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Comment Esther Duflo, qui a remporté le prix Nobel d'économie, travaille au plus près du terrain

La décharge provoque des maladies chez les riverains.

La décharge provoque des maladies chez les riverains. - XAVIER GALIANA / AFP

L'économiste, co-lauréate du plus prestigieux des prix économiques, assume une approche scientifique et empirique dans son travail, tout en gardant un esprit critique et engagé.

"Une partie de moi a toujours voulu faire quelque chose d'utile pour le monde. Cela venait de ma mère. Elle est pédiatre et a été active dans une petite ONG pour les enfants victimes de la guerre. Elle voyageait dans des pays en guerre et elle revenait nous montrer des diapositives pour nous en informer".

En 2012, Esther Duflo, qui vient de recevoir le prix Nobel, est déjà une star de l'économie mondiale. En répondant aux question du Financial Times, cette discrète de nature tranche avec les canons du genre. Elle est, certes, de la trempe des meilleurs universitaires. Mais son travail ne se lit pas dans les équations ou les modélisations. Il prend source sur le terrain, et notamment en Inde, pays d'origine de son mari, lui aussi lauréat du Nobel, Abhijit Banerjee.

Des lentilles pour inciter à la vaccination 

C'est là-bas, mais aussi au Kenya, que le couple peaufine (aux côtés du troisième lauréat Michael Kremer) ses théories sur la pauvreté dans le monde, en introduisant une nouvelle approche, qui vaudra à Esther Duflo le surnom de "randomista" (théoricienne du hasard).

En clair, il s'agit de mettre en place des expériences à petite échelle pour apporter de nouvelles solutions. "Si on met en place un nouveau programme de soutien scolaire dans des écoles, on choisit 200 écoles au hasard, dont 100 mettront en place le programme et les 100 autres pas", expliquait-elle à l'AFP en 2010. Le résultat permettra ensuite de généraliser, ou non, l'expérience. "Leurs méthodes de recherche expérimentale dominent désormais entièrement l’économie du développement" assure le comité Nobel. Autre exemple, les travaux du trio ont montré que les paysans indiens étaient plus enclins à vacciner leurs enfants, en échange d'un sac de lentilles. En clair, les trois lauréats préfèrent remettre au placard les grandes idées pour lutter contre la pauvreté, et appliquer des méthodes particulières à chaque cas concerné.

Des soutiens... et des critiques

Pragmatique plutôt qu'idéologique, cette approche est aussi engagée, loin de rester aveugle aux détresses des populations concernées. Un reproche qui est souvent fait aux grandes institutions internationales. Publié en 2012, "Repenser la pauvreté", le livre co-écrit par Esther Duflo et Abhijit Banerjee, est d'ailleurs ouvertement politique, pour un couple régulièrement étiqueté au centre-gauche. L'ouvrage se veut d'ailleurs très accessible, en racontant des récits de vie des populations concernées. 

Plébiscités par les chercheurs dans leur domaine, Esther Duflo et ses acolytes ne manquent néanmoins pas de critiques. Au Guardian, Shialaja Fennell, maître de conférences au Centre d’études sur le développement de l’Université de Cambridge, reconnait l'apport de leur travail mais rappelle que les éléments de preuve obtenus ne doivent pas toujours être pris au pied de la lettre, plusieurs facteurs pouvant entrer en considération. En guise d'exemple, Oxfam soulignait, dans une récente étude, que les expériences pouvaient être biaisées si, par exemple, certaines populations refusent d'y participer. C'est par exemple le cas de femmes musulmanes, dans des expériences réalisées en Inde.

Thomas Leroy