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L'huile de palme empoisonne le gouvernement

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- - ADEK BERRY / AFP

Les députés défient le gouvernement sur l'huile de palme, et prennent de gros risques industriels

En pleine polémique sur les carburants, le gouvernement vient d'hériter d'un dossier dont il se serait bien passé, tant il illustre les difficultés des responsables politiques à gérer des injonctions contradictoires: écologie, emploi, pouvoir d'achat.

L'Assemblée nationale a adopté de justesse un amendement du Modem excluant l'huile de palme de la liste des biocarburants et donc des avantages et incitations fiscales qui y sont liées. Une décision qui a semé le trouble au sein de la République en marche. La mesure a été adoptée par 22 voix contre 20. Tous les groupes d'opposition se sont ralliés au MoDem à l'origine de cet amendement, mais aussi 5 députés de la majorité.

De nombreux députés de l'opposition étaient montés au créneau pour défendre cet amendement. « Cela fait quinze jours que l'on se bat pour expliquer pourquoi on fait la transition énergétique, pourquoi on rajoute de la taxe carbone, pourquoi on augmente la taxe sur le gazole, et quand on veut faire du carburant propre en France, on garde l'huile de palme (...) L'huile de palme, c'est plus nocif que l'essence », avait affirmé Bruno Millienne, élu MoDem des Yvelines. « Favoriser l'utilisation de l'huile palme c'est accepter que se poursuivent des déforestations », avait tonné le chef de file des Insoumis, Jean-Luc Mélenchon.

Il faut dire que le sujet fait débat. Il y a un mois, l’Assemblée nationale avait maintenu un avantage fiscal pour les biocarburants à base d'huile de palme. Cette fois, l'avis du gouvernement avait été respecté. Gérald Darmanin, ministre des comptes publics, avait alors mis l'emploi en avant, évoquant le sort des 300 ouvriers de la bioraffinerie Total de La Mède dans les Bouches-du-Rhône. Le site doit démarrer au premier trimestre 2019. Il raffinera désormais des carburants à partir de matières végétales, en particulier la très controversée huile de palme. Pour le ministre, sans avantage fiscal, ces emplois seraient menacés. L'adoption de l'amendement excluant l'huile de palme de la liste des biocarburants vient donc tout chambouler.

La position du gouvernement a été largement critiquée par des députés de tous bords, qui ont dénoncé les largesses du gouvernement envers Total. Bruno Millienne, député MoDem, a notamment dit avoir « un peu de mal à concevoir qu’on va donner finalement à Total la primeur par rapport à nos filières françaises ». De son côté, François-Michel Lambert, ex-LREM et membre du nouveau groupe Libertés et Territoires, a dénoncé «des largesses extraordinaires» pour l’entreprise. «Ce que je ne comprends pas c’est qu’au nom de Total (...) on sacrifie toute la filière betterave-sucre», a aussi déploré Jean-Louis Bricout, du parti socialiste. Mathilde Panot, de France Insoumise, a quant à elle déploré que l’économie prenne le pas «sur l’intérêt général humain».

La pilule a également du mal à passer auprès des défenseurs de l'environnement. Greenpeace avait réagi à cette décision dans un communiqué : « Le bilan de presque un an de travail gouvernemental contre la déforestation importée en France se résume donc pour l’instant à la seule ouverture du site de la Mède qui va augmenter les importations françaises d’huile de palme de près de 64 %. Que l’Elysée, par la voix de Gérald Darmanin, invoque les intérêts du site de la Mède pour justifier le rejet de l’amendement prouve que ce n’est pas Emmanuel Macron qui gouverne la politique industrielle de ce pays, mais des grands groupes sans scrupules, comme Total. (...) Il devient désormais impossible d’accorder une quelconque crédibilité à la parole gouvernementale sur l’environnement».

Le gouvernement est assis entre deux chaises, industrie et écologie. Sa position sur l'huile de palme est en contradiction avec ses propres engagements écologiques. Le Plan climat annoncé par Nicolas Hulot en juillet 2017, prévoyait « la fin de l’importation en France de produits contribuant à la déforestation ». Le gouvernement enfreint aussi un Objectif d’Aichi, le nouveau « Plan stratégique pour la diversité biologique 2011-2020 » pour la planète, adopté en octobre 2010 et ratifié par la France. Un des objectifs prévoit la disparition des incitations fiscales néfastes pour la diversité écologique.

Nouvelles mesures pour lutter contre la déforestation

Cette semaine encore, le gouvernement a publié sa stratégie pour lutter contre les importations à risque pour la forêt dans le monde. Aide aux pays producteurs, nouveau label, campagne de communication: l'objectif est de mettre fin d'ici à 2030 à la déforestation liée à l'importation de produits agricoles ou forestiers non durables.

Si le directeur général du WWF France, Pascal Canfin a salué un « bon plan de travail », les mesures sont jugées insuffisantes par Greenpeace. L'organisation estime que « les timides avancées du gouvernement ne compenseront pas l'autorisation qu'il a donnée à Total d'importer 550.000 tonnes d'huile de palme par an pour sa bioraffinerie de La Mède, ni son blocage de la suppression de l'avantage fiscal aux agrocarburants à l'huile de palme ». Car bien avant l'alimentaire, ce sont bien les agrocarburants qui absorbent une grande partie de l'huile de palme.

De son côté, le ministère de la Transition écologique avait tenté de rassurer, affirmant que Total devra faire la transparence sur ses filières d'approvisionnement. Un dialogue serait engagé avec le groupe, pour la substitution de productions nationales aux importations et le développement de carburants de deuxième génération. Total s’est déjà engagé à augmenter la part de son approvisionnement en huiles autres que celle de palme de 25% à 50 %.

Selon l'Organisation des nations unies pour l'alimentation et l'agriculture, de 1990 à 2015, le monde a perdu 129 millions d'hectares de forêts entre 1990 et 2015. Soit 8 fois la forêt française. Un fléau responsable de 11% des émissions de gaz à effet de serre mondiales et de pertes d'espèces. Un tiers serait imputé aux pays de l'Union européenne. Selon WWF, la France a elle seule a contribué à déboiser potentiellement 5,1 millions d'hectares ces cinq dernières années, notamment avec ses importations de soja, cuir et huile de palme.

Mais le gouvernement hérite d’un dossier qu’il n’avait pas lui-même géré, et dont la priorité avait été de maintenir les emplois « à tout prix ». Sortir de cette affaire sans sacrifier 300 emplois alors qu’on demande d’autre part à Total des efforts sur les prix des carburants aurait dû se gérer avec discrétion. Les députés en ont décidé autrement

Sandrine Serais