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CETA: l'Europe et le Canada ont enfin signé leur traité

Donald Tusk, Justin Trudeau et Jean-Claude Junker dimanche à Bruxelles

Donald Tusk, Justin Trudeau et Jean-Claude Junker dimanche à Bruxelles - Belga Nicolas Maeterlink

Signé ce dimanche, le traité commercial entre l'Europe et le Canada doit encore être approuvé par le parlement européen, ainsi que par les parlements nationaux.

L'Union Européenne et le Canada ont signé ce dimanche 30 octobre à 13h GMT à Bruxelles leur traité de libre-échange (CETA). Initialement fixé à 9h30 GMT, pour une signature officielle à 11h GMT, le sommet entre l'UE et le Canada a été repoussé d'une heure et demie en raison du retard de Justin Trudeau, dont l'avion a rencontré un problème technique au départ d'Ottawa. Finalement, le Premier ministre canadien est arrivé à Bruxelles peu après 11h GMT.

A l'extérieur du bâtiment, quelques dizaines de manifestants scandaient des slogans hostiles au CETA, et brandissaient des pancartes - "Citoyens avant multinationales" -, au son de tambours. Ils ont aussi lancé de la peinture rouge.

Junker critique les Belges

Lors de la conférence de presse clôturant la cérémonie de signature, Jean-Claude Juncker a souhaité que "la Belgique réfléchisse à son modèle de fonctionnement lorsqu'il s'agit des relations internationales"."Je sais l'importance du débat intrabelge et l'incompréhension que le rôle de la Wallonie a pu jouer dans d'autres parties de l'Europe", a relevé dimanche le président de la Commission européenne. "L'interlocuteur de la Commission n'est pas la région wallonne, c'est le gouvernement fédéral (...) Nous avons fait exception à la règle", a-t-il souligné. "Je m'inscris en faux contre tous les procès d'intention: jamais au grand jamais (...) nous n'avons menacé la Wallonie de conséquences désastreuses. Nous étions très engagés aux côtés de la Wallonie", a-t-il ajouté.

"J'étais quelquefois vexé qu'on ait pu penser, en Europe, que nous sacrifierions sur l'autel de cet accord les droits des travailleurs", a observé M. Juncker avec un brin d'émotion dans la voix. "Je trouve impertinent qu'on s'imagine que les principaux représentants du monde démocratique seraient en train de menacer la démocratie", a-t-il argué à propos de cette énième crise de l'UE, déjà ébranlée par le Brexit, la crise des migrants et le terrorisme.

"Le libre échange dans l'intérêt des citoyens"

"On avait planifié de signer cet accord y a trois jours, on le signe aujourd'hui", a commenté le Premier ministre canadien Justin Trudeau. "Ca ne fait pas une énorme différence dans l'impact économique que ça va avoir pendant des décennies, de façon positive, sur tous nos citoyens", s'est félicité M. Trudeau.

"Il nous faut être capables de convaincre nos citoyens que le libre échange est dans leur intérêt, et pas seulement dans celui des grosses entreprises", a plaidé à ses côtés le président du Conseil de l'Union européenne, Donald Tusk.

Résistance wallone

Cette énième crise européenne est partie de Belgique, plus précisément d'une de ses régions, la Wallonie francophone (3,6 millions d'habitants), dont le Parlement a refusé d'approuver le CETA, comme l'y autorise la Constitution belge. Faute de consensus belge, il n'était pas possible d'avoir un accord européen. 

La crédibilité de l'Union européenne a été entamée. Si "l'Europe est incapable de signer une entente commerciale progressiste avec un pays comme le Canada, avec qui l'Europe pense-t-elle faire affaires dans les années à venir?", avait tancé Justin Trudeau.

Tribunal privé

Devenus porte-voix des opposants au CETA, les Wallons redoutaient les conséquences du traité sur leur agriculture. Ils s'inquiétaient surtout de la possibilité laissée à une multinationale d'attaquer un Etat qui adopterait une politique publique contraire à ses intérêts.

Un mécanisme qui a déjà permis à Philip Morris d'attaquer l'Uruguay pour sa politique anti-tabac ou au géant minier Oceanagold de poursuivre le Salvador pour lui avoir refusé un permis d'exploitation pour raisons environnementales.

Le tribunal permanent créé par le CETA sera composé de 15 juges professionnels nommés par l'UE et le Canada. Toutes les auditions seront publiques et il sera possible de faire appel. "Une sorte de Cour publique des investissements qui ouvre la voie à une Cour internationale des investissements", selon un négociateur européen.

