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7 choses à savoir sur Cambridge Analytica, accusée d'avoir "détourné" Facebook

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- - Daniel Leal-Olivas - AFP

Le nom de la société britannique, basé en plein cœur de La City à Londres, est partout ces jours-ci. Portrait de Cambridge Analytica pour comprendre les enjeux des affaires qui la concernent.

Cambridge Analytica aurait joué un rôle dans le vote pro-Brexit en Grande-Bretagne. Elle aurait favorisé l'élection de Donald Trump aux États-Unis. Elle aurait "volé" à Facebook des données de dizaines de millions de profils. Qui est cette société, que fait-elle, pourquoi on parle d'elle?

> Ce que vend Cambridge Analytica

Sur son site, la compagnie indique "utiliser les datas pour changer le comportement du public". En l'occurrence, pour l'équipe de campagne de Trump, elle admet avoir récupéré des masses énormes de données sur l'électorat américain via un processus qui créée aujourd'hui la polémique et plonge Facebook dans la tourmente. Autre élément du scandale, elle aurait utilisé ces données pour modéliser des comportements et influencer les foules.

> Comment aurait-elle pu détourner Facebook?

Christopher Wylie, un ancien employé de Cambridge Analytica a raconté au Guardian qu'elle s'est adjoint les services d'un chercheur en psychologie de Cambridge, Aleksander Kogan. Il a mis au point un questionnaire de personnalité intitulé "thisismydigitallife". Ce formulaire a été soumis via Facebook, Amazon Mecanichal Turk et d'autres plateforme. Ceux qui acceptaient d'y répondre étaient rétribués. Quelques 300.000 Américains ont répondu aux questions détaillées.

À titre d'exemple, une des questions était "quelle est selon vous l'information que le grand public devrait connaître". La réponse permettait aux analystes de connaître à la fois "la sensibilité politique du répondant, sa porosité aux théories du complot, mais aussi sa propension à partager son point de vue sur les réseaux sociaux", décrypte Paul-Olivier Dehaye, mathématicien et spécialiste de la protection des données.

> 50 millions de comptes Facebook, mais 240 millions de profils détaillés

À la fin du questionnaire, qui se présentait comme une application, les répondants devaient ouvrir l'accès à leur compte Facebook, et ce faisant, à ceux de leurs amis. Le sondé avec le moins de "friends" en comptait déjà 160. À l'arrivée, Cambridge Analytica a pu siphonner les données Facebook de 50 millions de profils. Le réseau, alerté par le pompage de masses énormes de données, affirme qu'il ignorait que le chercheur travaillait pour Cambridge Analytica, qu'il prétendait mener un étude universitaire.

Outre Facebook, CA a fait appel à divers "vendeurs de datas", comme elle le revendique dans la rubrique "politique de confidentialité" de son site. En 2014, elle avait établi les profils personnels hyper détaillé de 240 millions d'Américains, rapporte une étude de la commission fédérale américaine du commerce. 240 millions, sachant que les États-Unis comptent 325 millions d'habitants: la société a, semble-t-il, fiché toute la population adulte américaine.

> De l'analyse de personnalité à la manipulation des comportements

C'était le cœur de la mission de l'ex-employé. Christopher Wylie, qui se décrit dans le Guardian comme "un végétalien gay canadien qui a fini par créer l'outil de guerre psychologique embrouilleur d'esprit de Steve Bannon", occupait le poste de "chef des opérations psychologiques" chez Cambridge Analytica. Sa mission: "changer l'esprit des gens, non pas par la persuasion mais par la 'domination informationnelle', un ensemble de techniques qui inclut la rumeur, la désinformation et les fausses nouvelles".

Plutôt que de chercher à convaincre avec des pubs sur les fils d’actualité, "la firme encourageait la viralité de certains contenus pour vous montrer une image biaisée de ce dont vos amis discutaient et de ce qu'ils pensaient", explique Pierre-Olivier Dehaye. Et ainsi, "influencer subrepticement l'opinion".

> Qui sont ses hommes-clé

Cambridge Analytica, c'est en fait SLC, pour Strategic Laboratory Communication, un ensemble de filiales imbriquées les unes dans les autres. Dans les comptes qu'elle dépose au greffe apparaît partout, comme directeur et/ou actionnaire Alexander Nix. Une vidéo d'une télé britannique tournée en caméra chachée et publiée en début de semaine le montrait en train d'évoquer les méthodes utilisées par Cambridge Analytica pour nuire à la réputation des adversaires politiques de ses clients. Un savant cocktail de pots-de-vin et de prostituées ukrainiennes. Depuis, Nix a été démis temporairement de ses fonctions.

SLC, qui existe depuis au moins 2006, a été fondé par Nigel Oakes, ancien petit-ami d'une membre de la famille royale et ex-publicitaire. Le sulfureux Steve Bannon, théoricien de la politique de Trump, fondateur du site d'extrême-droite Breitbart et soutien de Marine Le Pen en France, a fait partie de ses dirigeants. Le principal investisseur de Cambridge Analytica pendant la campagne est un de ses très proches, celui qui lui a donné des millions pour créer Breitbart: le milliardaire Robert Mercer, brillant ingénieur chez IBM devenu gérant de hedge fund. Ce donateur républicain de premier ordre a d'abord soutenu Ted Cruz avant de se rabattre sur Donald Trump après l'éviction du premier.

Autre investisseur, par ailleurs directeur d'une des filiales de la galaxie SLC, Roger Gabb, un des plus gros financeurs du parti conservateur britannique, qui a participé activement à la campagne pro-Brexit. Pour l'anecdote, il est également connu pour avoir introduit la marque Volvic au Royaume-Uni, racontait le Guardian.

> Pour qui roule SCL / Cambridge Analytica ?

"Pour le plus offrant", affirme l'ex-employé de la firme au Guardian. Des soupçons d'accointance avec la Russie planent également sur Cambridge Analytica. Le Sénat américain enquête précisément sur ce sujet actuellement, alors que les autorités prennent au sérieux la piste d'une ingérence de Moscou dans les dernières élections présidentielles américaines.

L'ex-employé du groupe admet avoir participé à l'été 2014 à une présentation de la méthode de Cambridge Analytica pour influencer les électeurs américains à un ex-ministre de Poutine, Vagit Alekperov. Une présentation qui s'est tenue dans les locaux américains de la deuxième compagnie pétrolière russe, Lukoil, dont le proche du président russe est désormais PDG.

> Est-ce que Cambridge Analytica a des clients en France?

Il n'existe aucune preuve que Cambridge Analytica, qui a des bureaux à Londres, travaille avec des clients français. On peut seulement souligner que Steve Bannon soutient publiquement Marine Le Pen et s'est rendu au congrès du Front National en mars.

Quoi qu'il en soit, "il existe des tas d'entreprises qui font la même chose que Cambridge Analytica", souligne le spécialiste de la protection des données Paul-Olivier Dehaye. Tout un écosystème de sociétés peu connues, des agences qui compilent les données pour les revendre, d'autres qui les achètent pour les utiliser. Par exemple, Visual DNA aurait dressé le profil psychologique de 60 millions de ressortissants allemands. De son côté LMP, la start-up qui a travaillé pour l'équipe de campagne d'Emmanuel Macron, souligne avoir utilisé le big data pour optimiser le démarchage électoral d'En Marche.

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco