BFM Business
International

Ces méthodes qui ont sorti l'Islande de la crise

Le gouvernement islandais a dû recapitaliser sa banque centrale pour lui permettre de prêter aux banques à l'agonie contre des garanties sans valeur.

Le gouvernement islandais a dû recapitaliser sa banque centrale pour lui permettre de prêter aux banques à l'agonie contre des garanties sans valeur. - Haukur Herbertsson - Flickr - CC

Sept ans après avoir sollicité son aide, Reykjavik a totalement remboursé le Fonds monétaire international. Le pays s'est sorti de l'ornière via un procédé radicalement différent de celui des pays de l'Union Européenne.

L'Islande a complètement remboursé le FMI. Rubis sur l'ongle, et même avec un peu d'avance, a indiqué l'institution qui avait aidé financièrement le pays au plus fort de la crise en 2008. Son dernier versement, de 332 millions de dollars, devait être effectué au plus tard fin août 2016. Sept ans après la violente crise financière qui l'a ébranlée, l'Islande n'a donc plus de compte à rendre au Fonds monétaire international, et la Banque centrale du pays s'en est félicitée, y voyant la preuve de la "réussite du programme" qui devait sortir l'île de la récession.

Le pays avait été parmi les premiers d'Europe de l'Ouest à demander de l'aide à l'institution dirigée par Christine Lagarde au moment où le monde financier occidental vacillait. Les Islandais ont eux aussi dû s'infliger des cures d'austérité, mais selon une méthode radicalement différente de celle employée par la Grèce, l'Espagne ou le Portugal. Avec un certain succès, dont attestent la croissance revenue et le retour du pays sur le marché de la dette.

Des procédés disséqués par l'IESEG School of Management et son directeur des études économiques Eric Dor dans un rapport paru lundi. Voici les recettes -miracle?- de Reykjavik.

> Une protection totale de l'argent des Islandais

En 2008, alors que son secteur bancaire hypertrophié s'écroule, l'Islande apporte sa garantie illimitée des dépôts domestiques. En revanche, les obligations émises par les banques et autres types d'emprunts ne sont pas couverts. Un procédé radicalement différent de celui choisi par l'Irlande, par exemple, où les dettes des grandes banques ont été garanties par l'Etat à hauteur de 440 milliards d'euros, soit 235% de son PIB.

Le gouvernement islandais oblige en outre les banques à effacer "une partie de la dette hypothécaire des ménages devenus surendettés". Concrètement, ces foyers n'avaient plus à rembourser qu'un montant équivalent, au maximum, à 110% de la valeur de leur bien immobilier. Le reste dû est purement et simplement annulé. Une somme conséquente à l'heure où les taux d'intérêt de ces prêts explosent. Reykjavik met également en place un fonds qui aide les surendettés à rembourser leurs créances, fonds qui emprunte avec la garantie du gouvernement.

Pour autant, le pouvoir d'achat des Islandais s'effondre. En cause: une hausse des prix qui atteint un pic de 17%, et des dépenses publiques pour les retraites et les soins de santé rognées.

> Une mise sous tutelle des banques

Pas question de laisser les banques faire faillite, même pas pour l'exemple à la Lehman Brothers. Mais pas question non plus de les abreuver de liquidités et de les laisser gérer la suite. L'Etat place les établissements financiers sous sa tutelle directe, une mesure votée par la majorité et l'opposition réunies. Il a le droit de les fusionner, de les mettre en faillite, etc.

Trois banques -Landsbanki, Kaupthing et Glitnir- sont nationalisées à l'automne 2008. Elles sont encore aujourd'hui en liquidation progressive, ce qui a évité de les laisser brutalement faire faillite. De nouvelles structures leur ont succédé, reprenant à leur passif les dépôts des Islandais, et à leur actif uniquement des prêts jugés peu risqués et des emprunts interbancaires.

> Davantage d'endettement public

Le gouvernement a recapitalisé ces nouvelles banques nées des anciennes moribondes à hauteur de 30% de son PIB, augmentant d'autant son endettement. Reykjavik a aussi dû réinjecter des fonds dans la Banque centrale du pays, offrir ou prêter de nouvelles garanties aux banques, recapitaliser d'autres banques à l'agonie. Ces apports de capitaux, ajoutés à l'envolée des dépenses sociales, a plombé la dette publique islandaise, qui est passée de 28,5% du PIB en 2008 à plus de 100% en 2011.

Ces dépenses devraient en partie être remboursées à l'Etat islandais. Les banques doivent notamment lui rendre une partie de l'aide du gouvernement. Mais elles ne seront capables d'en reverser qu'une partie, et les pertes potentielles pour les caisses publiques pourraient atteindre 20 à 25% du PIB. Quant au fonds qui aide les ménages surendettés à rembourser leurs prêts hypothécaires, il pourrait coûter à l'Islande près de la moitié de son PIB.

> Des entreprises protégées par les banques

Les entreprises islandaises, très endettées, et confrontées à la dévaluation de la monnaie, ont vu les taux d'intérêt de leurs emprunts s'envoler. Plutôt que de les liquider, l'Etat les a placées sous le contrôle de leurs banques créancières, qui ont joué le rôle de "holding". C'est-à-dire qu'elles ont considéré les dettes de ces entreprises comme une participation à leur capital. Elles ont toléré les arriérés de paiements, et "ont participé à administrer ces entreprises en attendant des jours meilleurs, ce qui a permis d'en sauver un grand nombre", explique Eric Dor. "Ce qui explique partiellement que les restructurations d’entreprises ont été moins brutales et rapides que dans d’autres pays européens en détresse", continue-t-il.

> Une dévaluation massive de la monnaie

La Banque centrale islandaise a fortement dévalué la couronne qui a chuté de plus de moitié face à l'euro et au dollar en moins d'un an (entre l'automne 2007 et l'été 2008). Une manœuvre qui a permis à la consommation intérieure de l'île de se maintenir à un niveau largement supérieur à celle par exemple de l'Espagne, du Portugal, de la Grèce ou de l'Irlande, où elle était plombée par la force de l'euro.

> Un exemple à suivre ?

"L’Islande a attiré l’attention des observateurs parce qu’après la crise, l’activité économique et l’emploi s’y sont redressés beaucoup mieux que dans les autres pays européens en détresse", souligne Eric Dor. A prix constant, le PIB a retrouvé son niveau d'avant crise, et l'a même dépassé. Il en va de même avec le niveau d'emploi, qui s'est redressé bien mieux que dans les autres pays européens en crise. Les jeunes Islandais ont également moins fui le pays -ou sont revenus entre temps- que les jeunes Grecs, Espagnols, Portugais et Irlandais.

Tout n'est pas rose néanmoins: l'Etat reste très endetté, et le gouvernement doit encore trouver une façon de lever le contrôle des capitaux qu'il a instauré dans le pays, tout en respectant les traités internationaux dont l'Islande est signataire. Avec le risque de faire face à une fuite massive de capitaux qui ferait plonger encore davantage la couronne islandaise.

N.G.