Les ONG craignaient que ces "pseudo-juges" soient des avocats d'affaires liés à des cabinets privés.

Application partielle

La lenteur des "concertations" a entraîné l'annulation d'un premier sommet avec le Canada prévu jeudi à Bruxelles.

L'UE, elle, a fait profil bas: pas de déclaration, pas un tweet qui aurait risqué de perturber ces laborieuses tractations belgo-belges. "Nous respectons ce processus démocratique", ont répété à l'envi ses porte-parole.

L'accord de compromis belge est finalement tombé jeudi à la mi-journée, quelques pages, qui seront amendées au traité. Un "CETA corrigé (...) plus juste que l'ancien CETA", s'est targué le chef du gouvernement wallon, le socialiste Paul Magnette.

Pas de chamboulement, en réalité: des déclarations réitérant des dispositions déjà incluses dans le traité, des avancées sur le mode de nomination des juges du tribunal d'arbitrage, et l'annonce par la Belgique qu'elle demandera à la Cour de justice de l'UE (CJUE) de vérifier la conformité de ce tribunal avec le droit européen.

"Rien n'est simple en Belgique, mais peu de choses sont impossibles", a résumé samedi avec ironie le ministre belge des Affaires étrangères, Didier Reynders, soulagé.

Un traité commercial déjà rejeté en 2012

Sitôt l'accord "intrabelge" conclu, l'UE a décidé de battre le fer tant qu'il est chaud. Il ne lui a fallu que quelques heures vendredi pour obtenir le feu vert des 27 autres Etats membres, puis décider dans la foulée d'organiser un nouveau sommet dès dimanche.

Après la cérémonie de signature, le traité devra être ratifié par les Parlements européen et canadien avant d'entrer en application partielle et provisoire, essentiellement sur les dispositions qui relèvent de la compétence exclusive de l'UE. Le vote par les députés européens n'est pas acquis: en 2012, ils avaient déjà rejeté un traité commercial de lutte contre la contrefaçon, connu sur le nom d'Acta (Anti-Counterfeiting Trade Agreement).

L'UE fera ensuite face à une autre montagne: sa nécessaire ratification par les différents Parlements nationaux et régionaux des pays de l'UE afin qu'il devienne définitif. Une tâche qui, à la lumière du psychodrame belge, ne s'annonce pas facile et pourrait prendre des années.

La campagne de promotion a déjà débuté: le CETA est "un accord moderne et progressiste, ouvrant la porte à de nouvelles opportunités, tout en protégeant les intérêts importants", a plaidé Robert Fico, le Premier ministre slovaque (dont le pays assure la présidence tournante de l'UE)."En outre, il a le potentiel de définir la voie à suivre pour les futurs accords commerciaux", a-t-il relevé, alors qu'un autre accord transatlantique, plus ambitieux mais encore plus contesté, le TTIP (ou Tafta), est négocié avec les Etats-Unis. Un autre casse-tête...

Le CETA, c'est quoi?

Négocié depuis sept ans, le CETA, un épais document de plus de 1.600 pages, supprimera plus de 99% des droits de douane entre l'UE et le Canada, sur presque tous les produits. Le montant des droits de douanes que le Canada supprimerait pour les produits originaires de l'UE s'élève à 500 millions d'euros par an, affirme Bruxelles. Parmi les exceptions, certains produits agricoles, comme les viandes bovines et porcines, dans le sens Canada-UE, toujours soumises à des quotas. L'accord fournit aussi une protection supplémentaire à 143 origines géographiques spécifiques (AOC), dont 42 françaises, comme le "Roquefort", le "Saint-Nectaire" ou les "Pruneaux d'Agen". Grâce au CETA, les entreprises européennes auront désormais accès aux marchés publics canadiens, y compris ceux des villes et des provinces qui gèrent une part importante des dépenses publiques. Une véritable avancée pour les Européens qui avaient, eux, déjà donné un large accès à leur marché aux compagnies canadiennes. L'accord, qui concerne plus de 500 millions d'Européens et 35 millions de Canadiens, ne modifiera pas les règles européennes sur la sécurité alimentaire ou la protection de l'environnement. Il vise au contraire à améliorer la coopération entre les organismes européen et canadien sur ces normes. Les produits canadiens ne pourront donc être importés dans l'Union que s'ils respectent la réglementation de l'UE et le boeuf aux hormones ne sera pas autorisé.

J. H. avec AFP