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Bourse : les marchés ont-ils touché le fond ?

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Les marchés actions sont à la recherche de nouvelles échelles de valorisation, sans parvenir à les trouver.

« Ça capitule là, non ? » Alain Pitous, le directeur général associé de Talence Gestion la cherche depuis des semaines cette « séance de capitulation » qui marquerait enfin le point bas sur lequel repartir en 2019. Il faut pour ça du volume et un sentiment de panique, or il n’est pas du tout sûr qu’ils étaient au menu de ces dernières séances boursières.

Le technique contre le fondamental, ce sont les deux camps qui s’affrontent aujourd’hui. Le technique a des arguments forts pour dire que les mouvements brutaux actuels ne sont pas appuyés sur la réalité des chiffres de production des entreprises et les chiffres de croissance de l’économie mondiale, le fondamental répond que l'économie entre dans un cycle de décroissance que personne ne maîtrise. 

Tout part de Wall Street

 « Tout part de Wall Street » explique Grégoire Favet, à l’écoute des marchés depuis 10 ans sur BFMbusiness, « Wall Street a besoin de normaliser, après sans doute une phase d’excès de valorisations accumulées au cours des années d’injection de liquidité des banques centrales ». C’est la première clé pour comprendre, celle que met en avant Donald Trump lui-même qui fustige « the shrinking of the Fed portfolio », la réduction du bilan de la Fed. Depuis la crise de 2008, la réserve fédérale a injecté une masse considérable d’argent dans le système économique mondial, elle est en train de le reprendre petit à petit au rythme de 50 milliards de dollars tous les mois. Mouvement parfaitement légitime au regard de la doctrine économique puisque l’économie américaine est en croissance soutenue, avec un taux de chômage jamais vu depuis quarante ans et des salaires qui commencent à gonfler dans certains secteurs. Mais un mouvement quasi parfaitement corrélé avec les secousses de marché : au 20 décembre, selon les données Lipper Leaders (données analytiques) les investisseurs avaient retiré l’équivalent de 34,6 milliards de dollars des fonds actions sur trois semaines, et ce chiffre augmente semaine après semaine.

Or cette politique ne va pas changer. Jérome Powell a même indiqué la semaine dernière aux marchés qu’elle allait continuer de manière « automatique », et cette correction profonde a bien commencé le 3 octobre sur un discours du patron de la réserve fédérale très positif sur l'économie américaine, tellement positif qu'il n'excluait pas d'accélérer la remontée des taux d'intérêts au-dessus d'un taux jugé « neutre » pour l'économie pour aller contrer un éventuel emballement de l'inflation.

Une sanction généralisée

La tech américaine est la première victime de ces retraits massifs de capitaux. Le Nasdaq en est maintenant à une baisse de 22% sur trois mois, de 10% depuis le début de l’année, et on ne compte plus les milliers de milliards de capitalisation boursière évaporée. Mais le mouvement est évidemment beaucoup plus large : les 11 grands indices sectoriels du S&P-500 (l’indice large de la bourse Wall Street) ont tous terminé dans le rouge, ce qui signifie qu'ils sont également en territoire négatif sur l'ensemble de l'année. Les trois quarts environ des valeurs composant le S&P-500 ont perdu plus de 20% de valorisation par rapport à leur plus haut d’il y a deux mois environ. Pour le troisième jour d'affilée, plus de 2.600 valeurs du New York Stock Exchange et du Nasdaq ont touché des plus bas de 52 semaines, attestant de la profondeur du courant vendeur, qui n'avait pas eu cette intensité depuis 2008. « Tout est empirique aujourd’hui » explique Grégoire Favet, « les banques centrales ont fait gonfler leur bilan, on fait gonfler la valeur des actifs depuis des années, ça a atteint un pic en début d’année, maintenant qu’on est en période de reflux, il faut bien comprendre que plus personne ne sait à quel prix acheter. Il va falloir reconstruire de nouvelles grilles de calcul, et ça prend du temps »

Il faut ajouter les débouclages massifs de positions de hedge funds pris à revers, et vous avez un scénario qui est bien celui d’une tempête comme on en croise rarement, mais qui reste celui d’une tempête technique, ce qui sous-entend un « retour à la normale » à brève échéance : «nous ne sommes pas en crise » affirme par exemple le gérant Michael Purves (Weeden & Co) cité par Reuters, «par rapport à 2008, les données économiques n'ont absolument rien à voir. Nous avons la stabilité bancaire et un marché certes volatile mais qui fonctionne. Nous avons eu un mois de décembre horrible mais il ne faut rien y voir de systémique ».

