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Pourquoi le successeur de Mario Draghi devrait être allemand

Angela Merkel, chancelière allemande

Angela Merkel, chancelière allemande - AFP

L’Espagnol Luis de Guindos est le seul candidat à la vice-présidence de la banque centrale européenne. Sauf surprise, il sera officiellement nommé d’ici fin mars. Et ce choix devrait favoriser la désignation d’un Allemand à la tête de l’institution. Ce nouveau couple pourrait durcir la politique monétaire de la BCE.

Un Allemand va-t-il occuper la présidence de la BCE? C’est de plus en plus probable. Depuis la création de l’institution en 1998, la première économie du continent n’a jamais placé un de ses ressortissants à ce poste. L’actuel titulaire, l’Italien Mario Draghi, quittera ses fonctions en octobre 2019 et Berlin est bien décidé à saisir l’occasion.

D’après la presse allemande, le gouvernement envisage de mettre en avant la candidature de Jens Weidmann, le patron de la Bundesbank (la banque centrale allemande, ndlr). La désignation du candidat fait l’objet de tractations politiques sensibles entre les 19 pays membres de la zone euro. Un premier événement joue en faveur de Berlin: la candidature à la vice-présidence de la BCE de Luis de Guindos.

Luis de Guindos soutenu par l’Allemagne et la France

Ministre de l'Économie dans son pays depuis la fin 2011, cet adepte de l'austérité budgetaire et de la libéralisation du marché du travail a été désigné lundi par ses pairs de la zone euro (Eurogroupe) comme unique candidat pour remplacer le Portugais Vitor Constâncio, dont le mandat se termine en mai. Le seul adversaire de Luis de Guindos, l’Irlandais Philip Lane, s’est retiré lundi peu avant la réunion des 19 ministres, malgré le soutien des députés européens. Un élu Vert a par exemple estimé que Luis de Guindos était une menace pour l’indépendance de la BCE. Ancien cadre de Lehman Brothers, l’Espagnol est un pur politicien et n’est pas docteur en économie.

Qu’importe, sa candidature avait déjà reçu le soutien de la France et de l’Allemagne. Pour mémoire, la chancelière Angela Merkel lui avait déjà apporté son soutien en 2015, lorsqu’il concourrait à la présidence de l’Eurogroupe. Manque de chance, le Néerlandais Jeroen Dijsselbloem lui avait été préféré. La vice-présidence de la BCE apparaît donc comme un (très beau) lot de consolation pour l’Espagnol.

L'Espagnol Luis de Guindos, candidat à la vice-présidence de la BCE.
L'Espagnol Luis de Guindos, candidat à la vice-présidence de la BCE. © John Thys / AFP

Jens Weidmann grand favori

La composition du directoire de la BCE doit répondre à plusieurs équilibres, notamment la nationalité de ses membres. Avec un vice-président originaire d’un pays du Sud du continent, les pays du Nord peuvent ainsi légitimement réclamer la présidence de l’institution. De ce point de vue, la désignation de Luis de Guindos "est un nouvel élément qui vient renforcer la candidature de Weidmann", relève l’économiste Daniel Gros, directeur du think tank CEPS, dans les colonnes du quotidien allemand Handelsblatt.

D’autant que Jens Weidmann était déjà le favori. D’après une enquête menée début février par l’agence Bloomberg auprès d’économistes, l’Allemand est de très loin le candidat le plus probable (avec un score de 84/100) pour prendre la tête de la BCE, loin devant le second, le gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau (26/100).

Jens Weidmann, président de la Bundesbank
Jens Weidmann, président de la Bundesbank © Odd Andersen / AFP

Vers une politique monétaire plus stricte?

Avec un vice-président issu de la droite conservatrice espagnole, tenant d'une politique économique libérale, et un président ex-gouverneur de la Bundesbank, la BCE pourrait adopter une politique monétaire plus rude. Ces dernières années, Mario Draghi a mis en place des mesures dites "accommodantes" pour stimuler l’économie, notamment en baissant les taux et en achetant plus de 2000 milliards d’euros de dettes d'État en particulier. Ces mesures ont fait l’objet de vives critiques en Allemagne et Jens Weidmann s’est souvent prononcé en faveur d’un durcissement de la politique menée par Francfort.

Francophone et diplômé de l’université d’Aix-Marseille, l’Allemand reste un "économiste très respecté et pragmatique", nuance l’économiste Frederik Ducrozet de Pictet Wealth Management, dans une note d’analyse. Malgré ses divergences avec Mario Draghi, Jens Weidmann "s’est assuré de préserver la cohésion au sein du Conseil des gouverneurs (l’instance de la BCE qui fixe la politique monétaire de la zone euro, ndlr)".

Dirigée par l’Allemand, la BCE serait plus dure mais "la continuité et le gradualisme prévaudront probablement sous l’influence de ses collègues et des équipes" d’économistes à Francfort.

Tout n’est pas joué

La route vers la présidence de l’institution monétaire ne sera toutefois pas un long fleuve tranquille. L’Allemagne a déjà un ressortissant au directoire de la BCE, en la personne de Sabine Lautenschläger. Or, une règle tacite empêche un pays de la zone euro d'avoir deux ressortissants dans cet organe exécutif. Berlin a donc prévu de la nommer patronne de la Bundesbank en remplacement de Jens Weidmann, d’après le Handelsblatt.

En revanche, les Européens doivent aussi respecter un minimum de parité. Sur ses six membres, le directoire de la BCE ne compte qu’une seule femme. Il n’est pas certain qu'un départ de Sabine Lautenschläger soit bien vu. Ce serait en revanche l'occasion côté français de reprendre la main, d'autant que le mandat du représentant tricolore, Benoît Cœuré, se terminera peu après celui de Mario Draghi. La présidente du FMI, Christine Lagarde et l'éphémère ministre Modem du gouvernement Philippe, Sylvie Goulard, aujourd'hui membre de la direction de la Banque de France, pourraient en profiter.

Enfin, les élections européennes se dérouleront, elles aussi, en 2019. Alors que l'Union européenne est souvent critiquée par son opacité, l'opinion publique pourrait avoir son mot à dire. Au jeu des chaises musicales de la BCE, la musique n'est pas prête de s'arrêter.

Jean-Christophe Catalon