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Brésil: Le « traitement de choc » économique

Le ministre brésilien de l'économie, Paolo Guedes

Le ministre brésilien de l'économie, Paolo Guedes - Sergio LIMA / AFP

Jair Bolsonaro a donné les pleins pouvoirs à son « super ministre » de l'économie

L’économie est avec la sécurité le cœur du programme du président de la République au Brésil. Le ministre de l'économie est un homme de 69 ans, Paulo Guedes, ancien banquier, en partie formé aux Etats-Unis par la très libérale école de Chicago. Le président le surnomme tantôt son « mari », tantôt son « couteau suisse » et confesse volontiers « ne rien connaître à l’économie », autant dire que Guedes peut avoir le sentiment d'avoir les mains libres. Le président lui a octroyé un portefeuille aux dimensions titanesques : l’économie, les finances, la planification, l’industrie et le commerce extérieur. A tel point que M. Guedes est aujourd’hui considéré comme un président bis. Il promet un traitement de choc sans précédent pour relancer le Brésil, « il ne fait aucun doute qu'avec notre gouvernement le Brésil va changer de direction » a confirmé le président sur twitter il y a 10 jours

La dette est le premier sujet d’urgence, elle représente 84% du PIB mais semble hors contrôle au-delà des 5.000 milliards de reals (plus de 1000 milliards€). Guedes veut la privatisation de 150 entreprises publiques pour faire rentrer « 1000 milliards de reals » dans les caisses de l’état, avec une réduction forte du déficit budgétaire (très exactement, établissement d’un budget « base zéro », c’est-à-dire plus de déficit si l’on exclue le service de la dette, et ce dès 2020) et une réduction du périmètre de l’Etat. Réforme des retraites, c'est le premier chantier prioritaire, et indépendance totale de la banque centrale: pour Bolsonaro c’est une révolution, toute son action politique jusqu’à présent, notamment en tant que parlementaire depuis 27 ans, allant dans le sens d’un renforcement économique du pouvoir de l’état, en lien avec le renforcement des mesures de sécurité publiques. D'ailleurs dans ses premières déclarations le président a semblé douter de l'urgence de la réforme des retraites. Le choc avec la réalité du programme de son « super ministre » promet d'être rude

Tout pour l'agro-business

Deuxième priorité : la production agricole, principale richesse du pays. Eleveurs bovins, planteurs de soja et de canne à sucre pouvaient voir leurs projets de développement freinés par la volonté du précédent pouvoir de respecter les accords de Paris sur l’environnement, Jair Bolsonaro est très clair dans sa volonté de se délier de ces engagements, le ministère de l’environnement devrait être d’ailleurs rattaché au ministère de l’agriculture, « nous devons en finir avec le pouvoir de l’IBAMA » (ministère l’environnement) lance-t-il régulièrement.

De la même façon, tout ce qui a trait au respect des populations indigènes amazoniennes devrait passer au second plan : le soja constitue à lui seul près de la moitié de la production agricole du Brésil et 30% de sa culture est concentré dans l’état du Mato Grosso en Amazonie. Or, depuis le déclenchement de la guerre commerciale, le soja brésilien remplace le soja américain vers la Chine, la demande s’envole. Ce qui nourrit d’ailleurs une des contradictions du candidat, parfois inquiet du développement du libre-échange : « je ne vais pas laisser le Brésil entre les mains des chinois » lançait-il par exemple lors d’une émission de télévision.

De même pour le bœuf, avec un cheptel de plus de 215 millions de têtes, le Brésil est le deuxième producteur mondial. Là encore les principales zones de croissance se trouvent en Amazonie : « si je devais assumer la présidence, les indiens (d’Amazonie) n’auraient plus un centimètre de terre » lançait régulièrement Jair Bolsonaro dans ses meetings de campagne présidentielle. Il a déjà prévenu qu’il ne tolérerait aucune atteinte à la souveraineté du Brésil, alors que des organisations écologiques demandent un droit de regard sur le rythme de déforestation du « poumon de la planète ». Très actif sur twitter depuis son élection, le président brésilien a enfin promis des mesures rapides pour les 900.000 pêcheurs brésiliens, sans encore en préciser le contenu, et un enseignement « libéré de ses déchets marxistes »

Préserver la solvabilité, augmenter la productivité

Enfin c’est la promesse de lutter contre la corruption qui a fait sa force électorale. La compagnie nationale pétrolière Petrobras a été profondément déstabilisée par des scandales interminables qui ont touché pratiquement tous les partis. Une remontée des prix du pétrole permettrait l’exploitation de gisements sous-marins considérables, sans doute les plus importants du monde (l’un d’eux est d’ailleurs surnommé « Lula », du nom de l’ancien président brésilien, aujourd’hui emprisonné justement pour corruption). Reste que le sort de Petrobras pourrait être une autre source de désaccord au sommet du pouvoir, Jair Bolsonaro semblant s’opposer à sa privatisation.

« Préserver la solvabilité du pays, augmenter la productivité » voilà la clé de la réflexion de Paulo Guedes, parfois débordé néanmoins par les différentes personnalités qui entourent Jair Bolsonaro. Le général Hamilton Mourão notamment, le vice-président, qui propose la suppression pure et simple du 13ème mois dans toutes les entreprises du pays. Certaines grandes décisions fiscales restent aussi à arbitrer. Paulo Guedes a évoqué une taxe unique de 20% sur les revenus, il a été désavoué par le candidat.

« Plus de Brésil et moins de Brasilia » l’un des autres slogans récurrents de la campagne de Bolsonaro, signifie clairement la fin des règles technocratiques qui freinent le business et des considérations sociales et sociétales en matière de développement économique. Mais les tensions restent très vives au sein de l’équipe qui entoure le candidat et les déclarations contradictoires se succèdent, au point que beaucoup d’observateurs pensent que Paulo Guedes ne tiendra pas le choc face à l’aile « militaire » très puissante dans le nouveau gouvernement. Début octobre Standard and Poor’s s’arrêtait d’ailleurs davantage sur les risques d’exécution, que sur le programme en tant que tel « Bolsonaro est celui avec qui le risque d’incohérence ou de retard dans l’exécution des actions à mener après l’élection est le plus élevé » écrivait l’agence de notation.