Dans ce cadre là, l’initiative prise par le secrétaire au trésor Steven Mnuchin d’appeler les patrons des six premières banques américaines pour s’assurer de leur solidité a été considéré comme une geste inapproprié, « inattendu et superflu » disaient les analystes de Wall Street, propre à jeter encore plus de désarroi sur la place.

La fed « seul problème qu’a notre économie »

Steven Mnuchin, ancien de Goldman Sachs, sait parfaitement que les canaux de diffusion d’une crise financière vers une crise économique sont nombreux. Et c’est peut-être parce qu’il n’est pas persuadé de la totale pertinence de ce scénario technique qu’il décide de prendre les devants. « La liste des risques est longue comme le bras, si vous commencez à les mettre tous dans le même panier vous avez quand même de solides raisons de vous mettre à l’abri » commente Grégoire Favet. On est encore entre 2,5 et 3% de croissance aux Etats-Unis, mais chacun sait que cette croissance a été artificiellement soutenue par les baisses d’impôts de Donald Trump et qu’il aura beaucoup plus de mal à en obtenir de nouvelles. Il y a eu d’ailleurs, là aussi, un facteur de soutien artificiel pour les marchés avec un programme de rachat par les entreprises de leurs propres actions de 203,8 milliards de dollars au troisième trimestre 2018 (Wolfstreet).

Et c’est là que les marchés s’inquiètent des effets de leur propre baisse. C’est bien le risque de marché qui peut déteindre sur l’économie réelle, par le biais du crédit par exemple, et provoquer le ralentissement économique. Sorte de boucle infernale, où les marchés s’inventent une peur de récession et finissent par la matérialiser. « Les acteurs économiques doivent aussi regarder la vérité en face » tempère Wilfried Galland, directeur stratégiste de Montpensier Finances, « la crise actuelle est une crise de l’endettement qui s’est envolé, les banques centrales ont stabilisé le système et permis au crédit de repartir, mais l’utilisation de ce crédit n’a pas été efficace »

Donald Trump n’aide évidemment pas à stabiliser les angoisses : « Le marché est préoccupé par ce qui se passe à Washington au vu de la grosse correction du marché; il semble qu'on soit en plein désarroi, en pleine débandade. Il n'y a pas une seule voix, ce qui est décourageant pour qui que ce soit dans le marché», observe Vinay Pande (UBS Global Wealth Management), cité par l’agence Reuters. Bloomberg croit savoir que Trump a évoqué l’idée de « virer Jérome Powell », ce que dément formellement Steven Mnuchin, mais le même Trump en a rajouté « le seul problème qu'a notre économie, c'est la Fed. Elle ne sent pas le marché. La Fed est comme un golfeur puissant qui n'arrive pas à marquer parce qu'il n'a aucun toucher, il ne sait pas faire un putt ! » (« the fed is like a powerful golfer who can’t score because he has no touch – he can’t putt ! »)

L'Europe prise en étau

Dans ce cadre-là, l’Europe est prise en étau. Elle ne profite pas à plein de la hausse américaine, elle répercute les baisses parce qu’elle n’inspire toujours pas confiance. Séquence italienne, séquence française, Brexit introuvable, guerre commerciale sino-américaine dont l’industrie allemande est la première victime (le DAX allemand est en recul de 17,6% sur un an, contre 12,9% pour notre CAC 40), rien qui puisse inciter les flux mondiaux d’investissement à se tourner vers l’Europe pour aller chercher les rendements perdus aux US. Eléments économiques, politiques, stratégiques, tech, toutes les classes d’actifs ont été touchées par cette année noire, actions, dette, matières premières. Sans que l’on sache encore s’il ne s’agit que d’une purge de survalorisation, ou le début d’une crise plus profonde.