne un parc d'attraction", assure-t-il, en évoquant une possible restriction, dans la vieille ville, du nombre d'appartements à louer par propriétaire.

Mais si les moyens de régulation existent, ils sont limités et peuvent souvent être détournés. "Les villes n'ont pas assez de poids pour décider de leur propre régulation, elles peuvent bricoler", remarque Thomas Aguilera. "Que peut faire une petite ville face au premier hébergeur au monde basé à San Francisco?" Airbnb met en avant les 285.000 euros de taxes de séjour reversés à la ville chaque année et dénonce des critiques "pas fondées" et "totalement déconnectées de la réalité des hôtes à Saint-Malo". La plateforme a d'ailleurs monté un "club d'hôtes" pour défendre ses intérêts, argumentaires à l'appui. Son "animateur" Thierry Dorance-Houssay, retraité rennais de 65 ans, veut que les "hôtes" soient entendus par les pouvoirs publics. "Des gens font des investissements, il faut qu'ils aient une forme de rentabilité", plaide-t-il, en proposant une "charte du locataire".

Avec AFP

D. L.