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Combattre la fraude fiscale, l'impossible défi de Tsipras

Les parlementaires grecs sont suspectés d'encourager les pratiques de fraudes fiscales

Les parlementaires grecs sont suspectés d'encourager les pratiques de fraudes fiscales - Aris Messinis - AFP

Qui est en partie à l'origine de milliards d'euros non déclarés au fisc grec? Réponse: des avocats, des médecins ou encore des comptables. Bref une grande partie de l'élite du pays, comme le démontre une étude édifiante de trois chercheurs américains.

C'est l'une des plaies qui rongent l'économie grecque: la fraude fiscale. A tel point que l'actuel Premier ministre grec, Alexis Tsipras a encore inscrit la lutte contre ce fléau parmi ses priorités, dans la liste des réformes qu'il a envoyées à Bruxelles, mardi. Le nouveau chef de l'exécutif grec espère récolter 3 milliards d'euros dans les prochains mois.

Un défi qui s'annonce plus qu'ardu, car la fraude fiscale est massive dans ce pays et elle n'est pas seulement l'apanage des ultra-riches. En témoigne une publication académique rédigée par trois chercheurs de la prestigieuse université de Chicago. Dans cet article qui date de septembre 2012, mais qui n'a rien perdu de sa fraîcheur, les économistes démontrent combien la fraude est répandue au sein des professions libérales en Grèce.

Une aberration économique

Leur étude part d'un constat aberrant: les Grecs exerçant en profession libérale ont pu négocier avec leurs banques des prêts qui induisent des remboursements correspondant à 82% de leurs revenus déclarés et dans certains cas (essentiellement chez les docteurs, les comptables et les avocats) 100%.

Un contre-sens économique. Comme le rappelle les auteurs de cette étude, la règle pour un établissement bancaire est de ne pas accorder un prêt si les mensualités dépassent 30% du revenu. Mais si les banques grecques ont fermé les yeux, ce n'est évidemment pas par méconnaissance des règles de base qu'appliquent leurs confrères français ou allemands. Elles savaient que leurs clients disposaient de revenus non-déclarés au fisc leur permettant d'assumer les remboursements.

Les chercheurs en question en ont d'ailleurs trouvé la preuve. En se basant sur des données provenant de banques grecques, ils ont observé que les taux de défaut sur les crédits aux professionnels libéraux étaient plus faible que pour ceux qu'ils avaient accordé sur la même période aux salariés grecs.

28 milliards d'euros dissimulés

Les banques grecques n'ont donc pas prix en compte le revenu déclaré au fisc grec par ces contribuables indélicats, mais leur "vrai revenu". Et ce manque à gagner pour les finances publiques grecques est colossal. Toujours en se basant sur des documents issus des banques et en appliquant des méthodes d'économétrie, les chercheurs évaluent l'ampleur de cette fraude à 28 milliards d'euros soit 2.550 euros par Grec. Et d'expliquer comment ils arrivent à ce chiffre édifiant.

En moyenne le "vrai revenu" des professions libérales est en moyenne 1,92 fois supérieur à celui effectivement déclaré. Sur cette base, la part de revenus non déclarés atteint donc un montant situé dans une fourchette allant de 24.000 à 30.000 euros. Sans établir leur nombre précis, les auteurs assurent qu'en 2009, année charnière où le déficit de la Grèce a dépassé les 15% de son PIB et provoqué sa descente aux enfers, ces fraudeurs avaient dissimulé au fisc 28 milliards d'euros. Une somme qui représente près du quart de la base fiscale de la Grèce (98 milliards d'euros). Ce qui signifie, qu'en retenant le taux d'imposition auquel auraient dû être soumis ces revenus, le montant de la fraude représentait 40% du déficit de 2009!

Des parlementaires suspects

Sans le dire explicitement, les auteurs de l'étude suspectent fortement une majorité des élus grecs de l'époque de connivence. En 2010, un projet de loi avait été mis à l'ordre du jour du Parlement. Le texte prévoyait des contrôles sur 11 professions libérales (consultants, avocats, dentistes, vétérinaires...) pour les personnes déclarant moins de 20.000 euros. Mais le texte n'a jamais obtenu de majorité au parlement. Et les chercheurs de souligner que sur les 304 élus qui siégeaient en 2010, 74 étaient avocats, 40 médecins et 40 comptables, soit une majorité confortable. Et, comme par hasard, les 11 professions visées par le projet de loi correspondaient à la liste des métiers qui fraudent le plus.

Des problèmes encore actuels

Ce problème politique est encore d'actualité aujourd'hui. "Le problème c'est la protection que les politiques donnent à leurs amis ainsi que l'absence de volonté politique de s'occuper des gros fraudeurs", expliquait ainsi au Guardian de mardi Tryfon Alexiadis, le président du syndicat des collecteurs d'impôts, réputé proche de Syriza. Ainsi, comme le disait très bien Alexis Tsipras samedi, "le plus dur reste à faire".

D'autant plus qu'un "problème concret se pose", souligne Thibault Mercier, économiste chez BNP Paribas spécialiste des pays périphériques de la zone euros. "Les professions libérales sont à leur propres comptes, et ont donc des revenus plus difficiles à tracer que les salaires. Pour améliorer cette traçabilité, cela suppose d'attirer et d'embaucher des fonctionnaires compétents au niveau de l'administration fiscale", explique-t-il. Or "cela coûte cher et nécessite presque un investissement public. Et vu la situation budgétaire de la Grèce, il est peu probable que les créanciers de la Grèce la laisse dépenser plus", poursuit-il.

"Si ce gouvernement pense qu'il peut changer le système en quelques semaines, il ne se rend clairement pas compte de combien il est compliqué de collecter l'impôt en Grèce", prévient de son côté Haris Theoharis, un parlementaire grec centriste cité par le Guardian.

Julien Marion