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Ce que coûterait vraiment à la France une déconfiture de la Grèce

En théorie, la France est exposée à hauteur de 68 milliards d'euros à la Grèce. Dans les faits, elle n'aura jamais à décaisser une telle somme.

En théorie, la France est exposée à hauteur de 68 milliards d'euros à la Grèce. Dans les faits, elle n'aura jamais à décaisser une telle somme. - LOUISA GOULIAMAKI - AFP

Le montant total de l'exposition de la France à la dette grecque -68 milliards d'euros- a de quoi faire frémir. Mais en réalité, l'Etat n'aura jamais à verser une telle somme. Explications d'Eric Dor, directeur des études économiques à l’IESEG School of Management.

68,5 milliards d'euros. C'est, en principe, la somme colossale que la France devrait payer pour la Grèce si cette dernière faisait défaut sur l'intégralité de sa dette, et devait quitter l'euro. Un scénario que l'on ne peut pas exclure maintenant que les créanciers ont refusé de prolonger la plan d'aide à la Grèce.

Tout ici relève de la théorie. Dans les faits, cette exposition des institutions françaises est majoritairement indirecte. Si l'Hexagone devait réellement décaisser ne serait-ce qu'une partie de ce montant, il n'aurait pas à le faire avant de nombreuses années. Et d'ici-là, les règles du jeu auraient le temps de changer. Décryptage d'Eric Dor, directeur des études économiques à l'Ieseg School of Management.

A quel titre la France pourrait devoir payer pour la Grèce?

Les pouvoirs publics français sont exposés à trois niveaux. Le premier: dans le cadre du premier programme d'aide à la Grèce, activé en 2010. Aucun instrument communautaire de solidarité financière n'existait à l'époque. La France, comme chacun de ses partenaires, a donc fait des prêts directs à Athènes.

Deuxième niveau: En 2012, l'Europe créé le Fonds européen de stabilité financière, le FESF. C'est lui qui emprunte sur les marchés pour prêter aux pays en difficulté. Les Etats-membres garantissent conjointement les emprunts du FESF afin que celui-ci ait la confiance des marchés. Une garantie à hauteur de la puissance économique de chaque pays.

Le troisième niveau d'exposition des finances publiques française est indirect. La France est engagée à travers l'eurosystème, c'est-à-dire la Banque centrale européenne et les banques nationales des différents pays membres. La BCE a une énorme créance sur la Grèce, de plus de 125 milliards d'euros. Si la Grèce sortait de l'euro et ne remboursait pas l'institution de Francfort, les pertes de cette dernière seraient partagées entre toutes les banques nationales de la zone euro. Celles-ci détiennent en effet chacune une part du capital de la BCE, en proportion du poids économique de leur pays. Pour absorber l'éventuelle faramineuse moins-value provoquée par un hypothétique défaut grec, elle devait être recapitalisée. Elle solliciterait donc les banques centrales nationales. Christian Noyer recevrait la facture, et irait voir le ministère des Finances avec.

Sur quels montants la France est-elle engagée?

La France a prêté 11,4 milliards directement à la Grèce. Un montant qu'elle a dû elle-même puiser sur les marchés. Elle paye donc déjà des intérêts sur ce supplément de dette, mais touche également des intérêts versés par Athènes. Sur les prêts consentis à la Grèce par le biais du FESF, la France est engagée à hauteur de 31 milliards d'euros. Enfin, Paris est solidaire de l'exorbitante créance détenue par la BCE, pour un montant de 26 milliards d'euros.

En tout, en admettant que la Grèce fasse défaut sur l'intégralité de sa dette, qu'elle sorte de la zone euro, et que les règles ne changent pas en cours de route, elle pourrait se voir réclamer plus de 68 milliards d'euros. Un scénario hautement improbable, qui supposerait qu'Athènes s'obstine à ne rien rembourser pour les dizaines d'années à venir. Sachant que les défauts souverains atteignent rarement 100% du total dû. Les créanciers finissent toujours par récupérer une partie de leur mise. Même l'Argentine a accepté de régler une part de la sienne, dans le cadre des accords du Club de Paris.

Comment se passerait concrètement les remboursements de la France pour la Grèce?

Si la France devait effectivement verser ces 68 milliards d'euros, cette somme viendrait alourdir les plus de 2.000 milliards d'euros de dette publique française. Les intérêts qu'elle paie augmenteraient en proportion. Monsieur Sapin n'enverrait pas de facture à chaque foyer fiscal, mais Bercy pourrait être obligé, à terme, soit d'augmenter les impôts, soit de réduire ses dépenses. Reste que l'Etat français n'aurait rien à décaisser du jour au lendemain, quand bien même la Grèce arrêterait de rembourser ses créanciers dès cet été. Tout arriverait petit morceaux par petit morceaux, échéance par échéance.

Par exemple, la Grèce n'est censée commencer à rembourser les prêts directs consentis par la France qu'en 2020. Si elle se trouve en faillite, l'Hexagone ne commencerait à engranger des pertes que dans cinq ans. Elles prendront la forme d’augmentations définitives de la dette nette sur laquelle il faudra payer des intérêts continûment.

Paris peut encore plus dormir sur ses deux oreilles concernant les sommes versées par le FESF à Athènes. Parce que cet argent, la France ne l'a pas emprunté elle-même, elle le garantit seulement. Donc jusqu'à présent, il ne coûte rien en intérêt. En outre, la Grèce ne devra s'acquitter de son premier remboursement au Fonds européen qu'en… 2023. Sachant que la maturité de ces prêts va jusqu'à 50 ans. Donc si la Grèce n'en rembourse rien, la France devra bien payer 31 milliards d'euros, mais elle aura jusqu'à 2073 pour le faire. L'Etat devra emprunter de quoi fournir les garanties au gré des échéances. Ce sera une augmentation progressive de la dette nette sur laquelle il faudra payer des intérêts.

En ce qui concerne l’exposition de la BCE à la Grèce, on pourrait décider entre temps de la garder au bilan, afin de rendre la situation viable pour les Etats-membres de la zone euro.

La France risque-t-elle de devoir payer quoi que ce soit cette année?

Le scénario le plus plausible, à court terme, serait qu'Athènes ne soit pas en mesure de régler à la BCE les 6,7 milliards d'euros qu'elle doit lui verser en deux fois cet été. En théorie, Mario Draghi pourrait demander 1,4 milliard d'euros à la Banque de France à ce titre. Mais elle ne le ferait que si ce trou dans ses caisses plombait ses résultats, et qu'elle avait alors besoin d'être recapitalisée. Or son bilan atteignait 185 milliards d’euros en 2014. Elle devrait ainsi pouvoir absorber le choc sans problème en 2015. Pour la France, la facture reviendra en réalité à un manque à gagner: la banque de France touchera moins de "dividendes" de la BCE au titre de 2015, et reversera donc moins à l'Etat. 

Nina Godart
https://twitter.com/ninagodart Nina Godart Journaliste BFM Éco