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Finances publiques

Le CICE ne « coûte » rien

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L’Etat ne « dépense » rien en laissant aux entreprises l’argent qu’elles ont gagné.

« Dépense fiscale », l’administration fiscale est une machine efficace, elle sait qu’il est compliqué de faire passer des vessies pour des lanternes, alors elle invente des mots. Elle a donc inventé « dépense fiscale ». Car ne vous y trompez pas, cette « dépense » n’en est pas une. C’est simplement de l’argent que le fisc ne prendra pas. Les « dépenses fiscales » désignent « les avantages fiscaux dont peuvent bénéficier les contribuables pour diminuer le montant de leurs impôts, dès lors qu'ils remplissent certaines conditions » nous dit Wikipedia.

Avouez que c’est magique : arriver à faire croire qu’on vous donne quelque chose quand on se contente de ne pas vous le prendre. Vous faire croire que l’on « dépense » quand on se contente de ne pas percevoir.

Vous êtes perdu ? C’est normal, c’est le but de la manœuvre, et en France elle a parfaitement réussi. Tout le monde admet, par exemple, que le CICE « coûte » 20 milliard d’euros. 20 milliards de « dépense fiscale », alors qu’en fait ce sont 20 milliards qu’on ne prend pas aux entreprises. Le Crédit d’Impôt Recherche « coûte » 6,5 mds, alors que ce sont 6,5 mds gagnés par les entreprises que l’état, dans sa grande générosité, décide de leur laisser, encore faut-il qu’elles aient fait la preuve qu’elles vont les dépenser à améliorer leur compétitivité par l’innovation.

Le niveau de la mer

« Ça revient au même ! Vous faites de la sémantique inutile ! » dira le lecteur de bonne foi qui se demande où je veux en venir. Je veux en venir à la racine de nos crises. Utiliser le terme « coûter » suppose qu’il y ait une sorte de niveau naturel de prélèvement. Une loi d’airain de la fiscalité, un peu comme le niveau de la mer. Au-dessus de ce niveau vous êtes en + quelque chose, et on admet que les prélèvements sont trop élevés, en dessous vous êtes en - , et là on dit qu’on vous fait des « cadeaux », on demande des « contreparties », et vous « coûtez » à la collectivité.

Le problème c’est que la mer déborde. Notre niveau c’est le plus élevé du monde en ce qui concerne les prélèvements obligatoires. Pardon d’insister, mais la norme au-dessus de laquelle on tolérera une discussion sur le niveau de la fiscalité, c’est la médaille d’or olympique. En dessous, c’est le domaine des « cadeaux » et de la « dépense fiscale ». Le niveau de la mer, le vrai, il a été publié par l’OCDE en ce qui concerne les entreprises : le taux moyen de l’impôt sur les sociétés est de 21,7% dans le monde. Voilà. La réalité c’est que la « dépense fiscale » ne devrait démarrer qu’en dessous de ce niveau, or elle démarre en dessous de 33,3%.

Et dans la fiscalité qui pèse sur le travail, l’impôt sur les sociétés n’est qu’un détail, ce sont bien les cotisations/charges sociales qui pèsent sur la compétitivité. Vous avez là d’ailleurs un autre débat sémantique. « Cotisation » dira l’un, parce que c’est du salaire différé (vous toucherez, au chômage, à la retraite, à l’hôpital etc… ce que vous versez tous les mois), « charge » répondra l’autre, parce qu’en réalité on n’en touchera au mieux qu’une faible partie, le reste se perdant dans le puits sans fond de la « dépense publique ».

Aux racines de la crise

Comment en est-on arrivé là ? Et en quoi cette querelle sémantique porte-t-elle les germes de la crise ? On en est arrivé là en faisant porter sur le travail une partie considérable du financement de notre système social. Et parce que ce système est à bout de souffle, la moindre « baisse de prélèvement » devient effectivement un « coût insupportable » pour la collectivité.

En jouant sur les mots, on pérennise ce mensonge collectif français du « système le meilleur du monde » qui serait « miné » par les niches en tout genre. La réalité c’est que ce système conduit les entreprises à l’asphyxie et que seules les niches lui permettent encore de respirer. Nos débats seraient-ils les mêmes si on admettait que les entreprises « paient » bel et bien le système, et que ce n’est pas à elles de faire « efforts » et « contreparties », mais bien au système social qu’elles nourrissent ?

Pourquoi sommes-nous aux racines de notre crise ? Parce que le travail ne paie plus assez, parce que 2000€ nets par mois deviennent un horizon inatteignable du fait justement du poids des « cotisations » sur le salaire. Il faudrait des « dépenses fiscales » considérables pour alléger tout cela, un véritable démiurge pour faire baisser le niveau de la mer.