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Baisse des taux : le casse-tête de la Fed

Des dollars américains

Des dollars américains - JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

La banque centrale américaine ne surprendra personne en annonçant une baisse de ses taux mais les éléments de langage seront surveillés de près : comment justifier une baisse dans un contexte économique solide et pour quoi faire ensuite ?

Avec des marchés uniquement guidés par les politiques monétaires plus ou moins accommodantes des banques centrales, les conclusions du comité de la Fed ce mercredi soir sont attendues comme le Messie. Si une baisse des taux directeurs, la première en onze ans, est acquise, son ampleur pose encore question (25 ou 50 points de base), avec un Donald Trump très pressant pour qu’elle soit la plus importante possible.

Surtout, les éléments de langage seront surveillés de près : comment justifier une baisse dans un contexte macro-économique solide (croissance forte et chômage au plus bas depuis 50 ans) supérieur aux attentes et pour quoi faire ensuite (nouvelle baisse en 2019, quid de 2020, quelles perspectives) ?

« Jérôme Powell, le président du comité, devra se justifier solidement lors de la conférence de presse, surtout que cette baisse intervient seulement six mois après la dernière hausse de taux », commente Thomas Costerg, économiste senior US chez Pictet Wealth Management.

Logique assurantielle

« La croissance américaine se porte bien ; c’est la leçon à retenir de la publication des chiffres du PIB du deuxième trimestre (+2,1%). Mais alors comment comprendre l’attitude de la Fed ? Par une démarche assurantielle, centrée sur les points d’une inflation « faiblarde » et d’un environnement international fragile », ajoute Hervé Goulletquer, stratégiste à la Banque Postale Asset Management.

Voilà donc une clé pour la Fed : ne pas s’appuyer sur les données macro-économiques connues (sic) mais bien anticiper un retournement et donc s’assurer que l’économie américaine sera prête le moment venu. « Sans aller jusqu’à conclure que les choses vont mieux (la faiblesse de l’investissement est un point à surveiller), la demande domestique se porte bien aux Etats-Unis. La déception viendrait plutôt du côté de la demande extérieure nette. Mais le phénomène n’est pas vraiment nouveau », poursuit l’expert.

Et de souligner : « Il est nécessaire de bien comprendre les implications pour les Etats-Unis et de reconnaître que les interactions sont de plus en plus étroites. Il devient nécessaire de se positionner par rapport aux vents contraires venant d’ailleurs. Une démarche assurantielle, centrée sur l’inflation et l’environnement international, incite à agir ».

« Difficile dans ce contexte d’imaginer une Fed mettant en place des opérations de grande envergure, sachant qu’elle brûlerait des cartouches en cas de ralentissement plus sévère de l’économie dans les mois à venir », estime pour sa part Alexandre Baradez, Responsable Analyses Marchés chez IG France. Du coup, les probabilités d’une hausse de 25 points de base sont aujourd’hui de 80%. Et aller plus loin serait également interprété comme une reddition face à Donald Trump.

Exercice délicat

Pour d’autres experts, l’action de la Fed, en plus des arguments précédents vise à remettre d'aplomb la courbe des taux. « Pour nous, c’est surtout une question de ‘recalibration’ des taux qui explique la baisse : éviter une inversion de la courbe des taux, et rester bien en deçà du taux neutre théorique (que la Fed voit à 2.5%). Par ailleurs il y a des remords sous-jacents par rapport à la hausse du mois de décembre », avance Thomas Costerg.

Finalement, « le risque d’une erreur de communication est forte, surtout si Powell sort « la liste de courses » des risques concernant l’expansion américaine et brandit trop fortement la question de « prendre une assurance », ce qui est un concept flou, et qui pourrait enfermer la Fed dans un cycle de baisse de taux plus important ».

Car la suite de l’histoire pose également question. La réaction des marchés d’abord qui ont déjà digéré une hausse ce mercredi. « Pour que les indices enchaînent de nouveaux records, la Fed va devoir délivrer un message particulièrement accommodant sans toutefois inquiéter sur les perspectives économiques. Et c’est là qu’est la difficulté », explique Alexandre Baradez.

« L’exercice auquel va se livrer la banque centrale américaine et son président est particulièrement délicat, entre pression politique d’un côté et situation économique de l’autre. Les marchés achètent les propos accommodants des membres de la Fed et de son président depuis janvier, une décision minimaliste suivie d’une conférence sans relief de Jerome Powell pourraient donc rapidement ressembler à un « sell the news » pour les marchés », poursuit-il.

A moins que Powell évoque déjà les éventuelles prochaines baisses et ce dès septembre. En l’absence de nouvelles dans les négociations commerciales sino-américaines, tracer des perspectives sera là aussi compliqué voire hasardeux. Selon Roberto Perli, économiste de Cornerstone Macro : « je parie que le communiqué laissera la porte ouverte à au moins une autre baisse de 25 point de base plus tard ».

« Je pense qu'il est exagéré de penser que cela est ou devrait être le début d'un cycle d'assouplissement, ce n'est tout simplement pas justifié », pense au contraire Ward McCarthy, économiste en chef de Jefferies.

Encore une fois, chaque mot du communiqué du comité de la Fed devra être soupesé avec beaucoup de soin…

Olivier CHICHEPORTICHE