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Crise du yuan : même de bonne foi, la Chine paye son manque de transparence

Le président américain Donald Trump accuse la Chine de sous-évaluer le yuan.

Le président américain Donald Trump accuse la Chine de sous-évaluer le yuan. - Fred DUFOUR / AFP

La chute du yuan, amorcée lundi, s’avère finalement assez logique compte tenu des difficultés de l’économie chinoise et des répercussions de la guerre commerciale. Mais l’implication du pouvoir central plane en permanence et finit par décrédibiliser la devise chinoise.

A force de tricher, plus personne ne veut vous croire… Pékin a beau se défendre de toute manipulation de sa devise, la lourde chute du yuan, ce lundi, quelques jours après la reprise des hostilités par les Etats-Unis, a été vécue comme un véritable affront par Washington. Pour la première fois depuis 1994, le Trésor américain a officiellement accusé la Chine de « manipuler sa monnaie ».

Les suspicions ne sont pas nouvelles. Contrairement aux autres principales devises, le yuan dépend d’un taux-pivot, fixé chaque jour par la banque centrale chinoise. La monnaie ne peut pas fluctuer de plus ou moins 2% par rapport à ce taux, dont le calcul reste « assez flou », commente Guillaume Dejean, analyste taux de change chez Western Union Business solutions. Un manque de transparence qui permet à la Chine de jouer facilement avec sa monnaie.

« Il y a encore 4 ans de cela, oui c’était très clair, la Chine manipulait largement sa monnaie. Nous avions une multitude de données qui le démontraient » souligne Christopher Dembik, responsable de la recherche macroéconomique chez Saxo Bank, sur le plateau d’Intégral Bourse. Mais désormais, la plupart des analystes s’accordent : non, la Chine n’a pas manipulé sa devise, cette semaine. « Jusqu’à présent, la Chine défendait un taux minimum de 7 yuans pour 1 dollar. Or, elle a désormais laissé entendre qu’elle n’était plus disposée à défendre ce taux. On ne peut pas parler de manipulation » conclut Guillaume Dejean.

Des rapports américains univoques

L’avis est partagé par Stéphane Déo, de la Banque Postale, qui liste les trois critères pour identifier une intervention chinoise. « Une balance des paiements avec un surplus important. Ce n’est plus le cas de la Chine, sa balance des paiements est excédentaire de moins de 2% depuis 2017 » explique-t-il. « Une intervention persistante et unidirectionnelle sur les changes. Cet argument est plus que discutable avec peu de preuve d’intervention directe de la PBOC (banque centrale chinoise) ». En revanche, le troisième critère, « un important surplus bilatéral de la balance commerciale avec les Etats-Unis », correspond bien à la situation. Un seul critère sur trois, donc. « Cette décision permet surtout à l’administration de prendre des sanctions, et il s’agit donc bien d’un pas de plus vers des tensions durables » tranche Stéphane Déo.

Les récents rapports semestriels de l’administration américaine sur ses partenaires commerciaux, qui utilise ces trois critères, ont d’ailleurs conclu à la même affirmation depuis le début de la présidence Trump : la Chine n’a jamais été désignée comme pays manipulateur de monnaie. L’année dernière, le FMI rappelait aussi qu’il n’existait pas de preuves de cette manipulation.

Méfiance généralisée

D’ailleurs, la Chine n’a aucun intérêt à faire chuter le yuan durablement. Cela pourrait entrainer une fuite des capitaux, comme en 2015, lorsque l’Etat central avait dû intervenir pour soutenir son économie, après une dévaluation de sa monnaie.

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Mais le manque de transparence de la Chine (rappelons que les chiffres annoncés de la croissance restent sujet à caution) entraine une suspicion généralisée, que le pays commence à payer cher. « Ce qui fait tiquer les marchés, c’est que cette dépréciation du yuan intervient quelques jours après les mesures de rétorsion américaines » souligne Guillaume Dejean. Cela permettrait de renforcer les exportations chinoises et donc d’annuler la hausse des droits de douane américain.

Résultat, même de bonne foi, la Chine ne convainc pas, et les Etats-Unis en profitent. « Aujourd’hui, l’intention américaine est surtout de légitimer ses actions récentes et cela ouvre la porte à davantage de sanctions. C’est plus une question politique, un jeu d’intimidation » estime Guillaume Dejean.

Dans sa guerre commerciale, Washington espère aussi décrédibiliser le yuan, qui a récemment été inséré comme devise de réserve par le FMI. Mais tant que l’Etat chinois aura la main sur sa devise, il sera difficile d’en faire une véritable alternative au dollar, à l’euro ou à la livre sterling. La Chine arrive probablement aux limites de son jeu masqué.

Thomas LEROY